De Allociné, à Houra en passant par Canal+, Chlipoker, Éric Boisson, pionnier du digital, nous révèle comment il a su redynamiser son entreprise, ZOL, une société qui a su gérer le changement et mettre l’humain au centre de sa réussite. Interview d’un dirigeant pour qui le succès rime avec bienveillance.
Quel a été votre parcours jusqu’à allociné ?
Le parcours habituel : collège, lycée, BTS, fac, sans trop accrocher. Ce qui me passionnait, c’était plutôt le dessin, la musique, les nouvelles technologies. Dans mon adolescence, j’ai collectionné les premiers ordinateurs grand public, les premiers jeux vidéo, les premiers séquenceurs musicaux. Au début des années 90, j’ai été un des premiers en France à créer un site perso sur Internet et cela m’a valu d’être repéré par Canal+ qui venait de lancer une émission sur la Cyberculture. Ils m’ont proposé un job et c’est là que Jean-David Blanc est venu me chercher.
À l’époque, Allociné n’était qu’un audiotel. Cela marchait très bien mais Jean-David était un des rares entrepreneurs qui présentaient déjà l’importance que le web allait prendre, il voulait se positionner sans attendre. Je suis donc devenu directeur du pôle internet d’Allociné. Cela sonne bien, surtout quand on a 25 ans, sauf que j’étais le pôle internet à moi tout seul ! Mais nous avons réussi à lancer le projet, à en faire une des premières réalisations digitales importantes du net français.
Quelle a été la suite ?
Après deux ans, j’ai voulu essayer autre chose, m’éloigner un peu milieu du show-biz dans lequel baignait Allociné. J’ai rejoint la direction du portail internet de Noos, une filière de la Lyonnaise des Eaux qui a été une des premières sociétés à proposer la connexion haut débit par le câble. J’ai donc intégré un grand groupe, avec des process lourds, un cadre hiérarchique pesant. Pas grand-chose à voir avec l’esprit start-up. Alors au bout de 8 ou 10 mois, j’ai bougé à nouveau. Pierre Bouriez, le fils du fondateur des supermarchés Cora, m’a proposé de le rejoindre sur un projet très ambitieux : lancer le premier cybermarché réellement national, avec 50 000 articles disponibles en ligne et une livraison sous 48 heures dans toute la France. Un vrai challenge à l’époque, à la fois sur le plan technique et logistique. J’ai signé tout de suite.
Comment s’est réalisée cette aventure ?
En 1999, il n’y avait rien de comparable en France, Amazon était encore une simple librairie en ligne que peu de gens connaissaient ! Mais comme le digital se développait à grande vitesse aux États-Unis, j’y suis allé pour rencontrer les pionniers du e-commerce, me nourrir de ce qu’ils créaient. Ensuite, c’était un boulot de fou, il y avait tout à faire. Rien que le budget du projet était hallucinant ! L’équipe a très vite atteint 80 personnes, une vraie petite ruche dans laquelle on bossait parfois jusqu’au petit matin.
Et en janvier 2000, dans les délais, Houra.fr est lancé. Moment inoubliable, au moment même où le web subit une grosse claque avec l’éclatement de la « bulle internet ». On l’a un peu oubliée maintenant mais à l’époque, c’était un séisme. Il y a eu des faillites en cascades, on entendait même dire à la télé que le net ne s’en remettrait pas. Heureusement, nous n’étions pas cotés en bourse, et nous n’avions pas fait l’objet d’une valorisation démente avant même d’engranger un euro de bénéfice. Nous avons laissé passer l’orage sans trop d’inquiétude.
Vous avez géré de nombreux projets par la suite ?
Oui, j’avais besoin de renouvellement. Parce que l’aventure Houra avait été intense et parce que la routine est un truc qui me lasse assez vite. J’aime vraiment entreprendre, initier, concevoir, lancer, toute cette première phase d’un projet qui ressemble à une aventure. Alors, avec Éric Newton, Didier Borg et Sophie Viger, j’ai fondé une des premières structures dédiées au conseil digital. L’idée, déjà, était d’accompagner les entreprises dans leur transformation digitale, de leur permettre d’éviter les pièges, les vendeurs de vents, tout cette hype qui avait mené à la crise de l’an 2000. J’ai ainsi participé à la création de plusieurs entités digitales et aidé toute une série de sociétés à développer ou à repenser leur présence, leur activité numérique. Des sociétés comme Samsung, La Réunion des Musées Nationaux, Les Cahiers Oxford ou encore Le Figaro…
Il y a ensuite l’aventure chili…
Oui. D’abord je suis revenu à Lyon après dix ans de congestion parisienne ! J’exagère mais il y avait de ça. Ma femme était enceinte, nous avions envie d’un autre cadre de vie, pour notre bébé et pour nous. Avec le TGV, Paris n’était pas loin, je pouvais faire l’aller-retour dans la journée, continuer mon activité. À mon retour, j’ai repris contact avec un vieux pote, Alexandre Dreyfus, fondateur de Webcity à l’époque des débuts du net français. Il voulait profiter de l’essor du jeu en ligne, monter un site de poker virtuel : Chilipoker.
Il m’a proposé de l’accompagner avec un poste multi-casquettes : directeur artistique, responsable de production, conseil aussi. J’étais à ses côtés, associé aux décisions stratégiques. Début d’une nouvelle aventure, pour laquelle on s’est installé à Malte. C’était le seul pays européen qui délivrait des licences de jeu en ligne à l’époque. Là-encore, il y avait tout à faire, on était pressé et il y a vite eu une équipe importante à animer. Encore une aventure humaine hyper-enrichissante ! Le site a eu du succès, à tel point qu’il est racheté six ans plus tard par un gros groupe américain. L’ambiance change du tout au tout. Une aventure humaine encore mais plutôt négative cette fois : un management purement financier à l’américaine, à des années lumières de ma vision de l’entreprise et de l’humain.
Comment en êtes-vous finalement arrivé à zol ?
L’équipe de ZOL avait travaillé en sous-traitance pour Chilipoker, je savais qu’ils étaient très bons sur le plan technique, et les deux fondateurs étaient devenus des amis. Je les avais accompagnés et conseillés pendant quelques années à titre amical et finalement, je crois que l’idée de nous associer est devenue évidente. Lorsque Mathieu, un des deux co-fondateurs, m’a proposé de prendre la direction générale de l’agence, j’y ai vu l’occasion de mettre en œuvre ma vision de l’entreprise.
Qu’est-ce qu’était zol à la base ?
Rien à voir avec une agence digitale. Au départ, ZOL était l’éditeur d’Intrazik, une solution de gestion d’événements et de salles de concert. Elle faisait également des développements informatiques pour le compte de certains clients dont je faisais partie. Ils se sont séparés au bout de quelques années : Fabrice est parti avec Intrazik et Mathieu a gardé ZOL. Lorsque je prends les rênes de la boite en 2016, les agences de com se sont mises à faire du digital elles aussi. Les freelances inondent le marché. La concurrence est devenue rude, même à Lyon. Être reconnu pour son expertise technique ne suffit plus. Nous étions trop petits, et risquions d’être noyés dans la masse. On avait de plus en plus de mal à signer de nouveaux clients et à assurer notre activité
Et c’est vous qui avez dû gérer le changement justement
Oui, mais d’abord, il fallait assurer le business. En faisant appel à mon réseau, j’ai appris qu’un ancien d’Houra avait un poste important au sein du groupe La Poste, avec un très beau projet entre les mains : créer une application mobile qui permette une livraison de colis suivie et sécurisée sur l’ensemble du continent africain, même dans les zones où aucune connexion internet n’était disponible ! Une grande agence parisienne était déjà pressentie mais j’ai réussi à le convaincre de se lancer avec nous. D’un coup, notre chiffre d’affaires a été assuré et nous avons eu du travail pendant près d’un an, un challenge passionnant en plus.
C’est donc en 2017 que s’effectue le pivot ?
Il s’est étalé entre 2017 et 2018. J’étais convaincu que nous devions évoluer, grandir, devenir une véritable agence digitale et non plus une simple bande de développeurs. L’activité étant assurée, nous avons pu lancer des recrutements, renforcer l’équipe côté gestion de projets et l’étoffer avec de nouvelles compétences. Cela m’a permis de renouveler et d’étendre notre offre. Et l’autre aspect, c’était l’image. Je voulais mettre notre différence en avant, le côté convivial de ZOL, montrer qu’on peut être geek et terrien, avoir la tête dans le code et les pieds sur terre. C’est sur cet axe-là qu’on a refait le site de l’agence, en affichant notre double ADN technique et humain. Et je suis convaincu que c’est une des raisons qui expliquent notre croissance aujourd’hui.
Concrètement, qu’est-ce que vous avez fait ?
J’ai développé un modèle d’entreprise qui repose sur la bienveillance, la convivialité mais aussi sur une exigence professionnelle absolue. Il a fallu ensuite élargir le scope de l’agence pour la mettre en capacité d’aller encore plus loin dans le sur-mesure, ce qui a nécessité de structurer l’entreprise avec un nouveau directeur technique, de recruter des développeurs mobile et front-end, des spécialistes de l’expérience utilisateur, afin d’avoir un véritable pôle de gestion de projets. Ensuite, en 2019, nous avons lancé Qweri, une filiale spécialisée dans la data, ce qui nous a permis d’intégrer une dimension quantitative à notre démarche sur-mesure.
Enfin, nous avons créé un pôle conseil. Aujourd’hui, nous sommes en phase avec le marché, nous couvrons toute la chaîne conseil et opérationnelle qui permet d’accompagner les entreprises dans leur transformation numérique. Une évolution qui a vite porté ses fruits puisque nous avons reçu autant de demandes pendant les 4 mois qui ont suivi notre pivot qu’au cours des 4 années précédentes.
Est-ce que vos équipes ont adhéré tout de suite ?
Les mutations importantes sont souvent douloureuses. Elles réclament beaucoup d’explications, d’accompagnement, d’autant que nous sortions déjà d’une période de crise pour l’entreprise. Le manque de business avait affecté le moral de l’équipe, généré du stress et de l’inquiétude. Autant dire que le contexte n’était pas idéal pour opérer et expliquer un pivot, mais j’étais convaincu de la stratégie que j’avais en tête. Lorsque vous incarnez ce que vous racontez, le message est souvent plus fort, et ceux qui le reçoivent y adhèrent mieux.
Cela est passé par un e-mail ? comment ?
Non pas d’email, je préfère largement la rencontre, l’échange en live et dans ce genre de situation c’était particulièrement bienvenu. Je partage, j’échange naturellement beaucoup et au quotidien avec toute l’équipe, souvent de manière spontanée et informelle. Mais dans le cadre d’une mutation aussi importante, cela n’était pas suffisant, nous avons dû organiser plusieurs réunions pour expliquer ce qu’allait devenir l’entreprise et les rôles de chacun au sein de cette nouvelle aventure. Nous devions aller vite et fort, je me suis donc appuyé en particulier sur certains membres de l’équipe qui ont eu un rôle de pilier, de moteur dans la mise en œuvre de ZOL 2.0.
Une fois que cela s’est passé, vous avez changé la marque ?
Non. La société existait depuis 13 ans, il fallait conserver cet historique, c’était important, autant pour l’équipe que pour les clients. L’entreprise était clairement identifiée comme une structure digitale très technique. En revanche, j’ai complètement revu l’identité, pour mettre en avant un aspect plus humain, plus convivial, plus fun aussi. J’ai assuré la direction artistique et consacré pas mal de temps à travailler chacun des textes pour expliquer non seulement ce que nous faisions mais aussi qui nous étions. Quitte à être atypique, autant l’assumer. Et cela collait parfaitement avec notre cœur de métier : le sur-mesure, le fait de traiter chaque client de façon individualisée. Aucun humain n’est pareil à un autre, et une entreprise c’est un collectif d’humains, c’est là qu’est son identité, beaucoup plus encore que dans son activité ou son expertise.
Avez-vous défini des valeurs à ce moment-là ?
Je ne suis pas un professionnel de la com, j’y suis même un peu réfractaire pour être franc. Plutôt que de professer des valeurs à la mode, nous avons tout simplement essayé de mettre des mots sur ce que nous étions. La bienveillance est ressortie de manière évidente. Le terme est galvaudé, peut-être, mais faire attention à l’autre, qu’il soit salarié ou client, cela me tient à cœur. Et ce qui est intéressant, c’est que cette valeur ressort en interne mais aussi de la part de nos clients. L’engagement et l’envie sont également ressortis. L’envie de grandir, de travailler ensemble, d’accompagner le client à grandir lui aussi, ou à rebondir quand il est dans la difficulté et tout mettre en œuvre pour l’aider, même si parfois, nous perdons de l’argent. Cela s’est déjà produit et nous le referons si nécessaire.
Où en êtes-vous aujourd’hui ?
Nous avons fait près de 40 % de croissance et nous avons recruté près de 20 personnes supplémentaires cette année, autant dire que l’entreprise n’a plus grand chose à voir avec ce qu’elle était en 2016. Du côté de Qweri, notre filiale data créée en septembre 2019 compte déjà 7 salariés. En quatre ans, nous avons multiplié notre chiffre d’affaires par trois. Il frôle maintenant les 3 millions, ce qui représente une belle performance.
Quels sont vos futurs axes de développement ?
Je ne me fixe pas de plan précis. Nous évoluerons en fonction des attentes et des besoins de nos clients. Une chose dont je suis certain, en revanche, c’est qu’il faudra arrêter de grandir quand cela commencera à affecter l’humain. Le lien que nous avons les uns aux autres est crucial. Ce qui fait notre force, c’est notre esprit de groupe, notre dynamique collective. C’est aussi ce que nos clients apprécient chez nous. Pour l’instant, le groupe resserré que nous formons nous permet de rester réactifs et d’avoir un turnover proche de zéro. Il y a une réelle adhésion à ce que nous racontons, à ce que nous sommes et à ce que nous devenons.
Notre croissance sera peut-être être bridée par notre volonté de ne pas perdre cet esprit, et c’est aussi bien. Nous avons des concurrents qui se font racheter par des plus grands, ou qui sont en quête d’hyper-croissance, ce n’est pas notre cas. Nous voulons aller encore plus loin dans le sur-mesure digital, construire quelque chose qui nous ressemble, et continuer à prendre du plaisir. Il est indispensable à mes yeux de garder un lien fort avec nos clients et un bon équilibre de vie entre le pro et le perso.
Quelles sont les plus grosses difficultés que vous avez rencontrées ?
Une croissance aussi rapide en matière d’effectifs n’est pas sans impact. Il ne faut pas perdre pied, notamment dans une période où nous sommes encore pas mal confinés. La vraie difficulté réside dans le fait de devoir structurer tout en conservant notre esprit humain, voire familial. C’est fondamental et y travailler au quotidien, et à distance, nécessite beaucoup de disponibilité et d’énergie. Je passe en ce moment autant de temps sur l’interne que sur l’externe avec beaucoup d’échanges téléphoniques et de visios. Nous avons conservé sept places en présentiel à l’agence, ce qui nous permet, par un système de rotation, de nous voir quand même un peu tout en respectant les recommandations sanitaires. C’est essentiel pour entretenir un minimum de lien et de vie d’entreprise.
Quelles ont été les clés de la réussite jusqu’à présent ?
Je pense que le fait d’être ultra-engagé et sincère, que ce soit en interne ou auprès de nos clients, a largement contribué à notre réussite. Et je tiens par-dessus tout à conserver notre identité, notre authenticité, sans marketing ni bullshit. Je pense aussi que notre capacité à faire à la fois du conseil et de l’opérationnel nous permet d’être parfaitement en phase avec les attentes du marché et des entreprises qui sont en quête de se transformer et d’accélérer en matière de performance digitale. Enfin, le fait que nous développons des outils réellement sur-mesure plutôt que déployer des solutions pré-packagées est également un élément de différentiation majeur par rapport à beaucoup de nos concurrents et une des clés de notre réussite.
Le lien que nous avons les uns aux autres est crucial. Ce qui fait notre force, c’est notre esprit de groupe, notre dynamique collective. C’est aussi ce que nos clients apprécient chez nous.