Vous vous êtes lancés très jeunes dans la création de votre entreprise ?
Oui, j’avais 19 ans à peine et mon frère en avait 25. Nous n’avions pas fait d’études de commerce ou d’entrepreneuriat. C’est l’expérience qui a constitué notre école. Nous nous sommes lancés avec pour seul bagage un principe inculqué par nos parents : celui de faire attention à respecter les garanties faites et d’honorer ce qu’il faut payer, même s’il faut pour cela bosser des années. Nous avons donc été particulièrement prudents. Les premières années ont été dures, nous ne nous sommes pas versés de salaires pendant 3 ans.
Comment vous est venus le concept d’Auto IES ?
Au milieu d’un repas familial, mon frère a commencé à expliquer que c’était injuste de n’avoir que 3 ou 4 % de remise sur les voitures lorsqu’on les achète chez le concessionnaire. Il racontait qu’il y avait des pays en Europe où les voitures étaient moins chères. La solution lui paraissait donc évidente : il fallait aller les chercher pour les revendre ici. Puis en 1987, une nouvelle réglementation européenne a permis à un particulier de se faire représenter par un mandataire pour négocier une voiture à l’étranger et la ramener en France. C’était donc le moment d’y aller. Non seulement on avait envie, mais il y avait un vrai marché et cette réglementation était une aubaine. Seul hic, nous n’avions que l’équivalent de 3 000 € en poche donc nous étions incapables d’acheter une seule voiture !
Vous avez tout de même réussi à lancer l’activité ?
Oui, au départ on s’est adressé à des concessionnaires parisiens en leur disant qu’on pouvait être leur intermédiaire, un peu comme un agent, pour leur ramener des clients. Nous avons commencé à vendre avec de toutes petites marges de 30/35 € parfois. La première année, on a vendu 800 voitures à deux dans un bureau de 9m² sans fenêtres. Le commissaire aux comptes nous a alors demandé d’augmenter nos marges pour qu’on puisse gagner plus d’argent et devenir rentables. Nous étions un peu cancres ! Mais nous nous sommes repris en main et nous avons enfin commencé à gagner de l’argent.
Et là vous avez commencé à vous développer et à faire peur aux concessionnaires ?
On leur fait peur parce qu’on est assez connus. On a la chance d’avoir pas mal de gens qui parlent de nous. Le bouche à oreilles fonctionne bien quand il s’agit de faire de bonnes affaires. On fait peur car les gens prennent conscience du vrai prix des véhicules sur notre site. On est loin des tarifs annoncés par les concessionnaires. Entre une remise de 7 % chez le concessionnaire et une de 25 % chez nous pour le même véhicule, le choix est vite fait pour le consommateur. C’est ce qu’il se passe avec d’autres produits : les gens vont en boutique pour observer le produit, son design, mais retournent sur Internet pour l’acheter moins cher ensuite. Les constructeurs ne pensaient pas qu’Internet pourrait impacter autant. Ils pensaient que jamais les utilisateurs n’iraient acheter des voitures sur Internet. Mais les mentalités sont en train de changer ! Les gens sont prêts à faire ce pas car ils savent qu’ils vont économiser 5 000 € !
Vous avez eu des pressions de la part des constructeurs ?
Oui, nous avons eu toutes sortes de pressions : des pressions fiscales ou administratives, mais également des pressions pour nous empêcher de travailler avec certains prestataires. Mais ce n’est pas grave tout ça, nous nous sommes dit que si l’on faisait l’objet de tant de pressions et qu’on nous voyait comme un danger, c’est que quelque part nous devions être dans la bonne direction. Nous avons donc continué en suivant notre ligne directrice : faire les choses comme il faut, anticiper le marché et s’adapter aux besoins des consommateurs.
Vous vous protégez ?
Oui, on a six avocats, et avant de faire un truc on valide qu’on soit dans la légalité. Grâce à cela, aucun construc- teur n’a pu nous accuser d’être hors la loi sur un point. Nous n’avons jamais eu le moindre procès de la part d’un constructeur.
Ce n’était pas dans les mentalités d’acheter une voiture sur Internet. Vous avez dû dépasser cette barrière ?
Oui, et ce n’était pas facile d’être crédible face au public car à l’époque nous n’avions pas de stock. Il y avait donc des délais de livraison de 4 à 6 mois et on n’avait qu’un seul point de livraison en France ! Mais là où nous avons eu de la chance c’est que les journalistes se sont très vite intéressés à notre concept en vantant notre sérieux et la fiabilité de l’offre.
Vous vous êtes lancés dans les années 80, vous étiez précurseurs dans le modèle du low cost ?
Oui, mais parce qu’on n’avait pas les moyens de faire autrement ! C’est parce que nous n’avions pas de gros moyens financiers que nous nous sommes dit : trouvons un mode de distribution économique. Et moins vous avez de frais, plus vos prix peuvent être bon marché.
Est-ce plus facile de créer son entreprise avec son frère ?
Avec mon frère nous avons dû nous engueuler deux fois en 25 ans ! Vu comme on en a bavé ensemble les trois premières années, nous nous sommes rapprochés. Nos liens se sont soudés. Aujourd’hui nous sommes tellement sur la même longueur d’onde que, quand un collaborateur sort du bureau de mon frère, je sais exactement ce qu’il lui a dit ou proposé ! ça nous fait gagner un temps fou !