Lors d’un cours de cuisine auquel j’ai assisté, le chef rappela aux participants que l’oignon ne fait pas pleurer… si l’on a le bon couteau ! C’est un peu similaire pour les start-ups : la stratégie de l’oignon est à utiliser à bon escient… au risque de pleurer à chaudes larmes. Encore faut-il la maîtriser ! De quoi s’agit-il ?
Start-up, je me cherche…
Dans l’environnement entrepreneurial, une des définitions généralement admises de la start-up est une entreprise à la recherche d’un business model capable de monter en puissance (« scalable » pour les intimes) et répétable. Qu’est-ce que cela signifie ? Que c’est une période pendant laquelle, l’entreprise « se cherche » et tel un adolescent en pleine crise identitaire, s’interroge :
- Quelles sont mes activités clés ? Que dois-je faire moi-même ? Que dois-je sous-traiter ?
- Sur quels partenaires puis-je m’appuyer ?
- Quelle est ma proposition de valeur ?
- Mes revenus doivent-ils reposer sur une ou plusieurs sources ?
Les dernières questions – et pas des moindres – :
- Qui sont mes clients ?
- Quels sont mes marchés ?
Pendant cette phase initiale, l’entrepreneur, habité d’un enthousiasme à tout crin, fourmille d’idées et rêve d’embrasser le monde… tout en évitant soigneusement de se confronter à la réalité du terrain ! L’idée géniale, révolutionnaire va-t-elle emporter l’adhésion universelle ? Et par conséquent satisfaire tous les clients, tous les segments, tous les marchés… autrement dit toutes les couches de l’oignon !
Les couches de l’oignon
Ainsi cette start-up dans l’instrumentation nucléaire mourut de vouloir attaquer tous les marchés en même temps, ou plutôt mourut de ne pas avoir choisi entre le B2B et le B2C. Le premier requiert des produits haut de gamme – pointus et très performants – avec une distribution auprès de grands comptes ; dans le second cas, le grand public n’avait besoin que de fonctionnalités limitées, plus intéressé par la cartographie attachée à l’instrument qu’à l’instrument lui-même (c’était après Fukushima…).
Dans le cas présent, l’oignon n’a que deux couches mais le principe reste le même pour les autres projets entrepreneuriaux : mieux vaut se concentrer à l’origine sur un premier segment, fut-il limité, pour coller précisément à une demande bien identifiée. Test grandeur nature ! La démarche consiste à attaquer les couches de l’oignon (les marchés, les segments) les unes après les autres. En allant de l’intérieur vers l’extérieur, on aborde potentiellement des segments de plus en plus importants : ayant acquis de l’expérience, on augmente aussi les chances de succès.
Un nécessaire « alignement »
Au-delà de l’adéquation du couple « produit-marché », cette analogie avec l’oignon permet également de s’interroger sur les ressources et compétences associées à chaque marché ; autrement dit l’alignement entre ‘stratégie désirée’ et ‘moyens mis en œuvre’. En effet, on comprend aisément que chaque marché puisse nécessiter des savoir-faire et ressources spécifiques : commercialisation et distribution, fabrication, service après-vente. Dans le cas précité, un commercial grand compte sera un élément–clé de la réussite lorsque le marketing et l’animation seront peut-être plus critiques dans le second cas.
Selon feu OSEO (aujourd’hui la Bpifrance), un repreneur qui ne connaît pas le secteur de l’entreprise accroît de 30% et 50% son risque d’échec : il doit bien y avoir une raison…Il faut donc idéalement calquer la matrice des ressources et compétences de l’entreprise (en interne) avec les segments de marchés visés (en externe). À l’origine du projet, on doit se trouver au cœur de l’oignon avec une adéquation fondamentale entre d’un côté les compétences acquises par l’entrepreneur et de l’autre les marchés sur lesquels il a évolué (dans le passé) et souhaite évoluer (dans le présent).
Par la suite, lorsqu’on passe d’un marché à un autre, il faut vérifier l’adéquation entre ces éléments internes et les spécificités de ces nouveaux marchés. Cela peut nécessiter un réalignement des ressources via une gestion fine des ressources humaines ou une acquisition, voire la mise en place d’un partenariat permettant de pallier des manquements en interne. Ce dernier cas est assez répandu, notamment au sein d’entreprises high-tech où les efforts sont concentrés sur les développements technologiques… au détriment des aspects ‘ventes’ et ‘marketing’. Qu’à cela ne tienne, ces fonctions peuvent être externalisées dans une large mesure.
Un double mouvement
La stratégie de l’oignon consiste à mettre en œuvre une politique qui procède d’un double mouvement :
- les petits pas : en partant du segment ou marché le mieux maitrisé par l’entrepreneur ou l’équipe dirigeante
- puis étendre son emprise sur les secteurs adjacents, plus importants.
Cette stratégie ne peut se faire qu’en ayant une bonne compréhension des ressources et compétences en interne, et à ce titre c’est un outil puissant de gestion de la société et de son développement.