Stanislas de Rémur, l’un des 3 fondateurs d’Oodrive depuis plus de 10 ans, revient sur son parcours. De la création et de l’importation du cloud en France, jusqu’à la gestion d’un groupe international : récit de l’aventure exemplaire d’un pionner du Saas.
Vous vous êtes lancé avec votre frère et votre meilleur ami. L’équipe a tout de suite bien fonctionné ?
Oui, c’était il y a 13 ans maintenant, et nous sommes toujours les trois dirigeants. C’est un bon signe ! Pourtant, nous l’avons perçu au départ comme une contrainte, d’autant plus que nous avions tous les trois les mêmes qualifications. Il y avait une confiance absolue dans ce que faisaient les autres. Nous dialoguions énormément : il fallait une transparence totale. Et puis, nous avions instauré un petit jeu, le « j’aime, j’aime pas », où chacun énonçait clairement ce qui nous plaisait ou non dans le travail de l’autre. Cela peut paraître enfantin, mais c’est très efficace, et nous a évité toute rancœur. Dès lors, nous n’avons plus eu de problèmes pour communiquer et travailler ensemble.
D’où vous est venue l’idée d’Oodrive, et comment se sont déroulées les premières années ?
A l’époque, nous travaillions tous les trois à distance sur un autre projet. Et nous avions beaucoup de difficultés à partager tous types de fichiers par e-mail. Aucune solution n’existait encore en Europe. L’idée est née alors de créer un « disque dur sur Internet », une solution de stockage et de partage de fichiers en ligne. En fait, la solution à laquelle nous pensions était complètement différente de ce que nous proposons aujourd’hui. Nous voulions un fonctionnement B to C, avec un model à la Youtube ou Dailymotion, reposant sur la publicité. Nous nous sommes rendu compte que c’était impossible à monétiser, et qu’il fallait trouver un autre business model. Deux ans plus tard, nous sommes donc passés au B to B, en décidant de vendre nos solutions aux entreprises. Malgré la jeunesse de notre solution, beaucoup ont signé avec nous dont LVMH avec Kenzo. Cela leur offrait un espace de stockage, et une possibilité de visualiser et partager leurs documents. Dès 2003, nous sommes passés aux grandes structures avec un réseau de revendeurs. Heureusement, nos actionnaires nous ont fait confiance, et ont accompagné ce changement.
Justement, comment avez-vous fait pour financer votre lancement ?
Pendant les 2 premières années, nous avons fait appel à des Business Angels qui ont levé des tickets entre 2 000 et 20 000 €. Puis nous avons favorisé les prêts bancaires pour ne pas trop nous diluer. à partir de 2003, nous sommes devenus rentables – c’était d’ailleurs presque une obligation – mais nous avons attendu 2007 pour réaliser notre première levée de fonds. Si nous avions bénéficié des moyens du système américain, je pense que nous aurions été les premiers du marché beaucoup plus rapidement. Mais nous avons pris notre temps, et adopté une stratégie progressive. En 10 ans, nous avons levé près de 11 millions d’euros. Mais nous avons toujours privilégié la dette bancaire, notamment pour racheter les parts de la société que nous avions perdues dans les années creuses. Après, nous nous sommes adressés à des fonds d’investissement pour les acquisitions et l’internationalisation.
Vous ne semblez avoir aucune concurrence aujourd’hui…
C’est vrai qu’on n’en a moins aujourd’hui. Pour la sauvegarde, nous avons surtout des concurrents régionaux. Et puis il y a toujours Mozy aux état-Unis, mais il est de moins en moins présent sur le marché. Pour le partage, nous avons des concurrents verticaux, spécialisés dans des secteurs bien spécifiques mais la concurrence est moins forte. Pour continuer à nous démarquer, nous allons aussi commencer la vente en ligne qui sécurisera véritablement les données. Toujours dans le même but, nous nous sommes aussi associés à des groupes de grande distribution comme Darty, Fnac, Auchan, etc., pour toucher le grand public. Des firmes comme Darty deviennent l’intermédiaire avec le particulier. C’est le B to B to C !
Comment voyez-vous l’avenir ?
Il faut continuer la croissance organique qui est bonne. Nous avons fait 17 millions de chiffre d’affaires en 2011, 25 en 2012, et il est en hausse de 25 % chaque année, ainsi que nos acquisitions et l’internationalisation. D’ailleurs, nous venons de valider des filiales à Munich et Sao Paulo. L’internationalisation, en B to B, reste très difficile. Il faut tout réapprendre à chaque fois : la façon de vendre, le cadre législatif, suivre les bonnes personnes,… On essaye de devenir l’alternative européenne face au marché américain. Les états-Unis ne sont pas prioritaires et il faut avouer qu’ils seraient trop difficiles à concurrencer sur leur territoire. En revanche, l’Asie que tout le monde croit trustée par les Américains a une vraie appétence pour les solutions logicielles européennes. Viadeo, pour ne citer qu’elle, a été très malin de se focaliser sur les marchés émergents plus que sur les états-Unis.
Vous avez des chiffres impressionnants. De quoi êtes-vous le plus fier ?
Nous avons près de 14 500 entreprises clientes, dont 70 % de sociétés du CAC 40, et plus d’un million d’utilisateurs à travers 90 pays. Ce dont je suis le plus fier depuis le début de l’aventure, ce sont mes collaborateurs. Nous sommes aujourd’hui 240, et formons une super équipe. Les gens sentent un esprit de famille ici : par exemple, quand quelqu’un a un mauvais rendement, on le suit, on essaye de le motiver de nouveau, ou de le changer de secteur. Il y a très peu de départ ! On vient de confectionner un livre-photos qui résume l’histoire d’Oodrive. Cela a beaucoup plu ! Et puis nous mettons tout en œuvre pour créer une ambiance et une cohésion dans les équipes. Chaque mois, un département se voit allouer un budget et organise une fête à thème. Dernier exemple en date : la Saint-Patrick, où tout le monde est venu déguisé en vert ! Et pour la journée de la Femme, on a offert un bouquet de fleurs à chaque employée. Le matin, il y avait 65 bouquets sur les bureaux.