Entretien exclusif avec Serge Papin, président de la coopérative de commerçants de grande distribution française Système U.
Comment en êtes-vous arrivé à l’entrepreneuriat ?
Rien ne me prédestinait à devenir entrepreneur. Issu d’une famille d’épiciers et ayant vécu les difficultés de mes parents dans leur métier par procuration, je m’étais dit que jamais je ne ferais cette profession. D’ailleurs, si j’avais eu le choix, je pense que je serais devenu journaliste car je trouve passionnant le fait de faciliter la transmission d’un message entre un émetteur et un récepteur. Chacun d’entre nous est un passeur dans la vie. Mon parcours professionnel relève de circonstances de vie et non d’un choix personnel.
Je n’ai pas fait beaucoup d’études, car je crois que j’avais du mal avec l’autorité. à la place, je lisais beaucoup, j’apprenais autrement ! J’ai obtenu mon BEP commerce en candidat libre. Puis j’ai dû faire mon service militaire à Nouméa en Nouvelle-Calédonie. À mon retour, j’ai dû réfléchir à la voie que je souhaitais emprunter. J’ai donc suivi une formation de six mois à la Chambre de Commerce de Nantes pour devenir chef de rayon en suivant les conseils de mon père. C’est la rencontre avec Jean-Claude Jaunait, fondateur de Système U, qui va sceller mon destin dans la grande distribution.
Comment avez-vous fait pour gravir les échelons de Système U et atteindre le poste de PDG ?
Le chemin jusqu’à ce poste a été progressif. Pendant une trentaine d’années, j’ai accompagné Jean-Claude Jaunait, ancien président, à plusieurs postes différents de la communication à l’administration en passant par la Recherche & Développement. L’aventure Système U commence en 1976, date à laquelle j’ai rejoint le groupe en tant que promoteur des ventes. J’ai eu ensuite la charge du service de communication. En 1981, je suis devenu associé et j’ai ouvert mon premier magasin à Fontenay-le-Comte en Vendée.
Quatre ans plus tard, j’ouvre un deuxième commerce plus conséquent. Dans les années 1990, je suis promu directeur général dans la région Ouest tout en endossant certaines responsabilités nationales. J’ai toujours eu la double casquette : j’étais à la fois patron de magasin et j’ai toujours été impliqué dans les affaires du groupe à un niveau décisif, que ce soit lorsque j’étais DG, administrateur, associé, vice-président puis président. En 2005, j’ai pris la succession de Jean-Claude Jaunait et cela s’est effectué de manière assez naturelle. Pour mes collègues, j’incarnais le porte-parole de cette génération de quadragénaires qui prenaient les choses en main chez Système U à cette époque.
Le fait d’avoir fait peu d’études est-il un inconvénient en tant que dirigeant ?
Au contraire, cela me semble être un atout ! Cela m’a permis de conserver un esprit toujours ouvert, disponible et surtout de me référer à l’instinct et non à un raisonnement que l’on m’aurait inculqué. Le problème des études longues, c’est que ceux qui en font ont tendance à s’enfermer dans un raisonnement qui tue l’anticipation et la compréhension. On devient finalement très vite dépassé et pas toujours juste dans notre réflexion. Je suis toujours parvenu à comprendre où allait la société et donc à anticiper les choses et à savoir les influencer. Ne pas avoir fait d’études m’a permis de garder une spontanéité qui m’empêche d’être cloisonné dans un certain schéma de pensée. Dans la grande distribution, pouvoir anticiper les choses, c’est justement une force.
Quelle est la clé de votre réussite aujourd’hui ?
Le secret de ma réussite émane de la capacité à écouter. C’est une qualité essentielle pour entreprendre. Écouter, c’est comprendre les choses et développer son intuition par la suite. Il ne faut pas avoir peur des ruptures, ni d’être décalé. J’ai effectué une carrière de 40 ans chez Système U avec l’idée que j’en partais chaque soir. Cela m’a permis de rester !
Quel regard portez-vous sur la révolution numérique et son impact sur votre secteur ?
Aujourd’hui, l’arrivée du digital est en train de bouleverser notre société, mais aussi prochainement le monde de la grande distribution. Rien ne s’opposera à ce que demain, de grands groupes proposent leurs produits directement sur internet sans passer par la grande distribution, et pour survivre, cette dernière deviendra sa propre marque en présentant ses propres produits.
Il se peut qu’elle outrepasse les grands groupes à condition d’avoir un contrôle sur l’ensemble de la filière, particulièrement en ce qui concerne le sourcing de la production qui se devra d’être plus transparent qu’il ne l’est aujourd’hui. Par ailleurs, nous évoluons dans une société où le rapport à la consommation est de plus en plus mature. Les gens cherchent à consommer moins et mieux et deviennent de plus en plus lucides sur la relation entre la manière de s’alimenter et l’impact sur la santé, l’environnement et la production. Notre société évolue vers une consommation de plus en plus citoyenne, ce qui va fortement influencer notre secteur.
Quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées dans votre parcours ?
Un des derniers chantiers complexe que nous devons traiter concerne l’alliance avec le groupe Auchan, car il a fallu le réformer et quitter peu à peu notre identité régionale pour construire des outils plus productifs au niveau national. La difficulté réside dans le fait de convaincre nos équipes du bien-fondé de tout cela, de répondre aux interrogations naturelles des salariés qui ont tendance à regarder ce qu’ils gagnent et ce qu’ils perdent individuellement. Le problème principal que pose cette mouvance actuelle, c’est de les emmener dans le projet, pour qu’ils se l’approprient au quotidien.
Quelle est votre stratégie managériale ?
Je suis quelqu’un qui cherche à influencer le cours des évènements et à faire en sorte que mes collaborateurs deviennent partie prenante de mes propositions par la suite. La qualité majeure d’un manager réside dans le fait d’accompagner les évolutions inhérentes au développement des nouvelles technologies. J’essaye modestement d’avoir une vision et après, je tente de convaincre mes collaborateurs que celle-ci est la leur, car ce sont eux qui vont la conduire.
Comment conciliez-vous vie professionnelle et vie personnelle ?
Il n’est pas bon de vouloir les séparer, car il arrive toujours un moment où l’on essaye de compenser. J’essaye de trouver du plaisir dans mon travail, tout simplement. Le côté personnel se confond parfois avec le professionnel, et dans mon cas cela a été assez compliqué. Jean-Claude Jaunait disait « Dans la vie il n’y a pas de vérité, il n’y a que des choix. Une fois qu’ils sont faits, il faut les assumer ». Dans mon cas, j’ai parfois eu des difficultés à cerner quels étaient les bons choix à faire.
Quels sont les prochains objectifs à venir pour le Groupe ?
Nous sommes dans l’attente de la décision de l’Autorité de la concurrence concernant notre alliance avec Auchan. La réponse tombera en fin d’année ou début d’année prochaine.
3 Conseils de Serge Papin
- La réussite financière n’est pas une fin en soi. Tous ceux qui se lancent dans l’aventure entrepreneuriale par avidité font fausse route. La réussite financière doit être une conséquence d’un travail bien fait, et non un objectif.
- Intégrez le online à votre projet devient primordial. Aujourd’hui, un projet doit obligatoirement appartenir à ces deux mondes (offline et on line). Le online offre la possibilité de déboucher sur autre chose que ce qui était prévu au départ, car c’est un monde exponentiel où tout est ouvert et les possibilités semblent infinies alors que le offline reste un univers linéaire.
- Un projet demande beaucoup d’échanges, cela suppose d’en parler avec plein de gens, d’avancer, de ne pas hésiter si jamais on voit qu’il y a un obstacle, on ne doit pas s’obstiner mais savoir dévier dans une autre direction.