Interview de M. Khéliff, directeur du développement durable chez Rhodia, a un parcours quelque peu atypique. Il débute à 16 ans et demi en usine comme tourneur fraiseur ajusteur. Il intègre ensuite la chimie à l’âge de 19 ans, en tant que mécanicien. Pendant une douzaine d’années, il occupe la fonction de délégué syndical sur un site chimique. Devenu permanent syndical par la suite, il quitte son entreprise et devient secrétaire général de la Fédération Chimie Energie de la CFDT. Après avoir occupé durant une vingtaine d’années des fonctions au niveau national, européen et international, il choisit de retourner en entreprise. Il lui paraissait normal, qu’un militant, un responsable syndical puisse retrouver le monde de l’entreprise.
Quelle est la différence entre la charte globale de l’engagement pour le progrès, le global compact, et la global charter ?
Ce sont deux choses complètement différentes. La Global Charter s’inscrit dans le prolongement du programme en « excellence de sécurité » développé par la profession au niveau mondial juste après l’accident dramatique de Bhopâl en 1984, qui a fait des milliers de victimes. L’accident a conduit à la disparition de l’entreprise « Union Carbide ». Le seul nom de l’entreprise était devenu insupportable à la profession et au marché. A cause ou grâce à ce choc, la profession a décidé de définir un code de bonne conduite en matière de sécurité et d’hygiène appelé le « responsible care » auquel les entreprises chimiques étaient conviées à adhérer d’une manière volontaire. Rhodia a adhéré immédiatement. La Global Charter en est une version « sévèrisée » que nous avons signée fin 2006. Le Global Compact est le pacte mondial de l’ONU dont nous sommes également adhérents.
C’est un ensemble de dix principes qui portent sur les droits humains fondamentaux, le respect de l’environnement, les règles anti-corruption. Chaque année, les entreprises signataires sont invitées à mettre en ligne sur le site intranet du Global Compact les actions de progrès qu’elles ont développées durant l’année écoulée.
Dans quelle mesure cela ressort-il dans vos stratégies, vos actions ?
Le développement durable est un concept relativement neuf, dont la compréhension et la réalité de prise en charge peuvent être différentes d’une entreprise à l’autre. Ces différences sont d’ailleurs critiquées notamment par les ONG et sont observées et évaluées par les agences de notations extra financières comme VIGEO pour l’Europe, ou le « Dow Jones sustainability index » au niveau mondial. La dernière notation de VIGEO distingue ainsi Rhodia comme leader du secteur Chimie.
Nous sommes partis relativement tôt dans la démarche de développement durable. Nous avons engagé cette démarche en 1999 ; le premier rapport est celui de 2000.Soulignons qu’en 2002, sur 50 000 multinationales, seules 2 000 sortaient un rapport autre que financier. Si nous remontons plus loin, c’est en 1992 que Rhône Poulenc, ancêtre de Rhodia, a diffusé son premier rapport « environnement ». Cet engagement précoce s’est appuyé sur une solide culture de sécurité.
Depuis les années 70 notre groupe a développé une politique très exigeante en matière de sécurité au travail. Cette politique, régulièrement renforcée, fait que Rhodia a aujourd’hui les meilleurs résultats en France et se place dans les 3, 4 meilleurs mondiaux. Nous avons moins d’un accident de travail par million d’heures travaillées, soit un taux de fréquence de 0,7 % pour les accidents avec arrêts de travail. Ce taux couvre bien évidemment les salariés Rhodia mais également les personnels intervenants sur nos sites (sous-traitants, intérimaires, etc …) car nous considérons que l’appréciation de la sécurité doit prendre en compte tous ceux qui travaillent chez nous.
Est-ce qu’il y a eu d’autres actions ?
En plus de cette expertise, en matière de sécurité, Rhodia est également doté d’une forte culture de dialogue. Dialogue avec les salariés et leurs représentants bien entendu. Mais dialogue aussi avec les riverains de nos sites et c’est très important car la transparence sur la réalité de nos risques et les modalités de leur maîtrise est le fondement d’une relation de confiance qui conditionne notre licence d’opérer.Au plan environnemental nous sommes un des acteurs industriels principaux du protocole de Kyoto.
Cet intérêt pour le problème que pose l’effet de serre remonte aux années 90. Dès cette date, des ingénieurs se sont penchés sur le fait que dans la chaîne de fabrication de l’acide adipique, qui rentre dans la fabrication du nylon, nous émettons du protoxyde d’azote. Ce N2O est un gaz non toxique mais il a un pouvoir réchauffant 310 fois plus élevé que le CO2. Face à cela l’entreprise a investi 100 millions de francs de l’époque dans un projet qui depuis 1997 nous permet de réduire de 80% les émissions de N2O par tonne d’acide adipique produit.
Comment se traduit cet engagement ?
L’engagement de Rhodia en faveur du développement durable s’apprécie aussi au regard de sa permanence dans le temps en dépit des difficultés traversées par le Groupe. En 2003 nous étions au bord de la faillite, et bien des raisons pouvaient conduire à stopper ou ralentir notre action. Or nous avons décidé d’aller plus loin et plus fort dans le développement durable, en construisant un programme que nous avons baptisé Rhodia Way. Ce programme inscrit notre démarche au cur des processus managériaux. Il se décline sous la forme d’un référentiel de responsabilités par parties prenantes (clients fournisseurs, investisseurs, employés, communautés, environnement).
Face à chacune d’elles nous définissons des ambitions de responsabilité ; chaque ambition renvoie à des bonnes pratiques qui sont classées sur une échelle à quatre niveaux, allant du basique à l’excellence. La grille ainsi formée permet aux managers de Rhodia, partout dans le monde, de réaliser l’auto évaluation des pratiques, de leur entité et d’en repérer les limites pour définir un plan de progrès.
Rhodia Way est en lien avec Ambition 2010 ?
« Ambition 2010 » est un plan qui participe au renouveau de Rhodia. Rhodia Way prend sa part de cet effort mais constitue une démarche de responsabilité permanente.
Le développement durable est-il un point majeur de différenciation face à vos concurrents ? Quels sont vos rapports avec les différentes parties prenantes ?
Nous pensons en effet que l’engagement dans la voie du développement durable et la qualité de cet engagement vont s’affirmer de plus en plus comme un discriminant relationnel. Cet engagement rapproche déjà les entreprises qui le partagent et resserre les liens entre l’entreprise et ses parties prenantes car le niveau de responsabilité qu’appelle le développement durable ne peut être atteint seul.
A l’interne, l’implication des salariés est une absolue nécessité et à l’externe c’est l’exigence d’un dialogue renforcé avec les riverains, les fournisseurs et les clients. Le transport des produits est ainsi pour nous un risque très important et si l’on considère que nous ne possédons pas les camions et que les chauffeurs ne font pas partie de nos employés, on voit aisément l’enjeu que constitue la responsabilité de nos transporteurs.
Sur votre brochure d’entreprise, il est indiqué « Développer l’employabilité sur le volet social » : qu’est ce que cela signifie ?
Cela concerne la bonne gestion des Ressources Humaines, pour assurer le développement des compétences et l’évolution de carrière. Ce qui intéresse les jeunes étudiants qui choisissent Rhodia, c’est que nous sommes un groupe mondial dans lequel on peut évoluer dans des spécialités différentes mais également circuler entre différentes zones géographiques. Le Groupe a conduit sa restructuration en privilégiant le reclassement des salariés concernés.
Dans cet effort, le profil d’employabilité des personnes est un atout essentiel. C’est un élément de la performance du groupe et c’est également la meilleure façon de rendre service à nos salariés. Dans un contexte d’évolution permanente de l’entreprise, la meilleure garantie pour un salarié, c’est en effet de relever constamment le niveau de son employabilité, et nous l’y aidons.
De quel projet en particulier, êtes vous le plus fier ?
C’est bien sûr d’avoir mené à bien la construction de Rhodia Way ; que le groupe ait choisi de le faire et que nous y soyons parvenus dans une période de crise.
Quels conseils donneriez-vous aux entrepreneurs qui souhaitent investir dans le développement durable ?
Il n’y a pas d’avenir pour les entreprises, et plus particulièrement pour les entreprises à risques comme la chimie, en dehors du développement durable. Le développement Durable est certes un cadre d’exigences mais il est aussi un espace d’opportunités. Les problèmes que doit affronter la planète sont souvent nés du développement industriel et le paradoxe est que l’industrie est aussi la source principale des solutions à apporter. Quelque part le développement durable est le moteur de l’industrie parce qu’il faut produire des solutions nouvelles ; Industrie des industriels, la chimie a un rôle important à jouer pour aider ses clients, à répondre aux enjeux de responsabilité qui sont les leurs.
Des marchés nouveaux se dégagent. Prenez par exemple le pneu vert rendu possible grâce aux silices de Rhodia ou encore celui de la dépollution des gaz d’échappement des véhicules. Deux marchés où Rhodia est leader et qui n’existaient pas avant les exigences posées par le Développement Durable. Il faut être attentif aux marchés que dégagent les attentes en matière de responsabilité. Beaucoup de produits que nous connaissons aujourd’hui vont disparaître. Les comportements vont profondément changer et des besoins nouveaux vont naître. Le développement durable n’est pas la fin de l’industrie, c’est sa réinvention.