Ce mois-ci, je vous propose de découvrir le regard que portent sur la franchise trois jeunes philosophes et étudiantes de la formation Ethires (formation professionnelle en éthique appliquée de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne), Camille, Chloé et Stéphanie.
Dans le cadre de leur master, les élèves d’Ethires réalisent des missions visant à analyser des problématiques concrètes et contemporaines sous un angle éthique. Dans un premier temps, je leur ai donc décrit le monde de la franchise tel que je le percevais afin de leur permettre de se faire une première idée du secteur et d’identifier plusieurs problématiques. Puis, dans un second temps, pour choisir l’une de ces problématiques, l’étudier et y répondre, elles ont interviewé différents acteurs de la franchise (pro-franchiseurs et pro-franchisés). Elles nous livrent dans l’article ci-dessous le fruit de leurs réflexions.
Du droit d’entrée de la franchise
Les droits d’entrée sont-ils la seule chose à payer pour se lancer en franchise ? Qu’en est-il des coups collatéraux ? N’y a-t-il pas un impensé dans un système qui se veut une collaboration entre deux entrepreneurs indépendants mais qui, dans les faits, s’assimile plus à un rapport de force entre une tête de réseau toute puissante et des franchisés la plupart du temps nouveaux-venus dans le monde de l’entreprenariat ? C’est avec ces questions en tête que nous nous sommes lancées dans le monde disparate de la franchise.
Un œil neuf pour juger des discours totalement différents
En tant que philosophes et chercheuses en éthique appliquée, c’est d’un œil neuf que nous avons scruté les bas-fonds de cet univers : nous sommes allées à la rencontre d’acteurs sur le terrain, franchisés et franchiseurs, salon de la franchise, représentants de la Fédération Française de la Franchise et avocats spécialisés. Nous avons tout d’abord été frappées par les clivages qui fracturent ce monde : selon que l’on se situe du côté pro franchisé ou pro-franchiseur, le discours change radicalement. D’univers impitoyable, la franchise se transforme en monde merveilleux où les rapports s’harmoniseraient d’eux-mêmes grâce à des intérêts communs. Pourtant, au cours de nos entretiens et recherches, nous avons pu remarquer, notamment en étudiant la jurisprudence, un nombre conséquent de conflits témoignant une divergence notoire d’intérêts : la main d’Adam Smith semble bien invisible en franchise !
Les outils juridiques pour gérer le rapport de force ?
Pour rééquilibrer ces relations dissonantes, une solution semblait s’imposer à nous : passer par un renforcement législatif . Cependant, aussi divergentes que furent les réponses des différents acteurs lors de nos entretiens, une voix commune a émergé : ce n’est pas au niveau de l’encadrement juridico-législatif qu’il faut agir. Les outils juridiques sont suffisants pour baliser le chemin tout en conservant une souplesse nécessaire : comment alors gérer le rapport de force ?
Relations entre franchise et confiance
La clef de l’impensé en franchise nous est apparue dans l’ambivalence même du terme : la franchise renvoie également à la vertu morale de transparence, ainsi qu’à la confiance. Elle est une forme d’association entre indépendants : apprendre à gérer l’humain semble bien plus essentiel qu’apprendre à gérer le droit. Or confiance n’est pas crédulité, elle suppose la mobilisation d’une aptitude à raisonner et à évaluer le degré de transparence des informations reçues.
Cependant, nous avons découvert qu’il existait un véritable profil de franchisé : souvent il s’agit d’anciens cadres licenciés désireux de retrouver leur niveau de vie. Les franchisés semblent alors être victimes de ce que le sociologue Christian Salmon appelle le storytelling : au lieu d’entrer dans le contrat de franchise en mobilisant leur raison, ils y entrent en mobilisant leurs émotions, persuadés qu’ils vont s’insérer dans un scénario de succès, car la franchise est avant tout un système de séduction. « Dès que l’on croit aux dieux, ils apparaissent » disait Alain…
Des franchisés qui doivent s’unir
C’est pourquoi il nous semble nécessaire que les franchisés prennent conscience, qu’unis, ils ont un pouvoir de négociation bien plus important que lorsqu’ils s’isolent et qu’ils sont donc à même de nouer une relation équilibrée avec leur franchiseur. La franchise gagnerait à se penser comme une coopération où plusieurs personnes bâtissent concrètement une œuvre commune ensemble, plutôt que comme une collaboration, dont les intérêts des différents acteurs ne convergent d’ailleurs peut-être pas de façon si évidente.
C’est un des paradoxes de ce monde d’être un système basé sur l’indépendance, mais innervé de part en part par la nécessité morale du lien de confiance. Une simple mathématique de la confiance montre que celle-ci, loin d’être une preuve de vulnérabilité, est un facteur de rentabilité qui accélère le développement. Ce n’est pas seulement la franchise qui est en jeu dans la réflexion sur l’essence morale des relations, mais les nouvelles formes d’organisation du travail vers lesquelles notre société s’engage progressivement.
Des risques non pris en compte pour le franchisé
Subsiste tout de même une interrogation : si le droit du travail accorde une protection au salarié, allant jusqu’à le protéger dans les cas où il s’est lui-même mis en difficulté, pourquoi le code de commerce ne prend-il pas en considération les dangers existants en franchise, y compris les risques que prennent eux-mêmes des franchisés peu conscients des réalités ? Pourquoi considère-t-on le franchisé d’emblée comme un professionnel, alors qu’il s’agit majoritairement de personnes en pleine reconversion, souvent novices dans le monde du commerce ?
Un système de contrôle basé sur des évaluations plutôt que des sanctions, tels que l’on peut en trouver dans certains services publics (comme l’éducation nationale) limiterait pourtant la prolifération de franchises défectueuses ou abusives. La création d’un espace fédérant franchisés et franchiseurs, qui serait un véritable pôle de discussion, de partage, de co-réflexion entre franchises de toutes spécialités rééquilibrerait également un monde où la voix dominante reste indéniablement celle du franchiseur. Enfin, un code de déontologie co-écrit par franchiseurs et franchisés, et étendu gratuitement et obligatoirement au monde entier de la franchise nous a semblé être, mieux encore qu’une priorité, une exigence.