Lorsqu’on parle de création d’entreprise, l’image dominante reste celle d’un projet neuf, bâti de zéro. Pourtant, en France, des centaines d’entreprises en difficulté changent de mains chaque année, souvent pour repartir sur des bases solides. Le rachat d’une société en redressement judiciaire reste un levier méconnu par de nombreux entrepreneurs, malgré les avantages qu’il offre : accès à des actifs existants, clientèle fidèle, savoir-faire établi, et conditions financières attractives. Certaines entreprises françaises ont fait de cette stratégie un moteur de leur croissance.
Une reprise facilitée par un cadre juridique clair
La procédure de redressement judiciaire en France est encadrée par des règles précises, qui permettent aux repreneurs potentiels de proposer un plan de cession partielle ou totale des actifs. Ce cadre offre une protection juridique appréciable : le repreneur n’est pas tenu des dettes antérieures, sauf exceptions spécifiques. L’exemple de l’enseigne André est emblématique. Placée en redressement en 2020, la marque de chaussures a été partiellement reprise par le groupe 1Monde9, dirigé par Frédéric Planchon. Ce dernier a conservé une partie des magasins et des salariés, tout en recentrant l’offre pour redonner un élan à la marque.
La reprise en redressement permet ainsi de capitaliser sur des éléments existants – notoriété, points de vente, contrats – tout en reconfigurant l’activité sans être entravé par les engagements passés. Ce mécanisme constitue un tremplin intéressant pour des entrepreneurs qui souhaitent accélérer leur développement sans partir d’une feuille blanche, tout en limitant les risques financiers.
Acheter à la juste valeur sans subir l’historique
Le cas du rachat de La Halle par Beaumanoir en 2020 illustre également les opportunités qu’offre un redressement judiciaire bien négocié. Le groupe breton a repris plusieurs centaines de magasins et environ 2 500 salariés de La Halle, en pleine déconfiture après des années de gestion compliquée. Beaumanoir n’a pas repris l’intégralité du passif ni les filiales déficitaires, concentrant son offre sur les actifs jugés stratégiques.
Cette approche sélective permet aux repreneurs de bénéficier d’un effet de levier : acquisition d’actifs à un coût inférieur à leur valeur initiale, sans l’héritage des erreurs passées. Cela exige une analyse fine du dossier – actifs, personnel, clientèle, environnement concurrentiel – mais offre une marge de manœuvre considérable pour reconstruire une activité pérenne. Loin d’être une opération risquée par nature, le rachat en redressement est souvent un investissement rationnel pour qui sait évaluer rapidement et précisément les enjeux.
Transformer un échec apparent en accélérateur de croissance
En 2017, la PME française Faguo, spécialisée dans la mode écoresponsable, a saisi l’opportunité de renforcer son réseau de distribution en rachetant certains magasins d’enseignes en difficulté. En ciblant des emplacements de qualité et des structures existantes, Faguo a pu développer sa présence physique à moindre coût, tout en maîtrisant sa stratégie commerciale et en adaptant les espaces à son identité de marque.
Ce type de rachat pragmatique transforme un passif apparent – un local vide, une clientèle en déshérence – en actif utile pour une stratégie d’expansion rapide. Il permet d’économiser sur les coûts d’installation, d’acquérir des contrats de bail avantageux et de bénéficier d’un certain effet de curiosité de la part d’une clientèle locale habituée à la présence du lieu. Le rachat en redressement devient ainsi un outil d’implantation stratégique, particulièrement pertinent dans un contexte de saturation des meilleures localisations commerciales.
S’adosser à un savoir-faire existant
Dans l’agroalimentaire, la reprise de l’entreprise alsacienne Poulaillon par ses propres cadres dirigeants, après une période difficile, montre que racheter en redressement peut aussi permettre de préserver et d’exploiter un savoir-faire unique. Plutôt que de laisser l’entreprise sombrer, les repreneurs ont soutenu un plan de continuation, restructuré l’offre et redynamisé la marque sans sacrifier l’héritage de qualité qui avait fait son succès.
S’adosser à un savoir-faire existant, à des équipes formées et à une organisation déjà en place permet de réduire drastiquement le temps de mise en œuvre opérationnelle après la reprise. Cela offre un avantage concurrentiel immédiat : l’entrepreneur ne part pas de zéro, il s’appuie sur une base tangible, qu’il s’agit d’améliorer et de repositionner. Cet ancrage permet aussi de conserver un capital humain précieux, souvent sous-estimé dans les évaluations financières classiques.
Bénéficier d’un accompagnement renforcé
Les Chambres de Commerce et d’Industrie (CCI), ainsi que les tribunaux de commerce, jouent un rôle clé dans la transmission des entreprises en difficulté. Ils facilitent l’accès aux informations, organisent des audiences de présentation des plans de cession, et peuvent orienter les repreneurs vers des experts spécialisés. En 2021, à l’occasion de la reprise partielle de l’enseigne Camaïeu par Financière Immobilière Bordelaise, le tribunal de commerce de Lille a permis une opération rapide, structurée et accompagnée, réduisant les risques d’ombre au tableau juridique ou social.
Cet accompagnement institutionnel rassure les investisseurs potentiels. Il permet d’anticiper les problèmes juridiques, de négocier les conditions sociales et de bénéficier d’une relative transparence sur la situation financière réelle. C’est un aspect souvent sous-évalué par les entrepreneurs, alors même qu’il constitue un avantage considérable par rapport à une acquisition classique, où l’information est souvent asymétrique.
Profiter d’une dynamique de marché favorable
L’augmentation récente des procédures de redressement judiciaire ouvre un champ d’opportunités inédit pour les entrepreneurs capables d’agir vite et de manière ciblée. En 2023, selon l’Observatoire Altares, le nombre de défaillances d’entreprises en France a progressé de 35 % par rapport à l’année précédente, touchant aussi bien des TPE que des PME structurées. Ce phénomène n’est pas seulement un signe de fragilité économique, il crée aussi un vivier d’actifs, de savoir-faire et de marques disponibles dans des conditions avantageuses.
Certaines entreprises ont déjà compris l’intérêt de cette situation pour se renforcer ou se diversifier. Ainsi, le groupe automobile français Emil Frey a racheté plusieurs concessions en difficulté pour étoffer son réseau sans engager les coûts de développement d’implantations neuves. Le redressement devient ici un levier d’expansion rapide, permettant de capter de nouvelles parts de marché à moindre investissement initial, tout en bénéficiant de structures existantes prêtes à redémarrer.