Interview de Thierry Tea, fondateur de Tearus, qui après avoir quitté la France revient pour investir et faire bouger l’économie française.
Quel est votre parcours (estudiantin, professionnel et personnel) avant la création de votre entreprise ?
Diplômé de Novancia et de l’Inseec Paris avec des échanges à Drexel University à Philadelphie et Nanyang Polytechnic à Singapour, j’ai travaillé à Hong Kong puis Shanghai avant de revenir à Paris pour Airbus Helicopters. J’ai poursuivi à 22 ans avec la vente de mon premier hélicoptère lors de mon VIE à Singapour en étant responsable commercial, couvrant Hong Kong, la Micronésie et les Philippines. Après 18 hélicoptères vendus en 3 ans, j’ai pris la direction d’Airbus Helicopters Philippines à 27 ans, en devenant Président Directeur Général pour redresser la filiale que le siège voulait fermer. L’année suivante j’ai été nommé conseiller du commerce extérieur pour la France ainsi que membre du conseil d’administration de la Chambre de Commerce Française aux Philippines. Avec des résultats qui ont suivi, dont un CA multiplié par 3 en 5 ans et des ventes pour le siège régional de Singapour de 150M usd pour 40 hélicoptères en 5 ans j’ai eu la chance de prendre la Direction de l’ensemble du Groupe Airbus (ex EADS) aux Philippines et de contribuer à la vente de 70 avions pour 9 Milliards de dollars.
Quand avez-vous créé votre propre entreprise ? Dans quel secteur ? Et surtout pourquoi (anecdote, déclic) ?
J’ai voulu créer ma société depuis le collège à Claude Monet. Mes parents sont arrivés en France pour étudier. Mes grands-parents étaient des entrepreneurs à succès avant le conflit géopolitique qui a vu le Cambodge tomber dans les abîmes. Ma famille a tout perdu comme beaucoup de cambodgiens. Mes parents ont dû arrêter leurs études et prendre des petits boulots. Commis de cuisine pour mon père ou femme de ménage pour ma mère, ils ont connu une période très difficile et fait beaucoup de sacrifices avant d’évoluer dans des métiers moins physiques. J’ai toujours voulu redorer l’histoire de la famille mais je ne voulais pas avoir un restaurant ou un magasin d’informatique, cliché des entrepreneurs asiatiques en France. Je voulais travailler pour un grand groupe industriel et j’ai intégré Airbus Group. Ayant rapidement atteint mon objectif de diriger une filiale du groupe en Asie, je ne souhaitais pas rentrer en France. J’ai décidé de quitter Airbus Group pour m’installer au Cambodge, ma femme ayant un projet d’Usine de Riz pour l’export vers l’Afrique. J’avais une opportunité de prendre la direction d’un Fonds d’Investissement. Mes amis et clients, étaient prêts à investir avec moi, mais pas dans un fonds, ils m’ont dit pourquoi ne pas créer ta propre structure. C’est comme cela que j’en suis arrivé à créer Starline Global Industries à Singapour fin 2012 qui est ma holding d’investissements pour rayonner en Asie. J’ai ensuite créé PhilJets Aero Services aux Philippines en Janvier 2013, au début pour garder mon réseau mais très vite nous avons racheté un opérateur d’hélicoptères que nous avons renommé PhilJets Aero Charter.
J’ai finalement créé Agama Investments en 2014 au Cambodge pour investir dans des sociétés comme Parfum d’Indochine (Agribusiness, plantations de Vanille et production d’huiles essentielles), Saint Blanquat & Associates (Ressources Humaines & Formation), TK Orient (Plantations de Mangues) et Capital Management Solutions (Gestion de portefeuille Immobilier). Le fait de passer d’entrepreneur à investisseur représente un challenge intéressant. On apprend énormément. J’ai récemment co-fondé WeCube aux Philippines, un écosystème collaboratif rassemblant incubation, accélération, coaching, mentoring, levée de fonds, et accès à notre réseau.
Enfin, j’ai créé, cette année, Tearus Group en France car le désir de revenir développer des activités en France était grandissant depuis 2 ans. Aujourd’hui nous avons rassemblé une équipe de jeunes banquiers d’affaires (ex Lazars Frères) et de gestionnaires de fonds ainsi que des profils opérationnels afin de reprendre des PME qui souhaitent se développer. Je pense qu’il y a beaucoup de talents et d’expertise en France et nous voulons les faire rayonner à l’international.
Pouvez-vous me donner les chiffres de votre entreprise (date de création, nombre de salariés, chiffre d’affaires…) ?
Tearus Group a été créée en Février 2016 et fait partie du Groupe Starline Global Industries, la holding d’investissements que j’ai fondée à Singapour fin 2012. Nous comptons environ 70 employés (2 à Singapour, 35 aux Philippines, 30 au Cambodge, et 2 en France). Le groupe génère un peu plus de 13 millions d’euros de CA en 2016.
Nous avons commencé PhilJets, notre startup d’aviation qui génère plus d’un 2 millions d’euros de CA aux Philippines. Nous gérons une flotte de 8 hélicoptères qui représente 20 millions d’euros d’actifs.
Tearus Group compte 3 personnes en France. Les fonds sont gérés par l’équipe d’Index Asia, avec Antoine Blanc et Benjamin Blanchard. Astrid Calippe est notre responsable France. Elle est rentrée en France pour prendre la Direction de Tearus après 1 an aux Philippines et 6 mois à Singapour. Nous visons une levée de 30 Millions d’Euros sur 2 ans. La première tranche sera de 5 Millions d’Euros cette année.
Que représente l’entrepreneuriat pour vous ?
Une formidable opportunité de se créer des opportunités. Il n’y a pas de limites, seulement celles que l’on s’impose inconsciemment. C’est la chance de réaliser ce que l’on aime et nous passionne. C’est également la chance de constituer et de faire grandir une équipe à ses côtés afin de partager les joies d’une aventure excitante. On n’a qu’une vie et elle est courte. Il faut en profiter.
C’est la raison pour laquelle j’ai lancé WeCube qui soutient les startup, et puis j’ai investi dans Index Asia une jeune banque d’investissement pour aider des startup ou des sociétés établies à franchir un palier grâce des valorisations et levées de fonds. J’ai accepté de devenir Ambassadeur de la French Tech Philippines afin de mettre en place un écosystème pour les jeunes qui peut leur permettre de se développer.
Quelles ont été les principales difficultés rencontrées ? Et inversement les principales satisfactions ?
Il ne faut pas se leurrer, entrepreneur c’est super dur ! Psychologiquement je pense qu’il est plus facile de ne partir de rien que de quitter une carrière lancée. On a moins d’appréhension car moins à perdre. Le plus dur a été de ne plus avoir son salaire, de revenus réguliers et en parallèle d’avoir à payer les charges et les salaires des employés. La responsabilité est pesante, car beaucoup de monde dépend de nous. Et au début c’est avec notre propre cash que l’on doit jongler. Je connais beaucoup d’amis qui se sont lancés et qui ont dû arrêter à cause de problèmes de trésorerie.
Pour ma part, la volonté de réussir était très forte et malgré les moments très difficiles je me suis accroché car j’ai toujours eu une vision à long terme tout en me focalisant sur des objectifs à courts termes. Ma femme m’a toujours soutenu. Mes parents aussi. Aujourd’hui mon frère et mon cousin ont rejoint PhilJets et cela me permet de continuer à développer les autres activités.
La grosse satisfaction est de bâtir pour les prochaines générations. On va tous mourir, et on n’emportera pas l’argent avec nous, c’est sûr. Alors le fait de pouvoir changer la vie de familles entières car on apporte et développe des opportunités, c’est un sentiment de fierté. Je pense aussi à ma fille de 9 mois, qui verra un monde différent dans 20-25 ans. Je veux lui laisser des valeurs d’absence de crainte, de charité et de compassion que l’on retrouve dans la philosophie bouddhiste.
Comment vous êtes-vous financé ?
A 90% sur fonds propres. J’ai commencé avec 3,000 euros investis. Et ensuite j’ai essayé de vendre tous les produits et services ce que je pouvais. J’ai également pu compter sur des proches pour co-investir lors du développement. Je remercie Florian Pacquelin pour le début de PhilJets, Pierre Nardelli et Barbara So pour la première prise de participation d’Agama Investments, dans Parfum d’Indochine.
En général, il fallait gagner des contrats et vendre. Notre force est le commercial, le marketing, les réseaux et le développement international. C’est ce que l’on souhaite apporter à des PME en France à présent avec Tearus Group.
Comment conciliez-vous vie professionnelle et vie personnelle ?
C’est très dur. Je n’ai pas vu ma femme et ma fille depuis 2 mois et demi car je suis en Asie et elles en Afrique. Il me tarde de les retrouver. Ma femme est également entrepreneuse. Nous nous accordons des moments de qualité où nous déconnectons.
En revanche, lorsque nous travaillons, le pro et le perso sont interconnectés. Beaucoup de relations professionnelles deviennent personnelles. Il m’est arrivé de faire des déjeuners d’affaires à Manille avec ma fille même lorsqu’elle avait 3 mois seulement ou encore de l’emmener en voyage d’affaires à Kuala Lumpur à 5 mois.
Avez-vous une anecdote à partager ?
J’ai tellement d’anecdotes que je crois que je pourrais écrire un livre, ça pourrait être marrant d’ici 3-4 ans et de le faire avec ma fille!
Quel conseil donneriez-vous à un entrepreneur qui se lance pour réussir ?
Etre ambitieux, croire en soi et conserver de l’humilité. J’ai rencontré beaucoup de milliardaires et la plupart d’entre eux sont très humbles. Surtout les self-made men.
Savoir partager, déléguer. Prendre du recul même si c’est difficile. Persévérer et apprendre de ses erreurs. Communiquer et échanger. Surtout continuer à avancer malgré les problèmes et les obstacles. Savoir se remettre en question, car comme ce que je dis à mes équipes, la seule chose de permanent est le changement. Il faut savoir s’adapter et changer de cap si nécessaire. Se souvenir d’où on vient.
Quelles sont les perspectives d’avenir pour votre entreprise ?
Si je vous dis que la vision est de devenir un groupe de 22 Milliards d’Euros de CA d’ici 20 ans, vous me prendrez pour un fou. Mais en fait, il est plus facile de gérer un grand groupe qu’une startup ou une PME. Si on se donne des objectifs, en général on les atteint. Donc pourquoi ne pas augmenter la taille de l’objectif ? J’espère vous reparler dans 15 ans et vous dire qu’on a déjà dépassé notre objectif. Si non, on aura pris du plaisir en essayant!
Pensez-vous vous développer à l’international ?
Nous avons commencé à l’international, c’est notre force. J’ai constitué une équipe pour revenir en France et accompagner des PME ou startup dans leur développement international grâce à notre réseau et nos expertises de Grand Groupes avec un esprit entrepreneurial.
Si des Fondateurs ou Patrons nous lisent et sont intéressés pour céder ou nous accueillir, sachez que nous sommes prêts à collaborer pour pérenniser votre PME.
Pensez-vous à effectuer des levées de fonds ?
Nous avons financé le début de Tearus Group sur fonds propre. Nous sommes en phase de levée de fonds actuellement en Asie et comptons finaliser d’ici la fin de l’année. Notre objectif est d’obtenir environ 5 Millions auprès d’investisseurs d’Asie du Sud Est pour consolider et redévelopper du savoir-faire français et de l’exporter. A termes, nous visons en portefeuille de 50 millions d’euros.