Depuis la découverte du blanchiment de 230 milliards de dollars, majoritairement de l’argent russe, par un employé estonien de la Danske Bank l’an dernier, les scandales s’accumulent au sein de l’Union européenne. Dernièrement, l’affaire dite du « Caviargate » a également fait la une. On apprenait ainsi en avril 2018 qu’une douzaine de membres actuels ou anciens de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE), une institution chargée de veiller au respect des droits de l’homme, de la démocratie et de la primauté de droit, auraient bénéficié de largesses des autorités azerbaïdjanaises en échange d’un lobbying musclé en faveur de ces dernières.
Ces eurodéputés auraient ainsi touché de nombreux avantages (quelque 50 000 dollars, des voitures, des prostituées, du caviar, des tapis et des nuits dans des hôtels de luxe de Bakou …) pour voter, en janvier 2013, contre un rapport dénonçant la situation des prisonniers politiques en Azerbaïdjan. Ils auraient également vanté la situation économique de cette ex-république soviétique à des investisseurs. La révélation de cette manigance a forcé l’ancien Président de l’APCE, l’espagnol Pedro Agramunt, à démissionner, tandis que plusieurs autres membres de l’APCE sont sur la sellette. « Les parlementaires impliqués sont invités à suspendre leur activité pendant qu’une commission examine leur situation au cas par cas » a sobrement indiqué le nouveau dirigeant de l’institution, Michele Nicoletti.
Les ports francs, au cœur de la fraude
Ces révélations ont donné le signal de départ à une vaste enquête réalisée par le think tank du Parlement européen, l’European Parliamentary Research Service, à la demande de la Commission européenne. Le document se penche notamment sur le rôle des ports francs dans la corruption des eurodéputés membres de l’APCE. Il tire à boulets rouges sur ces zones non soumises au service des douanes. L’institution les considère comme un outil majeur de facilitation de la fraude au sein de l’espace unique européen.
Le rapport pointe du doigt des entrepôts gigantesques, où s’entassent des œuvres d’art, des grands crus, des voitures de collection et autres produits de luxe. Ils seraient régulièrement utilisés par des sociétés écran pour réaliser des transactions sans réel contrôle ni aucune taxe. L’Administration de l’Enregistrement et des Domaines (l’administration fiscale luxembourgeoise) les a d’ailleurs reconnus comme des structures à « haut risque » pour le blanchiment d’argent, comme le rappelle le rapport.
A titre d’exemple, l’étude cite le port franc de Genève, qui à lui seul regroupe plus de 100 milliards de dollars d’œuvres d’art. Ce complexe était la propriété du marchand d’art suisse, jusqu’en 2017, année où il décide de revendre ses actions en réaction à un renforcement de la transparence sur ces structures, voté par le Parlement suisse. Le « roi des zones franches » est également détenteur d’autres ports francs au Luxembourg et à Singapour.
Un empire qui vacille
il fait partie des figures qui tiennent les plus gros ports francs européens. Le premier a été impliqué dans un scandale de corruption révélé par le journal EU Reporter en novembre dernier, et le second est accusé d’avoir volé des œuvres appartenant à la famille Picasso. Un francais ferait, quant à lui, l’objet d’un nombre croissant de plaintes par ses clients depuis 2015, où il est suspecté de fraudes pour une valeur estimée d’un milliard d’euros.
il aurait par ailleurs été arrêté en 2015, suspecté d’avoir pris part à un vaste système de blanchiment d’argent. Il a également dû verser 30 millions de dollars de caution la même année pour être libéré dans l’affaire Catherine Hutin-Blay – du nom de la belle-fille du peintre espagnol Picasso
Dauvergne dirige pour sa part Le Freeport, un port franc massif, actuellement dans le collimateur des autorités luxembourgeoises. L’ancien agent des douanes français, ex-adjoint au chef du bureau de lutte contre la fraude, compte en effet parmi ses proches l’homme d’affaires azéri à la réputation douteuse Khagani Bashirov, avec lequel il a collaboré au Luxembourg, à Chypre et au Royaume-Uni dans au moins 13 sociétés. La nature des liens entre le Français et ces entreprises impliquées dans le scandale de blanchiment qui touche l’Azerbaïdjan fait actuellement l’objet d’une enquête – même si Dauvergne assure collaborer avec les autorités fiscales et douanières luxembourgeoises pour contrôler ses clients.
Un manque de volonté politique
Si cette série de scandales a renforcé la volonté de contrôler les ports francs, certaines hautes figures de l’administration bruxelloise continuent à les défendre. C’est notamment le cas du Président de la Commission européenne, le luxembourgeois Jean-Claude Junker, et de Pierre Moscovici, Commissaire européen aux affaires économiques et monétaires, à la Fiscalité et à l’Union douanière. Si ce dernier reconnait que ces derniers ont pu servir de couverture pour des « activités indésirables », ils n’en demeurent pas moins des outils de commerce importants à ses yeux.
L’attitude de ces deux ténors a d’ailleurs été décrite comme « condescendante » et « dédaigneuse » par l’eurodéputé Wolf Klinz, de la Commission spéciale sur la criminalité financière, la fraude fiscale et l’évasion fiscale (TAX3). Il déplore leur manque de coopération dans son enquête. Mais la situation pourrait bien évoluer. En mars dernier, le plan proposé par la commission TAX3, visant à progressivement démanteler les ports francs, a été approuvé au Parlement européen par 505 votes pour, 63 contre. Cela souligne « une volonté sérieuse de faire la lumière sur les activités frauduleuses et les irrégularités » entourant les ports francs, a noté Klinz.
« Les mécanismes d’enquête sur la fraude fiscale en Europe sont nuls » estime sans ménagement L. Burke Files, président de l’institut américain de lutte contre la corruption, dans un commentaire à propos de ces affaires. « Les lois anticorruption actuelles ne fonctionnent pas » regrette-t-il. Le constat est sévère, mais ce dernier reconnait que la situation est à peine meilleure dans son propre pays. Burke appelle donc à créer « un environnement dans lequel le crime n’est pas toléré ». Dont acte ?