Entretien exclusif avec Patrick Thélot, fondateur du groupe Armonia, leader européen de l’externalisation des prestations d’accueil qui génère un chiffre d’affaires de 250 millions d’euros.
Comment est née votre entreprise ?
Après mon diplôme de l’ESSEC en 1974, j’ai décidé de me lancer dans l’entrepreneuriat. Je ne savais pas quoi faire, mais je savais ce que je ne voulais pas faire ! Rentrer en tant que salarié dans une entreprise, comme l’ensemble de mes camarades de promotion, ne me convenait pas. Je voulais être libre pour réaliser les projets de mon choix et demeurer seul responsable de mes échecs ou de mes succès. à l’époque, le secteur des nouvelles technologies n’existait pas, c’est pourquoi je me suis lancé dans les services peu demandeurs en capitaux.
En quoi consiste l’activité principale d’Armonia ?
Le groupe est l’une des trois grandes divisions de la holding Sofinord. Il regroupe une vingtaine de sociétés dont Phone Régie qui demeure la plus ancienne et la plus importante. Sa principale activité reste l’externalisation des prestations d’accueil dans les entreprises, les événements, les musées et les aéroports. La deuxième division de Sofinord est le groupe ICTS, racheté il y a deux ans. Ce dernier est leader en Europe dans la sûreté aéroportuaire, réalise un chiffre d’affaires de 350 millions d’euros et emploie 10 000 salariés. Le groupe KS constitue la troisième et dernière division. Il est le leader mondial de la gestion de personnel des ateliers en haute couture et en prêt-à-porter. Il réalise, quant à lui, près de 60 millions d’euros de chiffre d’affaires pour 1 000 salariés.
Comment l’entreprise a-t-elle évolué ?
Quand je me suis lancé, nous avions déjà de nombreux concurrents dans ce secteur. Les trois premières années ont été capitales pour la survie de l’entreprise. C’est d’ailleurs le cas pour tout entrepreneur ! Malheureusement, l’immense majorité met la clé sous la porte pendant ce laps de temps car ils se trompent de priorité. J’ai toujours privilégié la démarche commerciale à toute autre démarche car je considère que c’est le client qui me fait vivre. Sans lui, un entrepreneur n’est rien. Passé le cap des trois ans, j’ai continué à travailler durement pendant 15 autres années jusqu’à devenir leader sur le marché européen. Nous avons réalisé, toutes divisions confondues, 660 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2014 et embauchons 18 000 personnes. Nous prévoyons de recruter 10 000 salariés supplémentaires dont un tiers en CDI cette année et nous visons 700 millions d’euros de chiffre d’affaires fin 2015 hors croissance externe.
Quelles sont les clés pour devenir leader ?
Il s’agit d’un ensemble d’ingrédients qui mène à la bonne recette. Nous avons énormément travaillé sur notre image de marque. Pour réussir, il faut instaurer des processus qui font autorité. Ceux-ci visent un seul objectif : offrir la meilleure qualité de service aux clients pour qu’ils aient envie de travailler avec nous. Un autre point important reste le dynamisme commercial, qui passe notamment par le recrutement de commerciaux de grande qualité. Il ne faut pas hésiter à prendre des risques. Par exemple, lorsque nous avons investi au Maroc, nous ne savions pas si cela profiterait à l’entreprise mais nous pensions intuitivement qu’il fallait y aller pour nous ouvrir au marché Africain. L’entreprise possède un climat social et une politique salariale de qualité. Il s’agit d’un facteur capital. Si je n’ai pas eu un seul jour de grève en quarante ans, ce n’est pas un hasard !
Vous êtes toujours le seul actionnaire de votre entreprise. Pourquoi ?
J’ai toujours voulu transmettre l’œuvre de ma vie à mes enfants. En étant seul actionnaire, c’est plus facile de léguer l’entreprise à la 2e génération pour continuer à la voir grandir jusqu’au terme de ma vie. Cela me confère une totale liberté dans la réalisation des projets que j’ai envie de mener. Par exemple, nous affectons une somme significative de 500 000 euros par an en France et à l’étranger dans une activité de mécénat. Si je disposais d’associés, même minoritaires, ils ne seraient peut-être pas d’accord pour allouer cette somme. Je n’ai de compte à rendre à personne, ce qui demeure essentiel dans ma vision d’entrepreneur.
Justement, quel type de chef d’entreprise êtes-vous ?
Je suis très à l’écoute à la fois des clients et des équipes internes qui composent la richesse essentielle de l’entreprise. Je communique beaucoup avec mes managers en leur expliquant mes décisions et ma stratégie. L’entreprise dispose d’une Charte de qualité qui contient des valeurs auxquelles tous les salariés doivent adhérer au moment où ils commencent à travailler pour nous. D’autre part, je prends du recul par rapport à la réalité quotidienne du métier. Je n’hésite pas à déléguer et à faire confiance à mes collaborateurs. Je me considère comme un chef d’orchestre qui doit tout mettre en musique !
Avez-vous changé de management au fil des années ?
Non, je ne crois pas. Certes, je ne réalise pas les mêmes tâches qu’il y a quarante ans lorsque j’ai débuté. à cette époque je faisais tout : commercial, finance, communication, exploitation, RH, informatique… Aujourd’hui, il existe des personnes dans lesquelles j’ai confiance, qui s’occupent de tout cela. Cependant, je n’ai pas modifié ma ligne managériale qui consiste à expliquer la stratégie en sachant communiquer, féliciter mais aussi faire adhérer et recadrer les choses quand elles ne fonctionnent pas bien.
Vous avez mis en place une politique sociale et salariale de qualité. Comment y parvient-on ?
La moyenne d’âge de nos effectifs est de 28 ans. Partant de ce constat, nous nous sommes demandé quelle était la problématique d’un jeune aujourd’hui pour répondre à ses attentes. Le logement est un problème crucial dans les grandes villes, particulièrement en région parisienne. Il est à la fois cher et compliqué de trouver de quoi se loger lorsque l’on ne dispose pas de garantie financière suffisante. C’est pourquoi le groupe Armonia se porte caution auprès des propriétaires sur les loyers de ses collaborateurs, pourvu qu’ils aient au minimum un an d’ancienneté dans l’entreprise. Il s’agit d’une mesure très appréciée par nos équipes.
Quelles sont vos perspectives d’avenir ?
Nous allons poursuivre la stratégie du groupe en développant à la fois la croissance interne et externe. Nous devons être capables de signer des accords nationaux et européens avec les grands donneurs d’ordre. Le développement à l’international reste très important dans notre stratégie. Il demeure essentiel d’imposer notre marque dans les grands pays d’Europe car notre métier est avant tout basé sur la proximité. Nous visons 1 milliard de chiffre d’affaires d’ici cinq ans !
les Conseils de Patrick Thélot
- Ne pas chercher à être le plus innovant du monde. Tout le monde n’est pas Bill Gates. Il faut s’inspirer ou améliorer les idées qui fonctionnent.
- Favoriser toujours le client. L’essentiel de votre temps doit être consacré à la recherche des clients.
- Bien choisir son marché. Votre projet doit correspondre à celui-ci et favoriser toujours la qualité.
- Consacrer l’essentiel de ses moyens au développement de l’entreprise. Ne faites pas l’erreur de louer des beaux bureaux ou des belles voitures qui vous coûteront cher mais qui ne vous apporteront pas grand-chose.
- Savoir bien s’entourer et déléguer. Il n’y a de valeur que d’hommes.