Le gouvernement a présenté plusieurs ordonnances la semaine précédente qui visent à appliquer la loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19. Elles bouleversent temporairement le code du travail mais ont d’ores et déjà des conséquences sur le fonctionnement des entreprises. Interview de Jean-Marc Morel Associé chez RSM, 6ème réseau de cabinets d’audit, conseil et expertise-comptable, pour comprendre la difficulté d’ordonnances qui ne sont pas encore toutes opérationnelles et qui posent des questions.
Quelles sont les principales difficultés depuis les ordonnances récentes ?
Les ordonnances ?
La grande difficulté est qu’il y a de nombreuses interprétations possibles des ordonnances. Déjà, il faut comprendre que nous avons une crise sanitaire très forte qui a engendré l’impossibilité de travailler. On s’est basé sur le chômage partiel qui existait déjà et on l’a modifié pour résoudre cette situation en se disant qu’on allait passer toutes ces personnes qui ne pouvaient travailler sous ce statut. En même temps, il y a eu la possibilité, pour les salariés qui avaient des enfants de moins de 16 ans et qui ne pouvaient pas venir travailler, de se mettre en arrêt maladie. Voici les deux textes de démarrage. Le problème fondamental reste donc que les deux régimes ne s’adaptent pas complètement à l’utilisation de crise comme aujourd’hui.
Les fiches de paie
Tout ne s’est pas fait par ordonnance car si on prend par exemple les complémentaires santé, on ignore ce qu’il faut vraiment faire à l’heure actuelle et il existe de nombreux cas. Les fiches de paie vont donc présenter des anomalies car il manque encore des précisions. Si dans la majeure partie des cas, les fiches de paie ne posent pas de problème, il faut comprendre qu’il y a de nombreux cas qui posent questions comme les primes d’ancienneté par exemple.
Tous les matins, avec mes collaborateurs, nous avons des réunions techniques car il s’agit d’un véritable casse-tête. Ce qui est important de comprendre c’est que les paies ne seront pas 100% juste ce mois-ci mais qu’il ne faut pas se mettre de pression pour qu’elles soient parfaites. Il y aura des régularisations sur le mois d’avril voire de mai car on n’a pas encore tous les textes actuellement. A partir du moment où vous n’êtes pas en train d’abuser, avec des collaborateurs en chômage partiel qui télétravaillent par exemple, l’URSSAF comprend bien la situation. Il faut comprendre qu’il y a les ordonnances mais aussi les instructions de l’URSSAF.
Comment se déroule la mise en chômage partiel ?
Déjà, il faut faire un dossier disponible sur la DIRRECTE. Il faut remplir un document qui explique pourquoi vous êtes en chômage partiel. Dans le cas de certains commerces qui ont été fermés et qui ne posent pas de problème, il s’agit de le monter dans les 30 jours après que l’on se soit mis en chômage partiel pour le cas actuel. Attention, les dirigeants, assimilés salariés, ne sont pas concernés par cette mesure et ne peuvent pas en bénéficier. Une fois le dossier rempli et après avoir donné le nombre d’heures être en chômage partiel à 100% ou 50% par exemple, il faut avertir les entités comme le CSE dans les deux mois, a posteriori.
Avant, il fallait prévenir en amont mais dans le cas de cette crise, on peut le faire après. Il ne faut pas oublier de prévenir les salariés. Il faut comprendre que certains points d’ombre subsistent, que des changements ne sont pas encore actés. Ainsi, si vous avez 5 commerciaux et 5 à la production, il n’y a aucun souci si vous mettez tous les commerciaux en chômage technique. Imaginons maintenant que vous ne puissiez garder que trois personnes à la production du fait de l’activité.
Vous ne pouvez pas dire à deux d’entre eux de ne pas travailler, il faudra mettre tout le monde au 3/5ème. Cela ne vous empêche pas de mettre que les commerciaux en chômage partiel mais vous ne pouvez distinguer les autres. Ceci se comprend bien car sinon, quel est le critère de choix pour décider qui va travailler ? Cela fonctionne dans le cadre d’activité exercée complètement différente mais, à défaut, le risque d’avoir des prud’hommes sera forte.
Peut-on imposer des congés ?
En l’occurrence, c’est la loi qui a régi cela. En temps normal, l’employeur peut imposer les congés mais doit prévenir un mois à l’avance. Dans le cas présent, s’il y a un accord collectif, on peut le faire descendre à un jour. Vous comprenez bien que faire un accord collectif en ce moment, c’est un peu compliqué et qu’il faut parfois être réaliste. De nombreux chefs d’entreprise se font du souci pour leur entreprise et toutes ces mesures me semblent normales même si parfois les conditions d’exercice semblent un peu farfelues.
Si les RTT peuvent toujours être imposés, il faut comprendre que de nombreuses activités vont redémarrer très fortement à la reprise. Beaucoup de personnes avaient surement garder des congés pour faire les ponts par exemple et cela peut évidemment poser problème par la suite. A l’heure actuelle, vous ne pouvez faire prendre que 6 jours maximum. Rien n’empêche, cependant d’annoncer la fermeture dans un mois. Au final, je pense que c’est une question de bon sens et je pense que les dirigeants et salariés vont réussir à se mettre d’accord.
Dans le cadre à l’inverse du surcroît d’activité, quels sont les principaux changements ?
On peut travailler jusqu’à 60 heures et il n’y a plus vraiment de limite. Avant c’était 48h. Il reste quand même des repos obligatoires. Dans notre activité, nous sommes actuellement en surcroît par exemple mais c’est également vrai pour l’agro-alimentaire ou quand il manque des personnes. Tout ce qui touche à l’urgence sanitaire est bien entendu concerné comme ceux qui produisent du gel.
Un message à faire passer ?
Beaucoup de dirigeants sont stressés. Il va falloir prendre sur soi car toutes les mesures ne sont pas encore claires. Pour les paies il faudra nous laisser le temps de les faire. Il y aura des erreurs et des anomalies mais on régularisera par la suite à tête reposée. L’urgence reste de faire les dossiers de chômage partiel et on ne peut en faire que 10 par jour par collaborateur maximum de notre côté.