Rencontre avec Olivier Reynaud, cofondateur de TEADS, qui après l’échec de sa première start-up a su pivoter avec une deuxième aventure au succès international.
Quel est ton parcours scolaire ?
J’ai un parcours scolaire atypique, tout simplement parce qu’il n’est pas en relation avec ce que je fais aujourd’hui. Si on remonte aux origines, quand j’avais 5 ans, mes parents ont détecté que j’avais un talent en dessin. J’ai donc intégré les Beaux-Arts jusqu’à 12 ans, ce qui m’a permis de créer, dessiner, peindre et m’ouvrir. J’adorais faire des bandes-dessinées et puis les années avançaient. Quand j’ai eu 14 ans, Internet est arrivé. Autodidacte, j’ai commencé à créer des films d’animation sur Amiga, PC et enfin mes premiers sites Internet. Après l’obtention d’un Bac S, j’ai poursuivi un cursus scientifique puis effectué une maîtrise des sciences et génies des matériaux. J’y ai surtout appris ce que je ne voulais pas faire ! Finalement j’ai intégré une école de commerce, l’IAE de Montpellier.
Comment t’es-tu lancé ?
Dès le premier mois d’entrée à l’école, j’avais la possibilité de participer à un concours de création d’entreprise appelé le Prix d’Initiative, organisé par le Crédit Agricole. Après avoir gagné le concours, j’ai décidé de monter ma propre entreprise. Ce fut l’élément déclencheur. à cette époque là, j’avais 22 ans. Cette première expérience consistait à mettre en place une plateforme de téléchargement de musiques en mp3, gratuit et légal pour l’internaute, qui devait en contrepartie visionner un spot publicitaire vidéo. La publicité rémunérait alors l’artiste et ses ayants droit. Pour l’époque, en 2004, c’était une véritable innovation. Je termine mes études tout en développant en parallèle cette entreprise qui s’appelait Airtist. C’est grâce à elle que j’ai fait mes armes, que j’ai tout appris.
J’ai fait le choix dès le début de rassembler une équipe plus expérimentée que moi en création d’entreprise car je n’avais aucune connaissance en la matière, seulement une vision. Je savais quel problème je voulais résoudre. Je me suis donc rapproché de mes associés de l’époque. En seulement quelques mois, nous nous lancions en 2005 dans la découverte de la création d’un site internet avec une communauté et des problématiques comme : « est-ce qu’on internalise avec des développeurs ou on externalise ? ».
Nous avons commencé à discuter avec des artistes et des labels indépendants, des maisons de disques, la Sacem. Ma première société et première expérience a duré 7 ans avec un « électrocardiogramme » de l’entrepreneur qui est exceptionnel. Des moments très difficiles humainement et professionnellement où on a envie de tout lâcher. D’autres moments où l’émotion et l’excitation montent très haut, où tout est génialissime et où se prend pour le roi du monde.
Quel a été le point culminant ?
En 2009, la promesse initiale était enfin là et le service parfaitement fonctionnel malgré la crise financière de l’année précédente qui nous avait menés à réduire drastiquement l’équipe. Vous pouviez télécharger gratuitement et en toute légalité des titres mp3 de Daft Punk, Pink Floyd, Coldplay et de toute la scène indépendante après avoir visionné une publicité de quelques secondes. Cela marchait ! Il ne restait plus qu’à « scaler ». Il y avait déjà beaucoup à faire, comme évangéliser le marché chez les majors et les agences de publicité, imposer un modèle économique encore nouveau, créer une communauté en ligne et surtout chercher des fonds pour accélérer la cadence.
Peux-tu nous faire une rapide chronologie ?
Pour rappel, en 2004, Myspace arrivait à peine en France. Aucune offre légale de musique n’existait à part Naspter et Kazaa mais tous deux étaient illégaux. également, il n’y avait que très peu d’outils comme aujourd’hui permettant de faire des sites internet. Autrement dit, une piste vierge et sans exemple ni modèle à suivre. L’aventure vers l’inconnu était la plus totale. Donc les trois premières années ont servi à créer une version beta du site avec une ouverture au grand public, une inscription des artistes et le lancement du téléchargement de manière payante dans un premier temps au prix défini par l’artiste. Ensuite, nous avons profité d’une forte visibilité avec une couverture médiatique TV en janvier 2007.
Cette période fut le moment le plus haut puis tout s’est gâté avec la crise financière en fin 2008. Il a fallu adapter l’entreprise au niveau économique et stratégique. Cette phase a été très difficile humainement mais cela reste une riche expérience d’entrepreneur. Nous n’avons pas jeté l’éponge tout de suite parce que nous étions convaincus qu’il fallait tenir pendant une période d’environ 2 ans et que les start-up dans ce secteur survivraient à la crise seraient les leaders de demain.
J’ai pris un risque important à ce moment-là en lâchant et vendant tous mes biens pour déménager à Paris et tenter le tout pour le tout. Il me fallait trouver des fonds et une régie publicitaire nationale. Je suis donc parti seul à Paris avec rien en poche mais une volonté de fou. Côté pub, le pari a été gagné. Mais côté investisseurs cela n’a pas marché, car l’entreprise était trop en souffrance pour lever suffisamment. Une période décisive et complexe avec derrière moi des années d’expérience et d’enseignements, mais une société en réelle difficulté.
Quel a été le moment où tout a changé ?
Alors que j’étais à la croisée des chemins de ma première société, je me suis posé la question : « Qu’est-ce qui a fait que cette entreprise a fonctionné pendant un temps et a ensuite rencontré des difficultés conséquentes ? ». Il me fallait résoudre l’équation de mon business model et l’améliorer. Notre site avait une communauté d’internautes qui venait pour télécharger de la musique mais nous devions générer de l’acquisition client et la récurrence était difficile. Il faut prendre en compte que la musique a un coût très important et que les artistes doivent être payés et donc percevoir leurs droits d’auteur.
La publicité doit être vendue à un certain montant pour que le business model soit viable. Bien que nous avions réalisé un trafic incroyable lors du buzz des passages TV, nous n’avions pas généré assez de chiffre d’affaires car notre communauté n’était pas assez grande. Ainsi, pour résoudre mon équation et contourner ce problème, le B to B me semblait être la bonne voie. Je me suis dit : « Et si créer une solution de paiement pour micro-contenu web via un péage publicitaire pour les sites ayant déjà un trafic conséquent était la solution ? » Cela m’est apparu comme une évidence et j’étais déterminé à aller au bout de ma vision quitte à redémarrer de zéro.
Pourquoi t’es-tu dit : « je vais lancer une deuxième boîte malgré un échec » ?
Je croyais toujours dans le modèle de la gratuité mais pour les professionnels cette fois et pas seulement pour la musique. Ce changement constituait LE pivot par rapport à ma première boîte. Cela a été une très importante prise de risques. Tout le monde me conseillait de trouver un travail avec un salaire pour me reconstruire et éponger mes dettes. Je ne touchais pas de chômage mais je croyais en la valeur du produit et l’idée me semblait révolutionnaire, ce qui m’a convaincu de continuer. Diffuser de la vidéo était devenu commun et proposer une solution de paiement par la publicité vidéo, apparaissait comme une attente des agences et des sites internet. « Time to demand » et « Time to market » enfin réunis !
Quelles est le dernier facteur ?
Enfin, dernier facteur de motivation : l’équipe. Il y avait deux personnes avec lesquelles j’avais déjà collaboré durant ma première société et en qui j’avais confiance pour m’associer de nouveau, à savoir Loïc Soubeyrand et Loïc Jaurès. Je leur ai proposé l’idée en leur disant qu’à trois nous pouvions y arriver car nous avions toutes les compétences pour démarrer from scratch et réussir : un CTO (Loïc J), un CEO (Loïc S) et un CMO (moi même). J’avais la conviction que c’était maintenant possible et que si nous ne nous lancions pas, nous allions rater le coche et que d’autres profiteraient de l’opportunité. Je me suis posé une limite de 6 mois pour réussir sinon j’arrêtais et je me trouvais un job.
Fin 2010, nous avions créé un prototype et nous avons pu le tester rapidement. L’idée était de monétiser des contenus, autres que la musique, que les sites internet n’arrivent pas à vendre. Notre premier client était Soonnight qui possédait des milliers de photos de soirées mais qui ne fonctionnait que par des bannières publicitaires traditionnelles. Nous avons permis le téléchargement de photos de soirées à l’unité après visionnage d’une publicité, ce concept a marché instantanément. Il suffisait alors d’adapter le modèle à d’autres contenus tel que le gaming, les logiciels, les documents ainsi que la presse et de le monétiser. Un premier résultat encourageant qui m’a conforté dans ma vision et que c’était le bon choix. Il me fallait alors liquider ma première entreprise et même en étant endetté, lancer ma deuxième aventure : Teads.
Qu’est-ce que c’est que TEADS ?
Bien que le cœur du modèle soit toujours resté dans la publicité vidéo, notre solution et modèle économique a bien évolué depuis. Nous avons démarré avec une solution de paiement par péage publicitaire vidéo pour aujourd’hui proposer des formats publicitaires vidéo native accompagnés d’une plateforme et technologie de pointe. Nous sommes aujourd’hui la première place de marché mondiale de publicité vidéo. Bien que nous ne soyons pas véritablement connus du grand public, presque tout le monde utilise et voit nos solutions avec 1.2 milliard de lecteurs dans le monde dont 40 millions en France.
Nous avons créé un format publicitaire vidéo nommé « inRead » qui s’intègre dans les articles de presse. Concrètement, vous lisez un article sur votre smartphone et entre deux paragraphes vous voyez un encart publicitaire vidéo. Le format n’est pas intrusif et respecte l’internaute car la publicité que nous proposons ne bloque pas l’accès au contenu, contrairement aux pop-ups et autres pre-rolls et la bande son de la vidéo n’est pas active par défaut. La marque est facturée à la publicité vue intégralement. C’est aujourd’hui le modèle commun dit « du coût par visionnage ». Teads emploie plus de 450 personnes dont 100 innovateurs dédiés à la R&D et le tout réparti en 27 bureaux dans 21 pays.
Pourquoi avoir levé des fonds ?
La première fois, c’était avec des Business Angels à hauteur de 200 000 € à la fin de la première année. Il fallait soutenir nos premiers investissements technologiques. La deuxième levée de fonds fut en 2013 de 4 millions d’euros auprès de Partech Ventures (ndlr : le fonds de Dailymotion) et d’Elaya Partners (ndlr : le fonds de Criteo). Selon Marie Ekeland (ex Elaia Partners/ aujourd’hui Daphni) nous étions « le Critéo de la vidéo ! », donc finalement une levée faisait sens. Cette première levée conséquente nous a permis de nous concentrer sur notre promesse technologique : une marketplace vidéo et d’attaquer l’international.
Puis en 2014, nous nous sommes rapprochés d’Ebuzzing avec qui nous avons fusionné. Un acteur français important situé sur le même marché que nous. La clé de réussite de ce mariage a été l’humain, en s’associant avec des entrepreneurs avec lesquels nous partagions la même vision, comme Pierre Chappaz (cofondateur Kelkoo, aujourd’hui Chairman executive Teads), Bertrand Quesada (cofondateur Ebuzzing, CEO Teads), Laurent Binard (cofondateur Ebuzzing, CPO Teads) et Gilles Moncaubeig (cofondateur Overblog, SVP Product Teads). L’objectif était de nous compléter techniquement et commercialement pour devenir un champion mondial.
Que s’est-il passé ensuite ?
Quelques mois plus tard, le groupe, devenu Teads, levait 24 millions d’euros en janvier 2015 auprès de nos investisseurs historiques et de la Bpifrance. Au final, le plus important dans le choix du fonds d’investissement reste l’humain car nous ne cherchions pas uniquement de l’argent mais du réseau, des conseils, du mentoring et de l’expérience. Plus récemment en septembre 2016, nous avons souscrit à une ligne de financement de 43 millions de dollars pour poursuivre notre développement en Asie et effectuer des acquisitions. Une première acquisition a d’ailleurs été récemment annoncée avec la société Brainient, le leader dans la Dynamic creative optimization (DCO). Cette première acquisition nous permet ainsi de prolonger notre promesse à savoir une expérience utilisateur optimisée et ainsi d’aller plus loin dans la personnalisation des créations vidéo.
Quelles sont les grandes difficultés que tu as rencontrées ?
Dans le cas de ma première start-up, les principaux problèmes s’articulaient autour du timing et du produit. être premier n’est pas toujours une chance et dans mon cas cela a été bien plus difficile que je ne l’avais imaginé. La problématique a été d’évangéliser cette innovation auprès des marques et acteurs de la musique. Devoir créer en même temps une communauté avec des centaines de milliers d’utilisateurs, c’était du sport.
Résultat, mener de front plusieurs batailles en même temps peut vous disperser et vous faire perdre le fil. D’où l’idée de faire un pivot avec un produit plus simple en se concentrant sur comment résoudre l’équation de mon business model. Avec Teads, les difficultés ont également été l’évangélisation de notre format publicitaire dit « outstream ». Nous avions dissocié publicité vidéo et contenu éditorial vidéo, et diffusions de la vidéo publicitaire dans des contenus qui ne sont pas des contenus vidéos tels que des articles. La stratégie d’approche via les marques haut de gamme a été une des solutions à cette difficulté.
Vie pro/vie perso, comment as-tu trouvé ton équilibre ?
J’ai longtemps fait des sacrifices car je privilégiais auparavant la vie professionnelle. J’ai la chance d’avoir le soutien indéflectible d’Amélie, ma femme, qui m’accompagne et me conseille dans les moments, hauts comme bas, propres à la vie de start-up. En effet, j’ai toujours eu mes bulles d’oxygène avec le sport comme la course. Avoir d’autres challenges à mener en plus de ceux de la création est nécessaire pour moi. également partager mon expérience auprès d’étudiants ou en en coachant les étudiants motivés par l’aventure représente un moteur et un plaisir.
Enfin, la famille et les amis ont toujours été un soutien déterminant dans mes aventures, sans eux je n’aurais pas pu garder l’équilibre et avancer. Au fur et à mesure des années et de l’expérience, je priorise mieux les projets, j’arrive mieux à me concentrer pour exécuter de la manière la plus optimale. Travailler 90 heures par semaine n’est plus un objectif en soi. Bien que cela soit toujours nécessaire lorsque je me lance de nouveaux défis !
Quelles sont les idées reçues pour les entrepreneurs ?
Souvent, on part du fait que pour lancer sa start-up, avoir l’idée révolutionnaire peut suffire. L’idée peut être un avantage mais le plus important reste en premier l’équipe, puis le timing et enfin l’exécution. Une start-up est une aventure sur plusieurs années et très souvent l’idée du départ n’a plus rien à voir à la fin. Par contre l’équipe fondatrice elle reste en place, soudée pour s’adapter et pivoter en fonction. Avoir l’ « idée» n’est pas une quête absolue. Une croyance répandue demeure dans le fait que parler de l’idée de sa future start-up engendre la copie. Or, si vous avez l’idée et si vous avez la vision, vous aurez toujours une longueur d’avance. Il faut au contraire confronter votre idée, en parler autour de soi, cela la fera évoluer. Certes, il y a toujours le risque que quelqu’un vous copie mais la vision et l’envie sont en vous.
As-tu contrôlé tes risques ?
Lorsqu’on se lance à corps perdu dans l’inconnu, l’ignorance du résultat demeure. Pour moi, la clé reste de savoir se mettre des limites pour s’adapter, changer, pivoter ou arrêter au bon moment. à la transition entre ma première et deuxième société, j’avais contrôlé mon risque en me fixant une limite de 6 mois pour avoir un prototype fonctionnel, si cela payait, alors je continuais. Une prise de risques consiste à faire les choses à 200 %, ne pas avoir un plan pour tout mais également ne pas savoir tout sur tout. Il n’y a pas de demi mesure. L’importance est de croire en soi, croire en son équipe et d’avoir le soutien de vos proches. Si vous êtes concentré sur votre problèmatique, passionné par ce que vous réalisez et que vous formez une équipe soudée, alors c’est certain, le monde est à vous.
6 Conseils de Olivier Reynaud
- N’oubliez pas que l’équipe est fondamentale, que ce soit les associés ou les salariés. Pour moi, tout se joue notamment au début. Les associés fondateurs ont une importance particulière mais les salariés aussi car tout est en mouvement.
- N’abandonnez jamais. Accrochez-vous, croyez en votre modèle et en votre vision.
- Fixez-vous des limites temporelles notamment si vous testez un nouveau modèle ou un nouveau produit.
- Concentrez-vous sur l’essentiel : un produit qui répond à un reel problème. Il faut chercher quel problème, on veut résoudre.
- Prenez en compte que même si l’idée est importante, elle ne l’est pas autant que l’équipe car elle peut évoluer dans les années à venir.
- Vérifiez l’exécution car c’est l’exécution du plan commercial et du plan stratégique, qui détermine votre réussite.