La monétarisation des risques environnementaux et sociaux : un bon moyen d’inciter les dirigeants à intégrer ces enjeux dans leurs prises de décision stratégiques et de renforcer la performance globale.
Des constats
Une approche trop peu systémique et la plupart du temps exclusivement financière
Aujourd’hui, la plupart des prises de décision stratégiques ne se fondent que sur des éléments financiers, laissant de côté un certain nombre de paramètres sociaux ou environnementaux. En ce sens, ces choix ne peuvent être réellement éclairés et peuvent être même destructeurs de valeur pour l’entreprise elle-même et pour la Collectivité dans son ensemble.
Des chiffres qui parlent d’eux-mêmes
Aujourd’hui, par exemple selon le WBCSD, le monde perd chaque année l’équivalent de 1 350 milliards de dollars par an en terme de capital naturel lié à la déforestation ou encore le Diesel créé une surmortalité d’environ 40 000 personnes par an dans le monde.
Le choix de la filière de développement des agrocarburants de 1ère génération peut paraître très avantageux pour la filière agro-alimentaire en première approche, et se révèle en fait catastrophique au niveau social puisque cela multiplie le coût des denrées alimentaires d’un ordre de grandeur d’environ 5 à 10 (par la mise en compétition des surfaces agricoles).
Le coût de ces externalités est le plus souvent supporté aujourd’hui par la Collectivité dans son ensemble, avec le risque que ces coûts soient de plus en plus internalisés dans les entreprises, par des taxes et réglementations, en ces temps de crise et de rigueur budgétaire.
A la recherche de l’optimum économique
Pour faire justement ce lien entre la sphère économique et financière et les enjeux sociétaux, le principe est d’attribuer une valeur monétaire aux différents enjeux (environnementaux, sociaux, et sociétaux) afin de les intégrer dans une gestion globale : cette gestion intègre l’ensemble de ces coûts environnementaux et sociaux appelés « éco-coûts » dans une recherche de l’optimum économique.
La question étant bien de savoir sur quoi investir pour aboutir au meilleur compromis possible entre les résultats financiers pour l’entreprise et sociétaux pour les parties prenantes dans leur ensemble ? Comment aboutir à l’optimum économique dans les choix d’investissements ? Privilégier le futur ou plutôt le présent donc plutôt les coûts d’évitement ou les coûts de dommage ?
Prenons le cas d’une rivière avec un risque d’inondation : soit on privilégie le futur, et on construit un digue qui coûte très cher ce qui amène à prendre d’abord en compte les coûts d’évitement du dommage, soit on privilégie le présent en faisant l’économie de l’investissement en prenant le risque des dégâts humains et matériels ce qui amène à d’abord prendre en compte le coût du dommage : dans tous les cas, cela coûtera très cher… la question est de trouver le bon compromis entre le coût du dommage et le coût de l’évitement, c’est à dire la bonne hauteur de digue qui concile les 2 approches.
Concrètement pour les entreprises, il s’agit du même processus: prendre la décision optimale qui permet de créer de la valeur pour son business et pour l’ensemble des parties prenantes concernées tout en préservant son capital humain, environnemental et sociétal.
Et le lien avec l’opérationnel et le business dans tout ça ?
Patrice Auclair d’Effet de Levier, travaille sur ce sujet depuis 2009: il a lancé les ateliers de la monétarisation qui rassemble des experts, et des entreprises intéressées par le sujet. Et les arguments qu’ils avancent sont très convaincants…
« L’entreprise va pouvoir maîtriser ses coûts en anticipant les surcoûts de l’énergie et des matières premières et les futures taxes environnementales à venir » annonce t-il de prime abord.
Et il rajoute « L’idée c’est d’avoir un bilan global et de faire le lien entre les actions développement durable, les indicateurs et la performance économique de l’entreprise, cette méthode permet réellement d’avoir des éléments quantifiés et non uniquement qualitatifs et de voir les opportunités et risques à faire ou non financièrement et de voir les incidences en terme de contribution au résultat de l’entreprise ». Ce qui veut concrètement dire que de manière croisée, on regarde l’impact sur les revenus et sur les coûts: qu’est-ce que je risque à ne pas faire et qu’est-ce que je gagne à le faire ? Autrement dit, sur quoi agir pour avoir le maximum de résultats soutenables c’est-à-dire en mettant en œuvre les principes du développement durable ?
…autant dire que cela parle aux chefs d’entreprise…, le montant de l’enjeu monétarisé donne une indication de l’investissement possible et de son retour sur investissement envisageable selon une approche globale.
Cette méthode donne du poids aux réflexions stratégiques RSE tournées vers l’action et la rentabilité: cela permet de décider des investissements et de mieux valoriser les opportunités du développement durable. Par ailleurs, monétariser des indicateurs sociaux et environnementaux, renforce le pilotage et la gestion de l’entreprise en créant une nouvelle vision des leviers de performance.
Un exemple: Corepile et Screlec, les deux éco-organismes chargés de la collecte et du recyclage des piles et accumulateurs portables, ont éco-modulé leurs barèmes en fonction des impacts des matériaux composants typiquement les produits et qui ont été monétarisés. Cette éco-modulation des barèmes demandées par l’agrément d’Etat auxquels ils sont soumis, a permis de faire évoluer les barèmes non pas seulement en fonction des tonnages collectés mais aussi en fonction de critères socio-environnementaux: rechargeabilité, impacts sur la santé humain et autres risques liés à la sécurisation. Cette démarche permet à la filière une mise en conformité et une modulation paramétrée de ses barèmes tout en ayant des indications pour anticiper les risques économiques.
Quelles méthodes et outils ?
Différentes méthodes et outils existent pour évaluer les éco-coûts et la création de valeur. De nouvelles méthodes comptables se développent. L’Ordre des Experts Comptables travaille d’ailleurs sur ce sujet avec ardeur avec la diffusion de la comptabilité universelle.
Que l’on s’appuie sur la méthode des ACV (Analyses de Cycles de Vie mesurant les impacts environnementaux) ou la méthode ESR (mesure de la dépendance d’un business à son écosystème) ou encore la méthode SROI (mesure du rendement social des investissements).
Dans tous les cas, il s’agit de donner une valeur monétaire à des données qui n’ont pas de prix marché.
Ce qui compte ce n’est pas tant l’exactitude de la valeur mais le processus. L’important étant d’évaluer en se mettant d’accord avec ses parties prenantes sur ce qui va être mesuré, pour ensuite donner une valeur financière et prendre une décision plus éclairée qui incite à passer à l’action.
A vos calculettes…