Mettre en place l’Innovation Participative

Muriel Garcia, Présidente INNOVA’CTEUR, ancienne présidente d’Entreprise et convivialité, responsable Innovation au groupe La Poste, nous livre ses secrets pour la bonne mise en place de l’Innovation Participative dans une entreprise. 

Votre association s’appelle toujours Innov’acteurs ?

L’association existe depuis 2002 et fait la promotion de l’Innovation Participative, qu’on a tendance aujourd’hui à appeler parfois innovation collaborative ouverte. Nous réalisons une multitude d’activités dans le but de faire connaître et travailler sur les bonnes pratiques. Nous avons notamment créé un référentiel qui a été mis à jour il y a 2 ans. Par ailleurs, nous avons reconsidéré la définition pour présenter les nouvelles perspectives de développement.

Il y a toujours 7 axes et la définition met désormais en avant l’intelligence collective, sujet intrinsèque de l’Innovation Participative. Il existe une réelle utilité stratégique pour les organisations à mettre l’Innovation Participative en place. On ne fait pas de l’innovation pour faire de l’innovation. Il s’agit d’un véritable enjeu de développement et de croissance. Sur tout ce qui concerne la gouvernance et le management, nous sommes en capacité de dire qu’il existe une chaîne d’acteurs : le manager, les experts mais aussi maintenant les parties prenantes externes.

Pourquoi fait-on appel à l’Innovation Participative dans les entreprises ?

Parce qu’il s’agit d’une démarche fondée sur le talent humain et la capacité de créativité des personnes. Nous sommes dans une logique de compétences. Comme le dit Françoise Aubry et ce n’est pas nouveau « c’est celui qui fait qui sait ». Il s’agit donc des personnes humaines dans leur environnement, dans leurs écosystèmes par rapport aux interactions entre personnes qui sont en capacité de trouver la bonne idée magique. Celle qui fait que cela va se transformer en invention puis en une innovation. Cette démarche fondée sur l’humain et quand on observe les enjeux de l’intelligence artificielle et du transhumanisme, il est essentiel de repositionner cela, surtout si on y greffe les enjeux sociétaux où on veut une qualité de relation humaine, de proximité, de bien vivre ensemble.

Quelles sont les bonnes pratiques aujourd’hui en Innovation Participative ?

C’est la capacité à s’ouvrir vers l’extérieur. L’Innovation Participative spontanée est désormais bien en place et a largement été démocratisée par l’essor du numérique. Ce dernier offre l’opportunité de faciliter la prise de contact avec les autres mais aussi de déposer une idée simplement. Celui qui veut, il le peut car il existe de nombreuses plateformes simples d’utilisation comme Klaxoon par exemple.

Et la version provoquée ?

L’Innovation Participative provoquée rencontre de nombreux enjeux. Nous venons d’ailleurs de réaliser un benchmarking . Nous avons des méthodes et des outils et nous savons les utiliser à bon escient.

Le vrai changement réside dans la communauté collaborative ouverte c’est-à-dire que nous réunissons une communauté d’acteurs sur une problématique et nous utilisons tous les outils adaptés en termes de créativité et de design thinking pour les faire phosphorer, prototyper, réaliser et être efficaces. Il existe un véritable droit à l’erreur donc si nous nous trompons nous recommençons. En termes de mesure de performance de la démarche d’Innovation Participative, ce n’est plus seulement 100 % des collaborateurs d’une organisation, c’est 100 % d’efficacité de la communauté collaborative qui est réunie.

Il est plus efficace d’avoir une communauté interdisciplinaire et donc externe qui va être force de proposition. Plus encore d’associer des clients qui vont avoir un regard tourné davantage sur l’axe besoin identifié etc. Il existe des formules hakathons qui permettent à la communauté de se concentrer sur un laps de temps court et qui va phosphorer dans « un bocal » pendant 48 heures grâce à des outils performants et pertinents.

De plus on voit émerger deux phénomènes parfaitement significatifs : le retour en force des soft skills par rapport à l’axe RH au sein duquel les enjeux d’employabilité et de capacité à disposer du savoir-être sont devenus particulièrement élevés. La créativité est une des soft skills qu’il se révèle intéressant de primer ainsi que l’émergence de tiers lieux d’innovations.

Y-a-t-il des lieux propices à l’Innovation Participative ?

Il existe un rapport réalisé par une mission du ministère de la cohésion des territoires sur « le travailler autrement et les espaces de coworking ». Pour le résumer en quelques mots, il met en évidence que des tiers lieux poussent comme des champignons : près de 2 000 sont recensés, ils sont hybrides et multiformes par exemple avec la version les espaces de coworking mais aussi des tiers lieux d’innovation sociétale. Quand on observe la création de fab lab, coworking, … nous sommes dans cette tendance. Si nous mixons tout cet ensemble, nous constatons bien que nous travaillons à l’intérieur une matière vivante et en évolution à la fois par ces usages et ces enjeux sociétaux en lien avec tout ce qui responsabilité sociale et sociétale des entreprises.

En quoi l’Innovation Participative aide à résoudre les enjeux sociétaux ?

Aujourd’hui, il faut être source de proposition et on est en plein enjeu de renouvellement de pratiques, d’usages, de produit et de service. C’est comme si on n’avait pas à renier le passé mais une feuille de route à produire. Ce sont les bonnes pratiques et la connaissance que l’on va utiliser au sein d’une communauté qui font que parfois, nous allons découvrir de bonnes idées et produire des effets. On voit bien que toutes les facettes de l’Innovation Participative que ce soit la capacité d’écoute, de fédérer les personnes autour de la conception de quelque chose de nouveau, c’est un enjeu formidable aujourd’hui.

Comment mettre en place l’Innovation Participative dans sa société ?

Il faut commencer par réaliser un état des lieux, obtenir la commande du grand patron et la connaissance des orientations stratégiques dans un écosystème. C’est le mixage de cet ensemble qui va servir à déterminer à quoi cela va servir. C’est l’axe de l’ambition.

Le deuxième axe est de savoir avec qui je vais travailler. Nous savons bien qu’il faut des personnes qui soient des moutons à cinq pattes et qui soient prêtes à la fois à prendre des risques, connaître les outils, en capacité de fédérer les nouveaux acteurs, d’être en veille, bref une forme d’agilité mentale avec le chef de projet.

Ensuite, la localisation du projet, des outils, un peu de formation, par exemple s’il y a du relais sur les territoires. Après il y a tout le dispositif d’animation, d’accompagnement, donc tout ce qui va se mettre autour de l’événementiel : les supports, les goodies, tout ce qu’on peut faire en termes de communication. C’est le référentiel mis en musique, le QQOCQP dit autrement : c’est pourquoi faire, pourquoi dissocier, avec qui, combien et puis finalement comment est-ce que j’anime cette communauté et je mesure les résultats. Cette dernière n’est pas anodine car il s’agit de faire la démonstration ce que cela produit en résultat efficace pour le bien de l’ensemble.

Cela va être quoi l’enjeu de l’Innovation Participative dans les années à venir ?

Il va falloir continuer à fédérer les acteurs. Un schéma que nous avons réalisé est représentatif : en 1990 des boites à idées, en 2000 l’outil de gestion des petits détails, en 2010 l’essor du numérique version 2.0. On est sur l’ère de la co-innovation c’est-à-dire dans l’entreprise étendue, un concept qui est apparu dans les années 90.

Nous travaillons sur l’émergence des compétences de demain dans les organisations notamment avec les soft skills. Il s’agit de la pensée critique, la créativité, le management bienveillant et à l’écoute se révèle porteuse de sens. On est bien sur le réseautage et les communautés. Il y a toujours ces deux enjeux qui sont un cheval de bataille pour les grosses organisations : c’est le droit à l’erreur, de prendre des risques, de pouvoir se tromper et de recommencer. Ce n’est jamais acquis. Enfin de reconnaître et de gratifier car il y a un investissement donc il est nécessaire de reconnaître la contribution, la valeur de l’idée. Cela fait partie des attendus et vous ne pouvez pas solliciter les gens.

Il faut donner une suite pour qu’il y ait de vraies réalisations car sinon solliciter la foule qui croit, qui est motivé et qui va donner mais n’est pas associée à la réalisation, cela ne fonctionne pas. Surtout quand elle constate que ce qui ressort est loin de ce qu’ils attendaient. Vous ne pourrez pas galvaniser deux fois les personnes sur le même sujet. La reconnaissance, cela commence par « merci », c’est tout simple. Il faut savoir le faire. Au bout d’un moment cela doit être valorisé et être intégré a minima dans mon parcours professionnel c’est-à-dire que je suis en capacité de faire valoir des compétences que j’ai acquises et que j’ai développées. Les RH doivent devenir plus offensifs sur le sujet.

D’autres enjeux ?

Il existe un réel enjeu de fidélisation des troupes. Le profil de jeunes actifs aujourd’hui montre qu’ils sont exigeants sur la responsabilité sociétale des entreprises, sur la qualité de vie au travail et qu’ils ils ont besoin d’une raison d’être, du sens donné et de l’utilité du métier exercé. Donc s’ils n’ont pas une des briques, ils vont voir ailleurs. L’entrepreneuriat se développe car on veut s’affranchir des carcans. Désormais, il est facile pour tout un chacun d’utiliser les réseaux sociaux par exemple pour trouver une communauté s’ils ne se sentent pas impliqués dans l’entreprise. Il faut trouver un meilleur équilibre de la ressource, des usages et pour le bien commun.

Quels ont été les grands changements ?

L’Innovation Participative se fait de manière beaucoup plus agile et habile. Habile car on travaille avec des outils de la créativité donc on est sur des usages. Le bémol, c’est que la conséquence est que l’on arrive avec des postures étonnantes. Aujourd’hui, on confond méthodes, moyens et finalité. En fait ce qui importe c’est la finalité et qu’une idée soit transformée et au bénéfice de tous. L’idée est de dire « ne cloisonnons pas l’innovation ». Si on dit qu’il y a l’innovation d’un côté, le disruptif de l’autre, l’innovation amélioration continue, on oublie que l’enjeu est d’innover de manière utile et efficace.

En conséquence l’IP ce n’est plus le collaborateur mais des personnes dans le cadre d’une communauté. Les organisations s’ouvrent à l’extérieur. La notion de temps est un marqueur important dans le sens où l’on souhaite aller très vite et où il existe toujours une accélération. Parfois, l’autre facette du sujet se présente dans laquelle on se dit qu’on ne prend pas le temps et qu’on ne se l’accorde pas. Il faut aussi ne pas être toujours dans le court terme.

Il y a un arbitrage à faire de temps ?

Dans les grands groupes, on est encore victime de « l’ancien temps » et accorder du temps à un collaborateur pour qu’il participe à un hackathon par exemple ou un groupe de créativité, c’est parfois un peu sportif notamment compte tenu des urgences opérationnelles. Avec le temps, cela fait partie du jeu de laisser du temps à ses salariés pour lui permettre d’être force de proposition pour sa propre entreprise. Ce qu’il ne peut pas faire au sein de son organisation, il peut le réaliser en dehors de sa structure habituelle. Pour acquérir l’engagement des salariés, il va falloir développer une qualité de vie, des organisations et du sens pour que les gens s’impliquent davantage.

Quelle est la différence entre l’IP pour les grands groupes et les petites entreprises ?

Les grands groupes sont dans l’obligation de structurer et de formaliser un groupe projet. Ce dispositif permet une organisation plus souple et une petite équipe n’a pas besoin de formaliser à outrance parce que celle-ci fonctionne en interaction. L’enjeu d’agilité est l’apanage des grands groupes et pour les petites entreprise l’enjeu est de structurer.

Comment bien récompenser les innovations participatives ?

Il existe plusieurs aspects pour exprimer la reconnaissance : la traditionnelle remise de prix, participer à des déjeuners avec les équipes dirigeantes, des événements externes, une prime, tout est possible ! La reconnaissance formelle des compétences qui vous ont servi à progresser représente une bonne manière de faire. Un manager qui gère la conduite de projet, l’animation des équipes vers un objectif partagé, sait faire émerger des idées et les faire reconnaître en maîtrisant les outils de la créativité, doit être valorisé. Les compétences de demain ce sont l’esprit critique, la conduite de projet et la créativité.

Un point sur lequel vous souhaitez insister ?

J’ai oublié de vous dire que le secteur public a fait son entrée en force. Il y a des enjeux de rapprochement public-privé et cela est très intéressant. Il faut rapprocher les forces dans un but commun !

« Il y a toujours ces deux enjeux qui sont un cheval de bataille pour les grosses organisations : c’est le droit à l’erreur, de prendre des risques, de pouvoir se tromper et de recommencer. Ce n’est jamais acquis. »

Quitter la version mobile