Interview de Jérôme Tredan, CEO de Matawan, qui vient d’annoncer qu’Ubitransport est devenue Matawan pour accélérer le déploiement de nouveaux réseaux en France et à l’international.
Ubitransport est devenue Matawan. Pourquoi avoir changé de nom ?
Ce changement est le fruit d’une réflexion collective menée avec nos équipes et le concours d’une agence. Ubitransport évoquait davantage une référence à l’univers du transport, alors que nous sommes avant tout un acteur de la mobilité. Par ailleurs, compte tenu de nos ambitions internationales, il était essentiel que notre nom embrasse cette dimension et soit riche de sens au-delà de nos frontières, d’où Matawan qui signifie « Mobility Any Time, Any Where, Any Node. »
Ce nom se veut porteur de notre vision d’une mobilité accessible en tout temps, en tout lieu et quel que soit le mode de mobilité utilisé. Nous voulons reconnecter le transports à tous les modes de mobilité. Que ce soit le vélo, la trottinette, le car sharing ou encore le transport collectif, il faut simplifier l’expérience utilisateur et le voyage intermodal. C’est vraiment le cœur de ce que propose Matawan au travers de son offre.
A quelle date a été créée l’entreprise ?
L’entreprise a été créée en 2012 sous le nom d’Ubitransport. Elle a alors disrupté son marché en proposant un service cloud pour faciliter l’acquisition et le contrôle du titre de transport. Ainsi, les matériels embarqués à bord des bus, historiquement lourds, peu flexibles et assez coûteux sont remplacés par un équipement cloud, connecté de manière centralisée. Ubitransport a d’abord séduit les transports scolaires avec son système connecté, puis le petit urbain. Elle est ensuite montée en maturité sur des réseaux plus importants, l’urbain, l’interurbain. Maintenant, Matawan déploie ses solutions dans des métropoles et travaille avec la majeure partie des régions françaises.
Le business model a-t-il beaucoup évolué depuis 2012 ?
Ce qui a beaucoup changé, c’est le principe de la mobilité partagée. Nous sommes toujours restés sur notre cœur de métier, qui est de proposer des services cloud pour gérer la partie billettique et monétique, le paiement de droits de mobilité, pour offrir une qualité de service et piloter la donnée. Notre positionnement cloud est aussi ce qui nous permet de faire parler les systèmes entre eux ; quand vous voyagez d’une ville à une autre, que vous passez d’un réseau à un autre, d’un mode de mobilité à un autre, vous ne devriez pas avoir à gérer différents types de support, d’abonnements, de titres, de modes de paiement, vous devez avoir une expérience beaucoup plus fluide.
Notre Graal, et ce sur quoi nous travaillons, rejoint d’ailleurs l’agenda politique puisque le ministre des Transports, Clément Beaune en a parlé : il s’agit du titre unique de transport de demain qui permettra de voyager d’un point A à un point B, sans se soucier de son support, de l’abonnement ou encore des modalités de paiement. Vous devez avoir une liberté totale de déplacement. Chaque ville a son propre réseau de transport. Ce sont donc autant de systèmes aux caractéristiques différentes. Le fait d’avoir eu un positionnement dans le cloud dès notre création permet aujourd’hui à Matawan de connecter des systèmes différents au niveau des back-offices.
Où en est l’entreprise aujourd’hui ?
À ce jour, l’entreprise équipe environ 300 réseaux en France, qui recourent à une partie ou à la totalité de l’offre Matawan. Après s’être autofinancée durant 7 années, l’entreprise a levé 45 millions d’euros en 2019 auprès du fonds de Private equity Essling, avec comme perspective d’accélérer son développement. Cela nous a alors permis d’investir dans le produit, l’innovation et le développement des forces commerciales et marketing. À noter : l’entreprise est rentable depuis sa création, ce qui n’est pas fréquent dans la tech. D’un point de vue marché et clients, l’entreprise a commencé par le scolaire, comme je le mentionnais, et des petits réseaux urbains. Petit à petit, elle est montée sur des réseaux plus structurants, plus dimensionnants, jusqu’à couvrir à présent l’interurbain à l’échelle de régions et des métropoles significatives comme La Rochelle.
Quelle a été la plus grande difficulté depuis les débuts de l’entreprise ?
J’ai rejoint l’entreprise il y a un an. Ce qui est hyper intéressant avec Matawan, c’est que c’est une entreprise qui a tout de suite rencontré son marché. Il n’y a pas eu de sujet de Product Market fit. Jean-Paul Medioni, le fondateur de l’entreprise, a dès le départ eu cette vision du service, SaaS connecté, pour gérer d’une part toute la partie droit des usagers, suivi des flottes, des trajets… d’autre part, toute la partie équipements connectés des bus.
Matawan a été ensuite, d’une certaine façon, victime de son succès en devant livrer beaucoup et rapidement comme toute entreprise en hyper-croissance.
Il faut donc structurer un peu l’entreprise pour lui permettre de passer à l’échelle supérieure. Ceci sans s’alourdir et en gardant les valeurs de l’entreprise. Matawan est un véritable cas d’école en termes de développement de start-up, dans sa capacité à se repenser en permanence pour s’adapter aux exigences de la très forte croissance. Le produit, les développements, l’accompagnement des clients, l’expérience utilisateurs, tout doit en permanence être analysé pour être amélioré.
Cette start-up n’en est plus vraiment une puisque nous sommes 250. Nous avons gardé l’esprit start-up d’innovation et de vélocité, mais nous sommes passés à une échelle maintenant supérieure. C’est d’ailleurs l’enjeu d’une start-up qui doit en permanence se réinventer et repenser son organisation en même temps qu’elle croît très vite. Ce sont des enjeux d’hyper croissance.
Est-ce que le fondateur fait toujours partie de l’entreprise ?
Le fondateur a pris le rôle de président. Il a eu aussi cette clairvoyance de se dire que fondateur et CEO sont deux métiers différents. Ce ne sont pas forcément les mêmes personnes qui ont la vision de ce qu’il faut pouvoir amener au marché, notamment en termes d’innovation, et de ce qu’il faut faire pour y parvenir. Depuis le début, Jean-Paul Medioni a su faire appel à des personnes extérieures pour renforcer l’organisation de talents, d’expertises, d’expériences qui ont apporté des angles de vue différents; il l’a fait avec l’humilité qui est une caractéristique forte des valeurs de Matawan, c’est-à-dire la capacité à se remettre en question, se challenger et apprendre des meilleures pratiques. Il est toujours très impliqué dans le projet mais a su s’entourer d’une équipe de direction dont il m’a confié la responsabilité pour écrire les chapitres suivants.
Qu’est-ce qui vous a décidé à rejoindre l’entreprise ? Quel était le challenge qu’on vous a proposé ?
D’abord, le sujet de la mobilité que je trouve absolument passionnant parce que c’est un sujet d’impact : d’impact social, d’impact environnemental, d’impact économique. La mobilité, c’est la liberté de se déplacer, d’accéder à la culture, d’accéder à l’emploi, c’est la possibilité de voir ses proches et ma conviction, comme celle de toute l’entreprise, c’est qu’avec le cloud, nous pouvons simplifier les déplacements du quotidien. J’ai trouvé que cette mission avait du sens. Or, nous sommes tous à la recherche de missions qui ont du sens et qui ont de l’impact. Après, il y avait ces sujets de structuration, d’écrire les chapitres d’après, d’amener énormément d’ambition au projet, notamment au travers de l’international, pour passer à une échelle encore différente qui m’ont attiré.
La troisième dimension, c’est celle que je mentionnais : la dimension humaine. J’ai trouvé une bienveillance, une volonté, une ambition même, très forte d’amener le projet le plus loin possible. Aussi, il y avait des personnes intéressantes dans l’équipe de direction et un lien entre le président-fondateur et le CEO, qui se voulait très fort. J’ai senti qu’un binôme allait très bien fonctionner avec Jean-Paul, ce qui est vraiment le cas.
Depuis que vous êtes arrivé, quelle est la plus grande difficulté que vous avez rencontrée ? Et comment l’avez-vous surmontée ?
Gérer une start-up, c’est forcément gérer de nombreuses difficultés immédiates. Sinon, nous ne serions plus une startup ! Cependant, la plus grande difficulté est sans doute celle de savoir choisir les bons combats, de faire les bons paris car il y a de nombreuses manières de se développer. Les options et opportunités que nous pouvons capturer sont légion. D’un point de vue stratégique, cela peut être un peu vertigineux. Aussi, à un moment, il est essentiel de savoir s’arrêter et fixer un cap.
Nous avons pris le temps, avec les équipes et le management, de définir qui nous voulions être sur le marché à horizon trois à cinq ans. Cela veut dire revoir le portefeuille d’offres, renoncer à certains projets, se concentrer sur notre cœur de métier et définir qui nous sommes. La refonte de la plateforme de marque, découle d’une réflexion stratégique. C’est un projet de réorganisation de l’entreprise. À titre personnel, le plus satisfaisant mais aussi le plus vertigineux et le plus dur, c’est de se dire « Voilà les 3, 4, 5 paris que nous prenons ». Et il faut être sûr de les délivrer correctement.
Quels sont les défis à venir ? Quels sont les objectifs ou le cap que vous vous êtes fixés ?
Le premier cap est celui de l’international. C’est toujours un challenge pour une entreprise française de se développer en dehors de l’hexagone. C’est un défi très important pour nous. Aussi, nous le faisons prudemment mais résolument. Nous avons déjà une vingtaine d’opportunités, tant le besoin est mondial. Nous venons d’ouvrir récemment l’Espagne et avons l’Italie en ligne de mire. Parallèlement, nous réfléchissons à renforcer nos positions actuelles au Canada et à nous étendre en Amérique du Nord.
Nous avons également un enjeu d’innovation. J’évoquais précédemment l’interopérabilité des systèmes. Nous voulons être une plateforme d’une part ouverte sur l’écosystème, vers tous les types de matériel, toutes les applications MaaS end-user du marché, d’autre part à même de fonctionner avec différentes modalités de paiement. Pour ce faire, nous devons en conséquence continuer d’innover car il s’agit de garder l’avance qu’est la nôtre sur le marché et qui est la raison principale pour laquelle les réseaux nous choisissent.
Enfin, troisième défi : la montée en maturité sur des réseaux plus complexes. Nous travaillons avec un grand nombre de régions et sommes maintenant en capacité de déployer des réseaux véritablement dimensionnants dans lesquels il peut y avoir du bateau, du rail, du bus, des applications usagers, des matériels qui sont de natures très différentes. De tels projets sont vraiment très complexes et nous avons montré que nous étions en capacité de les délivrer, à l’instar de l’agglomération de La Rochelle que j’ai mentionnée plus tôt.
Quel a été votre parcours jusqu’à ce que vous rejoigniez cette start-up ?
Mon parcours est un mix de grands groupes et de start-ups. J’ai commencé dans le conseil puis passé 14 ans chez Microsoft à piloter des groupes produits, donc la P&L de lignes de produits tels que Windows ou les produits Serveurs. J’ai par exemple opéré le lancement de Windows Azure en France. Ensuite, j’ai rejoint une start-up de la data et de l’IA où en six ans nous sommes arrivés à d’assez importants niveaux de valorisation. Et en 2022, j’ai donc rejoint Matawan, une scale-up de la mobilité.
Qu’est-ce qui vous a le plus surpris depuis que vous avez pris les rênes ?
Chez Matawan, c’est vraiment le niveau de proximité créé avec nos clients. Avant de choisir un produit ou une solution, les clients choisissent une personne. C’est une entreprise qui a su innover sur la partie technologique, mais qui a mis le commerce et le business au centre de l’organisation. Les clients sont par ailleurs incroyablement bienveillants avec nous, ils sont dans la co-innovation et la co-construction. Le relationnel créé avec nos clients est presque un de nos actifs les plus forts à parité avec la technologie.
Est-ce qu’il y a un point que je n’ai pas abordé et que vous souhaiteriez aborder ?
J’ai à cœur de dire qu’avec Matawan, nous avons l’opportunité de créer à l’échelle internationale un véritable champion français de la mobilité. Il y a BlaBlaCar, bien sûr, mais globalement l’écosystème est hyper riche sur la mobilité. Aussi, je pense que nous possédons tous les atouts pour y parvenir, vraiment ! Et, nous allons y travailler !
J’ai vu que vous faisiez partie du classement à l’international des 100 start-ups qui cartonnent, le Red Herring Top 100 global. Est-ce que c’est quelque chose qui est utile ? AVEZ-VOUS vu l’impact d’être dans ce classement ?
Oui, bien sûr, c’est un label, un peu comme la French Tech finalement. Le fait que nous ayons été lauréat à quatre reprises du French Tech 120 représente un gage de qualité et offre de l’exposition. Cela rassure sur la pérennité de l’entreprise, sur ce que nous cherchons à construire. La force de tout label, c’est d’aider en termes de visibilité et de conforter clients et partenaires sur le fait que nous sommes un acteur qui compte et dont on va continuer à entendre beaucoup parler sur le marché.
3 Conseils de Jérôme Tredan
- Savoir dire non et renoncer à certains projets s’ils vous éloignent du cap que vous vous êtes fixé. C’est une des choses les plus dures pour un entrepreneur. Il faut par exemple savoir refuser une affaire qui, bien qu’elle vous apporterait du chiffre d’affaires, va vous amener dans du spécifique et vous éloigner de la standardisation permettant de répliquer. Il est fondamental de maintenir le cap de ce qu’on veut délivrer. C’est du bon sens mais s’y astreindre est extrêmement dur.
- Savoir s’entourer. Quand on a les bonnes personnes, c’est 90 % du job. Je pense qu’il faut savoir payer les gens au prix du marché, quitte à avoir moins de monde. Pour un CEO, au moins 30 % de son temps doit être consacré aux gens et aux ressources humaines. Quand on a les bonnes personnes, tout est beaucoup beaucoup plus simple.
- Passer du temps sur la vision stratégique et sur le cap. C’est ce qui donne du sens à tout le reste. Après, il y a des milliards de problèmes d’exécution et des tonnes de difficultés, mais si on a un cap clairement défini de qui on veut être, tout prend du sens et devient plus simple. Donc, il faut accepter d’y passer du temps et de se poser les bonnes questions : « Quelles sont ma raison d’être et ma mission ? Qui ai-je envie d’être et de ne pas être ? À quoi dois-je renoncer ? » C’est le plus vertigineux, mais c’est le plus passionnant. Et bien entendu, il faut accepter de faire des erreurs, de se planter et de corriger. Il n’y a pas de trajectoire linéaire en start-up ou très peu ; ou alors c’est louche. Les start-up qui réussissent sont celles qui se remettent en question en permanence et s’adaptent.
« Il s’agit du titre unique de transport de demain qui permettra de voyager d’un point A à un point B, sans se soucier de son support, de l’abonnement ou encore des modalités de paiement. »