Interview de Marc Menasé, Tech serial entrepreneur et investisseur en Europe et en Afrique

Marc Menasé fait partie de cette nouvelle génération d’entrepreneur, à la fois créateur et business angel. Il s’investit dans les aventures nouvelles, utilise les succès comme les échecs pour aider les start-up à grandir et leur donner une vraie valeur ajoutée au sein d’un écosystème entrepreneurial dynamique.

Comment en êtes-vous arrivé à devenir entrepreneur ?

J’ai eu un parcours assez traditionnel. Je suis allé à la faculté et j’ai obtenu une maîtrise de science de gestion. Étudiant à la fin des années 90, au début d’internet, je dépiautais des ordinateurs. Parallèlement, j’ai appris à développer des sites et j’ai créé des sites affiliés qui me permettaient de me faire un peu d’argent de poche. J’ai effectué quelques stages dans le conseil et la banque d’affaires. Puis j’ai eu la chance de rencontrer Pierre Chappaz, qui lançait un business nommé Kelkoo, que j’ai intégré fin 2001. J’y suis resté pendant trois ans.

La société a ensuite été revendue à Yahoo, au sein de laquelle j’ai occupé un poste de business développer et de marketing au niveau européen. En 2005, j’ai décidé de cofonder Nextedia, une agence dans le marketing digital. L’agence a rapidement grandi puisqu’elle est passée de 4 à 350 personnes en seulement trois ans. Elle opérait dans le marketing online pour de grands comptes tels que le groupe Accor, LVMH, Michelin, mais également pour des pure players. Nous gérions notamment toute la partie liée à l’acquisition de trafic, la création de contenu et le CRM. En 2007, le groupe Lagardère rachète l’entreprise dans laquelle, je suis resté quelques années avant de créer, trois ans plus tard, le groupe MenInvest, une société de production de sites e-commerce et médias. Et parmi eux, Menlook.

Pourquoi ce choix de la mode masculine ?

Je voulais lancer un business dans le e-commerce et plutôt dans le « life style » parce que cela me parlait. Rapidement, j’en suis venu à la mode. Une profusion de choses étaient déjà réalisées dans le féminin mais très peu du côté du masculin. L’homme constituait, en plus de cela, une cible intéressante online et suréquipée. Les hommes sont très fainéants donc ils aiment bien le shopping en ligne. Ils sont aussi très fidèles à leurs marques et achètent toujours auprès des mêmes. Tous ces éléments nous faisaient converger sur un modèle économique assez intéressant et plutôt innovant. Ce qui est formidable c’est que la mode repose sur le fait que, lorsqu’on achète de grandes marques, celles-ci sont généralement connues partout ! Et puis du stade de l’idée, on passe à celui de l’exécution. Comme tout entrepreneur, ce qui me caractérise, c’est ce savoir-faire.

Vous avez quitté vos fonctions, il y a peu de temps chez menlook. Où en êtes-vous ?

Menlook, c’est une aventure collective, une histoire de pionniers car c’est une vraie création. Nous nous sommes confrontés à un secteur inexistant à l’époque, celui de la mode masculine en ligne et nous avons créé un marché et en sommes devenus le leader. C’est aussi un défi sectoriel car nous savons tous que le e-commerce est un marché extrêmement dur, violent et compétitif. Le seul secret étant un volume critique à réaliser pour durer. Menlook est un défi européen car nous nous sommes implantés physiquement dans 4 pays : la France, l’Espagne, l’Angleterre et l’Allemagne, avec toutes les difficultés d’alignement de travail et de production que cela peut demander.

Menlook a réalisé les premières années 70% de son chiffre d’affaires à l’international. C’est un défi d’agilité car comme toutes les entreprises du web, Menlook a subi des assauts multi-concurrentiels et aussi une croissance extrêmement rapide ce qui a demandé une adaptation de chaque instant et des décisions extrêmement rapides à prendre et à déployer. Il s’agit avant tout d’une entreprise et donc un organe vivant, et le rachat allemand n’a pas été un choix de croissance et malheureusement l’intégration s’est révélée difficile. J’ai décidé de quitter la direction de la société fin novembre 2016 mais j’en reste actionnaire. Malgré la recapitalisation de décembre de plusieurs millions réalisés par les fonds et à laquelle j’ai participée, l’entreprise est désormais en redressement judiciaire. Nous sommes mobilisés pour que l’aventure Menlook se poursuive avec un repreneur responsable.

Vous semblez vous être rapidement développé à l’international. Comment cela s’est-il fait ?

La France constitue une formidable marque pour le secteur de la mode et le monde est désormais global. Nous avions vraiment envie de relever rapidement le défi de l’international. Aussi , nous avons commencé par racheter, en 2013, nos concurrents situés en Angleterre, Oki-Ni. Nous nous y sommes installés avec des équipes et des bureaux afin de conférer une réelle légitimité.

Puis, en 2015, nous avons lancé un certain nombre de pays européens et avons racheté notre principal concurrent en Allemagne, Frontline Shop. Cette acquisition s’est révélée extrêmement complexe car le marché allemand possède une culture très différente de la nôtre. Tout le monde veut tenter sa chance et créer des aventures européennes, mais cela demeure un challenge énorme. Il n’y a que les Américains qui pensent que l’Europe est un pays, alors qu’en réalité, il s’agit d’une multitude de pays, de cultures et de langues. L’enjeu est de savoir, à chaque fois, créer une offre locale reconnue, ce qui n’est pas toujours évident.

Qu’est-ce qui est, selon vous, le plus difficile dans le e-commerce ?

Les difficultés sont là tous les jours. Le e-commerce reste un métier particulièrement compliqué parce qu’on n’a pas d’autre choix que d’être excellent dans chacun des compartiments du jeu (approvisionnement, logistique, service client, IT, marketing, fidélisation…). Sur le marché, beaucoup de gens sont bons dans ce qu’ils font. Ils peuvent constituer des spécialistes ou de très importantes structures. Il y a une statistique qui dit que moins de 1 % des sites e-commerce européens font plus de 1 million de chiffre d’affaires. Être plébiscité demande d’énormes investissements, tant sur le plan humain que technologique ou marketing.

Chaque nouveauté que nous rapportons au sein de l’entreprise représente un challenge en tant que tel. Le doute est permanent dans la manière de développer son business. La difficulté réside dans le fait de créer une entreprise européenne et d’aller conquérir de nouveaux marchés. Quand on détient une boîte européenne, il y a un véritable choc des cultures. Nous avons beaucoup travaillé là-dessus et sommes les premiers à nous être lancés dans le marketplace, plutôt comme un hybride entre le e-commerce et la marketplace. Il s’agissait-là d’un réel défi destiné à mettre en place un modèle qui ne repose pas seulement sur notre capacité à stocker, mais également sur la création de partenariats avec des entreprises plus ou moins reconnues et sur le référencement de leur offre.

Menlook est-il un échec ?

C’est 6 ans d’aventure, une entreprise en croissance pendant 4 ans, une entreprise européenne, la création d’un nouveau segment pour la mode masculine donc évidemment non ! Menlook doit trouver un repreneur, je suis confiant et je laisse le soin aux personnes en charge de doter l’entreprise des meilleurs. Si votre question est :  ai-je fait des erreurs ? Referai-je les choses de la même façon ? Sans doute non, mais réécrire l’histoire est facile a posteriori. En tant qu’entrepreneur, j’aime le réel, moins la fiction, et je reste persuadé qu’il n’existe pas de pire risque que celui de ne pas en prendre.

Quel regard portez-vous sur le monde de l’entrepreneuriat ?

Ces dernières années, il y a eu une évolution considérable qui porte sur la valorisation de l’entrepreneuriat. Pendant très longtemps, l’entrepreneur était considéré comme un patron qui exploite ses employés, alors que c’est avant tout quelqu’un qui sait fédérer des gens autour d’un projet pour le faire passer du stade de l’idée à celui de l’exécution. Ma génération voulait d’abord la sécurité de l’emploi. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Ce qui prime, c’est la liberté, la volonté de créer, d’apporter une valeur ajoutée. Je suis moi-même un business angel très actif et finance de nombreux d’entrepreneurs qui détiennent tous cette vision. Quoi qu’il en soit, la base de l’entrepreneuriat repose sur le fait de prendre des risques. Le moment le plus important se trouve lors du démarrage : c’est comme se lancer dans le vide.

Les entreprises du numérique ont-elles une durée de vie limitée ?

Pas plus qu’une autre entreprise. Le numérique est exigeant car le temps ne s’arrête pas et il génère souvent des croissances très rapides qui demandent une agilité de chaque instant en termes d’organisation et d’ajustement du business model. Si vous êtes entouré de personnes compétentes et  bienveillantes, l’aventure en vaut la peine. Je crois aux rencontres, je crois à l’apprentissage continu.

Qu’allez-vous faire désormais ?

Après 6 ans d’aventure Menlook, de sprint et de mise entre parenthèses de ma vie personnelle, je me ressource, car j’ai besoin de vivre un moment d’inspiration nécessaire et salutaire avant de repartir. Quand on est entrepreneur, le plus difficile demeure qu’on n’est jamais complètement détaché du boulot, les vies sont très hybrides entre le perso et le pro. On a beau passer du temps avec ses enfants, si tout ce temps on est sur son téléphone, on n’est pas vraiment disponible. Je vous rassure par ailleurs, je ne reste pas inactif, cela n’est pas dans mon tempérament. Je partage mon expérience avec d’autres entrepreneurs et je continue de vivre des aventures avec des créateurs extraordinaires commes mes partenaires de Petits Ballons, ou encore de Teeds. Un nouveau départ sans doute en septembre, nous en reparlerons !

4 Conseils de Marc Menasé

  • Ne jamais se lancer dans un marché trop de niche. Il faut évaluer la taille de son marché et se dire que, même si l’on ne crée pas une boîte importante, comme ce dernier est large, on trouve toujours quelque chose.
  • Ne pas sous-estimer l’importance de la complémentarité de l’équipe parce que c’est ce qui fait la réussite de l’entreprise.
  • Maîtriser sa croissance en dessinant un modèle robuste et en le faisant croître de manière solide.Difficile à faire dans l’écosystème digital mais tellement plus serein pour l’avenir.
  • Ne pas hésiter à trouver des personnes externes avec qui échanger pour s’ouvrir l’esprit. Il faut aussi être conscient de ses faiblesses en s’associant ou en recrutant toujours meilleur que soi.

« Quand on est entrepreneur, le plus difficile demeure qu’on n’est jamais complètement détaché du boulot, les vies sont très hybrides entre le perso et le pro. »

Quitter la version mobile