Les startups doivent-elles vraiment perdre de l’argent pour réussir ?

L’une des idées largement répandues dans l’écosystème entrepreneurial est que, pour qu’une startup réussisse, elle doit nécessairement afficher des pertes pendant ses premières années de fonctionnement. Cette vision, qui repose en grande partie sur l’idée de « croissance à tout prix », a été particulièrement popularisée par les géants de la tech. Des entreprises comme Uber, Tesla ou encore Amazon ont longtemps été dans le rouge, mais ont pourtant connu un succès retentissant. Aujourd’hui, ce modèle est-il toujours pertinent ? Les startups doivent-elles vraiment perdre de l’argent pour réussir, ou est-ce une idée reçue qu’il est temps de remettre en question ?

La logique de la « croissance avant tout »

La recette du succès pour de nombreuses startups repose sur un principe simple : investir massivement dans l’acquisition de clients, l’expansion rapide et la conquête de parts de marché, quitte à perdre de l’argent dans un premier temps. Cette stratégie est parfois qualifiée de « burn rate » – un terme qui désigne la vitesse à laquelle une entreprise consomme son capital avant d’atteindre la rentabilité.

L’un des exemples les plus célèbres de cette stratégie est celui d’Uber. L’entreprise, lancée en 2009, a accumulé des pertes colossales pendant plusieurs années, tout en continuant à attirer des investisseurs et à se développer à l’international. Si cette approche a permis à Uber de dominer son secteur, elle a aussi fait l’objet de nombreuses critiques. L’objectif initial n’était pas de faire des profits rapidement, mais de capter rapidement une part de marché avant de penser à la rentabilité. Cette vision est partagée par de nombreuses startups, notamment dans le secteur technologique, où la rapidité de croissance prime souvent sur les résultats financiers immédiats.

L’illusion de la rentabilité immédiate : un modèle dépassé ?

Si cette approche a fonctionné pour des entreprises emblématiques comme Amazon, il n’est pas certain qu’elle soit toujours viable, en particulier pour les startups françaises ou européennes. Le modèle de « perdre pour croître » peut mener à des dérives. En effet, de nombreuses startups, en particulier dans des secteurs comme la foodtech, la fintech ou la medtech, ont expérimenté ce modèle sans parvenir à se rendre rentables, ce qui a conduit certaines à fermer leurs portes avant même d’avoir pu établir un véritable modèle économique solide.

Une étude réalisée par PwC France en 2023 indique que 53 % des startups françaises ne parviennent pas à atteindre la rentabilité après cinq ans d’existence. Ce chiffre montre que, si la stratégie de pertes successives peut sembler pertinente sur le papier, elle n’est pas sans risques. En effet, une telle stratégie nécessite un financement constant, souvent par des investisseurs extérieurs, qui n’accepteront pas indéfiniment des pertes sans retour sur investissement.

Les nouvelles attentes des investisseurs

Si la logique de la « croissance à tout prix » a longtemps prévalu, elle semble aujourd’hui se nuancer, surtout avec les incertitudes économiques croissantes. Après des années de financements faciles, le climat économique actuel pousse de nombreux investisseurs à adopter une approche plus prudente. De plus en plus de fonds d’investissement privilégient désormais les startups capables de générer des flux de trésorerie positifs ou, à tout le moins, de démontrer un chemin clair vers la rentabilité.

L’exemple de BlaBlaCar, la plateforme de covoiturage, illustre cette transition. Après plusieurs années de développement et de pertes, BlaBlaCar a finalement décidé de rationaliser ses coûts et de se concentrer sur la rentabilité plutôt que sur la croissance à tout prix. En 2022, l’entreprise a annoncé avoir atteint la rentabilité pour la première fois. Cette évolution témoigne d’une prise de conscience générale : l’investissement en capital-risque ne doit plus être perçu comme un chèque en blanc pour des années de pertes sans contrepartie. Les investisseurs, notamment européens, semblent désormais plus enclins à soutenir des modèles économiques plus durables, qui privilégient une croissance maîtrisée.

Quand la rentabilité devient un impératif

Certains secteurs, particulièrement ceux qui demandent des investissements lourds et des délais de retour sur investissement plus longs, peuvent effectivement se permettre une période de pertes. Cependant, dans d’autres secteurs, il devient impératif de trouver une rentabilité plus rapidement.

Une étude menée par KPMG en 2023 sur les startups françaises montre que 61 % des jeunes entreprises choisissent désormais de se concentrer sur la rentabilité dès leurs premières années d’activité. De plus en plus de startups françaises adoptent une approche où les marges bénéficiaires et la rentabilité sont intégrées dès la phase de développement. Ces entreprises adoptent des modèles hybrides, où l’acquisition de clients est certes rapide, mais accompagnée d’une réflexion plus marquée sur la rentabilité à moyen terme.

En effet, les startups françaises se confrontent à des défis spécifiques. Le marché européen, bien qu’il soit dynamique, est souvent plus fragmenté et compétitif que celui des États-Unis. Les coûts d’acquisition client y sont plus élevés et les marges bénéficiaires plus étroites. Ainsi, pour réussir, il ne suffit plus d’augmenter sans cesse son nombre d’utilisateurs. Il est nécessaire de trouver un équilibre entre la croissance et la rentabilité.

L’alternative : une croissance mesurée et une rentabilité progressive

Bien que certaines startups aient réussi en sacrifiant la rentabilité au profit d’une expansion rapide, de plus en plus d’entrepreneurs adoptent un modèle plus équilibré. Ce modèle repose sur une croissance mesurée, où chaque investissement est réalisé de manière ciblée et réfléchie, et où la rentabilité est un objectif à moyen terme, plutôt qu’un mythe lointain.

Un exemple intéressant de cette approche est celui de Doctolib, la plateforme de prise de rendez-vous médicaux en ligne. Contrairement à d’autres startups technologiques, Doctolib a rapidement mis en place un modèle économique basé sur des revenus récurrents, grâce à son abonnement payant pour les professionnels de santé. Cette stratégie a permis à la startup de rester rentable tout en continuant sa croissance, sans avoir à investir des sommes astronomiques pour attirer de nouveaux utilisateurs. À ce jour, Doctolib est devenue l’une des startups les plus solides d’Europe, avec une rentabilité atteinte dès 2020.

Cela montre qu’une startup peut être ambitieuse, croître rapidement, mais sans négliger les fondamentaux de la rentabilité. Il s’agit de créer une base solide avant de se lancer dans des projets d’expansion ou de lever des fonds supplémentaires. Le modèle de croissance organique, fondé sur des revenus récurrents et une gestion rigoureuse des coûts, devient une stratégie de plus en plus plébiscitée.

Les critères de succès d’une startup durable

Réussir sans perdre de l’argent, c’est avant tout réussir à identifier un modèle économique solide, capable de générer des revenus constants et récurrents. Il est également nécessaire de comprendre que la rentabilité ne doit pas être considérée comme une fin en soi, mais comme un processus continu.

Voici quelques critères clés pour réussir sans tomber dans le piège des pertes répétées :

Un produit ou service qui répond à un besoin réel :

Les startups les plus rentables sont celles qui ont su identifier une véritable demande sur le marché.

Un modèle économique clair et scalable :

Une entreprise doit savoir comment générer de la valeur et la transformer en profits.

Des marges bénéficiaires saines :

Même une petite marge bénéficiaire peut être la clé de la viabilité à long terme.

Une gestion financière prudente :

Plutôt que de chercher à croître à tout prix, il est essentiel de maîtriser ses dépenses et de se concentrer sur une croissance rentable.

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