L’entrepreneuriat est-il la solution à la crise du sens au travail ?

La quête de sens au travail est une problématique grandissante dans les entreprises modernes. Alors que le chômage baisse et que les modèles économiques se diversifient, une nouvelle crise émerge : celle du sens. Nombreux sont les employés et les dirigeants qui remettent en question l’authenticité de leur engagement dans un environnement de travail souvent jugé déconnecté des valeurs humaines et sociales. Face à cette crise, l’entrepreneuriat est perçu par certains comme une solution. Créer son propre projet, façonner son propre environnement de travail, et donner un sens à ses actions semblent être des leviers potentiels pour restaurer ce que beaucoup considèrent comme perdu. Mais l’entrepreneuriat est-il vraiment la réponse à la crise du sens au travail, ou au contraire, peut-il l’aggraver ?

La crise du sens : un phénomène de plus en plus visible

La quête de sens au travail n’est pas un phénomène récent. Toutefois, il a pris une ampleur particulière ces dernières années, notamment avec l’émergence du travail à distance et de nouvelles formes d’organisation. Une étude de 2023 menée par l’Institut Montaigne montre que 55 % des Français estiment que leur travail manque de sens. Selon cette même étude, 62 % des jeunes générations (les moins de 35 ans) expriment un besoin de se sentir utiles dans leur activité professionnelle, au-delà de la simple rémunération. Le travail, pour beaucoup, ne se résume plus à une simple nécessité financière. Il doit désormais être porteur de valeurs, d’utilité sociale, et d’un impact personnel significatif.

Cette quête de sens a des conséquences profondes. Une autre étude réalisée par OpinionWay pour le compte de la Fondation Travailler Autrement met en lumière que 43 % des salariés français déclarent envisager de changer de travail ou même de carrière à cause du manque de sens perçu dans leur environnement professionnel. Ce phénomène est particulièrement marqué dans les grandes entreprises, où les processus bureaucratiques et la rigidité organisationnelle entravent souvent la capacité des employés à s’épanouir pleinement dans leur travail.

Ainsi, la crise du sens est une réalité tangible qui touche une large part de la population active, et face à cela, l’entrepreneuriat semble apparaître comme une porte de sortie, permettant de reprendre le contrôle de sa trajectoire professionnelle et de donner un but à ses actions.

L’entrepreneuriat : une réponse à la recherche de sens ?

L’entrepreneuriat, par essence, est un domaine qui offre une plus grande liberté. L’idée de créer sa propre entreprise permet à l’entrepreneur de définir ses propres valeurs, de choisir les projets auxquels il croit et d’agir de manière autonome. De nombreux créateurs d’entreprises témoignent de leur désir de donner un sens plus profond à leur travail. L’entrepreneuriat devient alors une voie pour répondre à cette quête de sens.

Une étude publiée en 2022 par Bpifrance révèle que 71 % des entrepreneurs français affirment avoir lancé leur entreprise non seulement pour des raisons financières, mais aussi pour contribuer à un projet en accord avec leurs convictions personnelles. La plupart des créateurs d’entreprises dans cette étude déclarent que leur activité permet de concilier autonomie, passion et contribution à la société. Ainsi, pour beaucoup, entreprendre est synonyme de trouver un terrain d’expression où le travail se connecte directement avec leurs aspirations profondes.

Les jeunes entrepreneurs semblent particulièrement sensibles à cette notion de sens. Selon une enquête menée par KPMG en 2023 auprès de 500 startups françaises, 66 % des jeunes fondateurs affirment que l’impact social et environnemental de leur activité est au cœur de leur stratégie, au même titre que la rentabilité. Ce phénomène va au-delà des valeurs éthiques : il s’agit d’une véritable volonté de s’investir dans des projets ayant un impact positif sur la société.

Les entreprises à mission, qui sont désormais régies par une loi en France depuis 2019, incarnent bien cette tendance. Ces structures, qui placent l’impact social et environnemental au même niveau que l’objectif financier, se multiplient et attirent de plus en plus de jeunes entrepreneurs. Elles deviennent une alternative au modèle traditionnel, souvent perçu comme déshumanisé ou déconnecté des enjeux actuels. Dans ce contexte, entreprendre devient un moyen concret de redonner du sens au travail.

Les limites de l’entrepreneuriat comme solution

Cependant, bien que l’entrepreneuriat puisse répondre à la crise du sens pour certains, il ne constitue pas une solution universelle. En effet, l’entrepreneuriat, loin de n’être qu’une voie royale, présente aussi des défis de taille qui risquent de fragiliser cet idéal de sens.

D’abord, créer une entreprise implique des responsabilités considérables. Les défis économiques, la gestion des ressources humaines, la pression de la rentabilité ou encore l’incertitude des résultats peuvent rapidement éroder la vision initiale de sens. Selon une étude menée par l’Observatoire de l’Entrepreneuriat en 2022, 48 % des créateurs d’entreprise indiquent que les contraintes économiques et les préoccupations liées à la gestion de leur entreprise les poussent parfois à perdre de vue les valeurs qui les ont motivés au départ.

Les aspects pratiques de la gestion d’une entreprise — recherche de financement, gestion de la trésorerie, respect des réglementations — peuvent rapidement prendre le dessus sur l’envie de changer le monde. De plus, la solitude, souvent citée comme une difficulté majeure par les entrepreneurs, peut parfois se transformer en une source de stress, nuisant ainsi au bien-être personnel et à la quête de sens.

Par ailleurs, l’entrepreneuriat n’est pas accessible à tous. Les barrières financières, la complexité administrative et le manque de soutien peuvent freiner ceux qui aspirent à créer leur entreprise mais qui n’en ont pas les moyens. La France, bien que favorable à l’entrepreneuriat, reste marquée par des inégalités d’accès à ces opportunités. L’entrepreneuriat peut donc, dans certains cas, être perçu comme un luxe ou une possibilité réservée à une certaine classe sociale.

Le retour au sens dans les entreprises traditionnelles

L’idée selon laquelle l’entrepreneuriat est la solution à la crise du sens peut également être nuancée par le fait que des changements peuvent se produire dans les entreprises traditionnelles elles-mêmes. De plus en plus de dirigeants d’entreprises prennent conscience des attentes de leurs collaborateurs et s’efforcent de réinventer leurs organisations pour favoriser un environnement plus humain, plus flexible et plus en phase avec les valeurs sociales et environnementales. Le télétravail, la flexibilité des horaires, et les initiatives en matière de responsabilité sociale des entreprises (RSE) sont des exemples de réponses apportées au besoin de sens.

Une étude de 2023 menée par le cabinet Deloitte sur la transformation des entreprises en France met en avant que 64 % des dirigeants interrogés affirment que la gestion du bien-être au travail et l’alignement des objectifs personnels avec les objectifs professionnels sont désormais des priorités stratégiques. Ces initiatives traduisent une volonté de restaurer un sens dans les environnements de travail traditionnels, sans passer nécessairement par la création d’une nouvelle entreprise.

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