Alors que certains salariés ont repris le travail depuis la fin des confinements, le cœur léger voire avec quand même un peu de nostalgie due à la fin des vacances, pour d’autres, la reprise est synonyme de souffrance et c’est la peur au ventre qu’ils prennent le chemin du bureau. Si les risques psychosociaux revêtent de nombreux visages (stress au travail, violence, mal-être, burn-out, harcèlement sexuel) il y a une souffrance qui fait particulièrement des ravages en silence : le harcèlement moral dans le milieu professionnel.
Une vraie problématique
Des études françaises indiquent que 9 à 10% des salariés ont déjà subi des situations de harcèlement moral sur leur lieu de travail avec une durée moyenne de harcèlement d’un peu plus de 3 ans. Il faut noter de grandes différences entre les secteurs d’activités. Dans le privé, le harcèlement moral est violent mais dure moins longtemps car le salarié finit souvent par démissionner. Dans le secteur public, de par la sécurité de l’emploi, le mode d’organisation très hiérarchique et l’inertie du système, le harceleur peut sévir pendant très longtemps (parfois plus de 10 ans) de manière très pernicieuse. Les victimes, ne pouvant changer de poste ou démissionner, vivent au quotidien dans une grande solitude avec à terme, des conséquences dramatiques sur leur santé mais aussi sur leur personnalité.
Une violence invisible et répétitive
Selon la psychanalyste, Marie- France HIRIGOYEN, la référence Française dans ce domaine et l’auteur de plusieurs livres sur cette thématique, le harcèlement moral au travail se définit « comme une conduite abusive (geste, parole, comportement, attitude…) qui porte atteinte, par sa systématisation, à la dignité ou à l’intégrité psychique ou physique d’une personne, mettant en péril son emploi ou dégradant le climat de travail »
C’est donc une violence invisible et sourde qui se caractérise par des attaques régulières faites par petites touches qui ont pour intention la domination, l’isolement et l’anéantissement de l’autre. Chacune des attaques prise séparément n’est pas très significative, elle est même parfois tellement perverse et sophistiquée qu’il est difficile de la repérer mais c’est surtout le caractère répétitif qui en fait une arme de destruction redoutable. Elle engendre un sentiment d’insécurité, d’incompréhension et de perte de confiance en soi qui grandit un peu plus à chaque attaque, laissant la victime dans la stupeur et dans l’impossibilité de réagir.
Ses différentes formes : directe ou subtile
Selon le milieu socioculturel et le secteur d’activité, on constate différentes formes de harcèlement moral. Des plus directes, visibles dans les secteurs de production (injures, intimidations, propos sexistes, racistes, ridiculisation en public, moqueries sur une particularité physique…) à des mécanismes plus subtils lorsque le niveau hiérarchique est plus élevé (atteinte à la réputation, rétention d’informations, calomnies, refus de communication, ordinateur bloqué, rumeurs malveillantes …).
Le harcèlement moral qu’il soit intentionnel ou non vise la négation de l’autre, une atteinte identitaire professionnelle par l’attaque des valeurs fondamentales de l’autre, il est le fait souvent de pervers narcissiques. Il isole la victime et la prive de tout soutien social. Seule, démunie et dans l’incompréhension totale, la personne ne peut réagir face aux attaques répétées et sombre dans de grandes souffrances émotionnelles.
Le terreau du harcèlement moral
Bien que les conditions de travail se soient largement améliorées ces dernières années pour l’ensemble, l’entreprise est une organisation et un système social, régie par des lois techniques, organisationnelles, financières et humaines dont tous les éléments sont interdépendants et solidaires. Si les hommes doivent en permanence travailler ensemble et coopérer, le harcèlement moral commence souvent par le refus d’une différence (social, vestimentaire, diplôme ou d’écoles fréquentées, couleur de peau, âge, religion, esprit critique…) peu importe cette différence, elle fait peur, elle interpelle, elle agace.
Dans une société qui revendique l’interchangeabilité et le culte de la productivité, les salariés font tout pour effacer les différences qu’ils n’acceptent pas et le harcèlement moral leur permet de retrouver un semblant d’égalité subjective. De plus, en entreprise comme dans la vie extérieure, il y a des sentiments irrationnels qui entrent en ligne de compte, des jeux de pouvoir et de contre- pouvoir qui impliquent des comportements de jalousie, d’envie et de rivalité. En tant que sentiments inavouables, on ne les exprime pas clairement et de ce fait, ils rendent les individus particulièrement destructeurs entre eux, qu’il s’agisse de relation professionnelle ascendante, de même niveau ou descendante.
Une organisation à changer pour l’éviter
L’organisation même du travail peut favoriser les comportements violents. En effet, il faut être réaliste, encore aujourd’hui, certaines pratiques managériales visent à désorganiser le lien social, à monter les services les uns contre les autres ou à humilier les personnes (management par le stress et par la peur), d’autres pratiques ont pour conséquences d’exclure les salariés dont l’âge, l’état de santé ou le niveau de formation ne correspondent plus aux besoins de l’entreprise. Bien que ces pratiques ne soient pas exprimées clairement par la direction, elles poussent de manière insidieuse les managers à utiliser ce type de comportement que l’entreprise ne couvrira pas forcément si un scandale doit éclater. Pour autant, il ne s’agit pas de déresponsabiliser l’attitude des managers qui se disent victimes du système, car ils sont à même en tant qu’adultes de refuser d’utiliser ces pratiques « d’abattage ».
Les managers, leur responsabilité ?
Les managers ont la responsabilité de gérer les conflits avant qu’ils ne dégénèrent en harcèlement, de stopper les premiers agissements hostiles, d’influencer le climat de travail en privilégiant le sentiment de justice, en pratiquant un style managérial centré sur la considération, en consultant leurs équipes et en les respectant. Encore faut-il qu’ils soient eux-mêmes formés à reconnaître ces comportements et à les gérer de manière humaine et adéquate.
Dans le même esprit, les ressources humaines doivent porter attention à la qualité des relations et à la gestion précoce des conflits afin qu’ils ne se transforment pas en harcèlement moral. En cas d’alerte, ne pas faire la politique de l’autruche et faire appel à un tiers extérieur afin d’écouter les parties en présence et les aider à trouver des solutions.
Cette prise en charge précoce permet cette reconnaissance des parties nécessaire à la résolution du conflit. De l’autre côté, en cas de doute une enquête avec un cabinet extérieur doit être menée afin de comprendre tous les rouages et définir avec certitude qui est harcelé et qui est harceleur. Il y a parfois des surprises, comme ce salarié d’une entreprise de services qui se disait harcelé par son manager alors qu’en fait après enquête c’était lui le harceleur qui tyrannisait son manager. Attention donc aux conclusions hâtives et à l’emballement collectif.
Ce que dit le droit
La Loi a permis ces dernières années, aux victimes une reconnaissance de leur souffrance et oblige, par la même occasion, les entreprises à prendre leurs responsabilités dans le cadre de leur obligation quant à la sécurité et à la santé des salariés. Mettre en place des plans de prévention des agissements hostiles et des cellules de médiation pour éviter ou gérer ces situations qui impactent fortement l’ensemble des salariés d’une entreprise.
L’article 222-33-2 du Code pénal Français dit : « le fait de harceler autrui par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ».
Si, dans la loi de 2002, le salarié devait seulement présenter les faits laissant supposer des preuves de harcèlement, en 2003, le législateur est revenu sur ce mécanisme en demandant à la victime d’établir des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement. C’est une évolution juridique favorable aux victimes, même si le problème réside souvent au niveau des agressions subtiles ou le recueil des faits est particulièrement difficile. La lenteur des procédures et le risque de victimisation si le système s’emballe entraînent pour les victimes, la mise au placard ou des arrêts maladie pour longue durée. Il est très rare que les victimes reviennent dans l’entreprise où a eu lieu le harcèlement.
La lumière au bout du tunnel
Pour les victimes de harcèlement moral, les conséquences sont désastreuses tant sur le plan physique, psychologique ou social : stress, anxiété, troubles psychosomatiques, dépression, risque suicidaire, stress post traumatique, désillusion (perte de tout espoir), réactivation des blessures passées, perte de sens, peur des autres.
2 axes de reconstructions peuvent s’enclencher : d’abord un travail personnel afin d’inciter au respect, mettre des mots sur les évènements vécus, leur résonance profonde et rechercher un soutien psychologique avec un thérapeute pour se protéger au travail, alerter les RH et les syndicats, puis commencer à décider le changement. Ensuite, vient la nécessité ou non de rechercher dans la justice, la reconnaissance de cette violence afin de pouvoir réapprendre à faire confiance de nouveau.