Notre participation au capitalisme n’interdit pas que nous nous interrogions sur sa moralité. Si la question de la morale est à la mode, « le capitalisme ne pose pas la question. C’est en partie ce qui fait sa force : il n’a pas besoin de sens pour fonctionner. Mais les individus, si » (1).
C’est cela qui nous intéresse : le rôle de l’individu, et tout particulièrement le rôle de l’entrepreneur. Le capitalisme n’est ni moral ni immoral, il est amoral (2). C’est un système de production qui doit se conformer autant que possible aux exigences de l’éthique.
Dans Le capitalisme est-il moral ?, le philosophe André Comte-Sponville définit quatre ordres distincts.
Le premier celui de l’ordre économico-techno-scientifique auquel appartient le capitalisme et les trois autres : l’ordre juridico-politique, l’ordre de la morale et l’ordre éthique.
Les différents ordres et leurs limitations
Nous ne pouvons laisser à cet ordre sa seule spontanéité interne sans aller à la catastrophe : incapable de se limiter lui-même, « nous ne pouvons le limiter que de l’extérieur » (3), et c’est là qu’intervient l’ordre supérieur du juridico-politique (ordre n°2 : la loi, l’Etat, structuré par l’opposition du légal et de l’illégal).
Cet ordre n’interdit pas la haine, il doit donc également être limité de l’extérieur, par l’ordre n°3, l’ordre de la morale. Si l’ordre de la morale n’a pas besoin d’être limité, car on ne saurait être trop moral, il a cependant besoin d’être complété car une dimension essentielle manque à l’individu qui ne fait que son devoir : l’éthique, l’ordre n°4, aussi appelé « ordre de l’amour » par l’auteur. Cet ordre n’a pas besoin d’être limité car l’amour infini n’est pas une menace. La morale c’est ce qu’on fait par devoir. L’éthique c’est ce qu’on fait par amour (amour de la vérité, de la liberté, de l’humanité ou du prochain).
La présence dans les 4 ordres
La difficulté, « c’est que nous sommes tous, toujours, dans ces quatre ordres à la fois », écrit Comte-Sponville, ajoutant que si « les quatre sont nécessaires, aucun n’est suffisant » (4). Car il y a deux dangers : vouloir soumettre les ordres supérieurs aux ordres inférieurs (la barbarie), et vouloir annuler les ordres inférieurs au nom des ordres supérieurs (l’angélisme). C’est pourquoi il me semble indispensable pour l’entrepreneur d’aujourd’hui de lire Le capitalisme est-il moral ?.
Un appel à la responsabilité
L’ouvrage est un appel à la responsabilité individuelle. Nous ne pouvons compter sur le marché pour être moral à notre place. Dans un climat de délitement du lien social (car en effet, « quelle communauté quand il n’y a plus communion ? »(5)), chacun d’entre nous, chaque entrepreneur et leader, a un rôle social. Nous avons la responsabilité de créer du lien au sein de notre écosystème (notre équipe, notre entreprise, notre réseau). Le leader se doit d’être un exemple et de favoriser le développement d’un climat d’intelligence collective, d’un environnement éthique ou, pour reprendre les termes de Comte-Sponville, d’amour.
Le leader a la responsabilité, pour emprunter les mots de Jacques-Antoine Malarewicz, de « redonner une dimension humaine et solidaire à la vie sociale, comme une réponse possible face à l’anonymat de la globalisation » (6).
« Si nous voulons qu’il y ait de la morale dans une société capitaliste, cette morale ne peut venir, comme dans toute société, que d’ailleurs que de l’économie » (7), écrit l’auteur. Il y a donc là un appel à notre responsabilité individuelle. Le capitalisme est-il moral ?, une lecture d’actualité.
Notes :
(1) André Comte-Sponville, Le capitalisme est-il moral ?, Albin Michel
(2) Ibid : «Ce n’est pas la morale qui détermine les prix; c’est la loi de l’offre et de la demande. Ce n’est pas la vertu qui crée de la valeur; c’est le travail. Ce n’est pas le devoir qui régit l’économie; c’est le marché. Le capitalisme, c’est le moins que l’on puisse dire, ne fait pas exception. A ma question-titre : «le capitalisme est-il moral?», ma réponse est donc : Non… le capitalisme n’est pas moral; il n’est pas non plus immoral; il est – mais alors totalement, radicalement, définitivement – amoral.»
(3) Ibid
(4) Ibid
(5) Ibid
(6) Jacques-Antoine Malarewicz, Systémique et entreprise, 3e édition, collection Village Mondial, p.7.
(7) André Comte-Sponville, op. cit.