Interview de Gilles Babinet, serial entrepreneur et ex-président du Conseil National du Numérique, nommé « Digital champion » en juin 2012 par la ministre Fleur Pellerin auprès de Nelly Kroes, la commissaire européenne chargée du Numérique.
En tant que serial entrepreneur, quelle a été votre expérience du financement ?
J’ai vécu deux types de financement extrêmement opposés. Mes deux premières entreprises ont grandi avec de l’autofinancement uniquement. Ensuite, j’ai pu financer le développement de mes entreprises suivantes avec du capital-risque et avec Oséo. Par expérience, je pense qu’il est difficile de connaître un fort développement avec l’autofinancement. Ce n’est pas une stratégie viable si l’on souhaite avoir une croissance forte. Avec l’autofinancement, le développement prend des années, et le dirigeant passe son temps à gérer des problèmes de manque de cash dans les caisses. Même avec une entreprise ayant un cash-flow positif, la croissance rapide est impossible.
Quelle est la situation du capital-risque en France aujourd’hui ?
Le capital-risque évolue beaucoup depuis le début de la crise fin 2007 / début 2008 et le durcissement de l’accès aux crédits bancaires pour les entreprises. Il y a un vrai changement de paysage parmi les acteurs du financement. Par exemple, le capital amorçage (seed) se faisait auparavant sur des sommes comprises entre 1 et 5 millions d’euros. Aujourd’hui, une jeune entreprise lèvera plutôt des sommes de l’ordre de 100 à 500 000 euros, sur cette même phase de l’amorçage. Pour le financement du démarrage de leur projet, les entreprises s’adressent en général à des pôles de business angels. Les fonds de venture capital sont traditionnellement positionnés sur des levées de sommes plus importantes, dépassant le million d’euros, et interviennent lorsque l’entreprise a déjà fait ses preuves. A contrario, on assiste depuis peu à l’émergence de fonds d’investissement spécialisés dans le capital d’amorçage. Ces acteurs du micro-capital-risque ont une action qui tend à se rapprocher de celle des business angels.
Comment pensez-vous que le capital-risque va encore évoluer désormais ?
Il faut savoir que la crise du financement est mondiale. Même l’Amérique, connue pour l’efficacité de ses sociétés de capital-risque, connaît un ralentissement à ce niveau. Le financement tend à se déplacer de plus en plus vers les pays émergents. Dès cette année, le deuxième pays de venture capital sera certainement la Chine ! D’ailleurs, l’horizon prévisible est que la Chine devienne le premier pays au monde en termes de capital-risque.
Beaucoup d’entrepreneurs se tournent vers les fonds américains lorsqu’ils souhaitent lever des sommes importantes. Pourquoi ?
Le capital développement n’a jamais réussi à bien fonctionner en France. En conséquence de cela, il y a dans notre pays une vraie déficience d’acteurs pour les levées de montants supérieurs à 10/12 millions d’euros.
Une entreprise française peut-elle acquérir la taille d’un acteur international sans passer par les fonds américains ?
Je pense que c’est quasi impossible. Ce n’est d’ailleurs plus arrivé depuis une bonne trentaine d’années… Dans les technologies, il faut avoir une très forte capacité à mobiliser des capitaux, ce qui n’est plus le cas en France. à l’époque, des leaders industriels comme Alcatel avaient pu émerger en France et se faire une place au niveau mondial. Mais aujourd’hui, il est rare que des entreprises françaises arrivent à mobiliser les capitaux nécessaires à un déploiement mondial. Il y a peut-être récemment les exemples de Criteo ou Deezer qui contredisent cela, mais ces cas sont très rares.
Selon vous, les pme manquent chroniquement de fonds propres. à votre avis, pourquoi ?
Quand on compare les PME françaises aux entreprises européennes, on remarque une légère déficience de fonds propres. Cela est dû au fait que la culture du capital-risque est encore très peu répandue chez nous. En Angleterre, on compte pas moins de 50 000 business angels, quand en France on en dénombre dix fois moins ! Par ailleurs, il faut savoir qu’en Allemagne ce sont les ETI qui financent les fonds propres des petites entreprises. Le capital-risque allemand est très industriel. Or, nous avons en France 5 500 ETI, alors qu’en Allemagne elles sont 13 000. Le nombre d’ETI est à peu près comparable en Angleterre. Mais on en revient au même problème : ce qui fait la différence entre une PME et une ETI, ce n’est autre que l’accès aux fonds propres.
Il faudrait donc davantage soutenir le capital-risque en France ?
Oui, c’est ce que je pense. Et je le dis alors même que je suis totalement indépendant de cette industrie ! Je n’ai aucune part dans une société de capital-risque ! Les capitaux-risqueurs ont leurs qualités et leurs défauts, mais ils représentent la seule façon de développer l’innovation et de créer du dynamisme économique en France. Je pense que le développement du financement de l’innovation représente une des solutions réalistes et efficaces pour freiner la crise en France.
Quelles sont vos idées pour améliorer le capital-risque en France ?
Je prône quelques actions telle que la modification au niveau européen de Solvency II et Bâle III qui empêchent littéralement les banques d’investir dans les PME. Je souhaiterais également que se développe en France le corporate venture. 230 milliards d’euros dorment dans les caisses du CAC 40. Il faudrait mettre en place des primes de fiscalité pour les entreprises du CAC 40 qui investissent dans le capital-risque. Je propose aussi que 1 % de la collecte de l’assurance vie aille vers l’innovation. Enfin, je pense qu’il serait pertinent de remonter l’ISF PME à 80 %. Rien qu’avec ces mesures, on pourrait mobiliser chaque année 6 milliards de plus dans le financement de l’innovation, c’est considérable !
C’est aussi l’objectif de la nouvelle Banque publique d’investissement. Quelle est votre sentiment sur cette action du gouvernement ?
Je suis assez dubitatif sur l’efficacité de ce genre de mécanismes qui sont par essence assez bureaucratiques. J’ai peur surtout que cela introduise de la distorsion dans la loi du marché. Dans le cycle économique, il y a malheureusement des entreprises qui sont vouées à disparaître. La pire des choses est de soutenir ces entreprises.
3 conseils pour réussir à lever des fonds d’amorçage
1. Se rendre dans toutes les conférences sur les startups et essayer de comprendre comment fonctionne cet univers. En faisant cela, vous finirez rapidement par rencontrer des fonds d’amorçage.
2. Taper sur Internet « fonds d’amorçage » ou « seed » et voir ce qui remonte. Il faut ensuite essayer de rencontrer ces fonds pour leur présenter votre projet.
3. Faire des partenariats avec des sociétés capables de vous aider, de vous tirer vers le haut. Il faut viser des entreprises qui peuvent vous soutenir d’un point de vue technologique ou au niveau de la distribution.