La revente d’une start-up n’est jamais une fin en soi. Pour ceux qui ont vendu leur entreprise, l’exit ne signifie pas retraite anticipée mais le début d’une autre aventure, souvent plus complexe, plus réfléchie et plus libre. En France, plusieurs figures connues de l’écosystème ont prouvé que l’après-cession pouvait devenir un terrain de jeu où les ambitions changent, mais restent tout aussi intenses.
De serial entrepreneur à investisseur engagé
Jonathan Benhamou, qui a cofondé PeopleDoc, une entreprise spécialisée dans la digitalisation des processus RH pour les grandes organisations, a revendu sa start-up pour environ 300 millions d’euros. Après la cession à Ultimate Software, il est resté fortement engagé dans l’écosystème français en devenant business angel, en particulier auprès de Spendesk et PayFit, deux jeunes pousses issues de la scène parisienne. En plus du financement, il apporte un accompagnement stratégique, en transmettant son savoir-faire en structuration d’équipe et en expansion internationale.
Le passage d’opérateur à investisseur ne transforme pas seulement le rôle, il modifie également l’influence exercée sur l’écosystème. En diffusant ses pratiques de gouvernance, de croissance structurée et d’ouverture à l’international, Jonathan Benhamou agit comme catalyseur de maturité pour des start-up qui accélèrent souvent leur développement grâce à cet accès direct à une expérience entrepreneuriale vécue. Son engagement illustre un changement profond de posture, où il ne s’agit plus seulement de construire un produit, mais d’aider à bâtir un environnement entrepreneurial complet.
Recréer une entreprise plus grande et plus internationale
Frédéric Mazzella, après la montée en puissance de BlaBlaCar, la plateforme de covoiturage qu’il a lancée depuis Paris, n’a pas opté pour un retrait progressif. Resté président exécutif de BlaBlaCar, il a poursuivi son implication dans le développement de l’entreprise, tout en lançant des initiatives à fort impact social comme Captain Cause, une plateforme dédiée au mécénat participatif. Cette trajectoire montre que l’après-exit peut être l’occasion de bâtir de nouveaux projets ambitieux tout en renforçant ses racines françaises.
L’expérience du scaling mondial acquise avec BlaBlaCar nourrit sa nouvelle approche entrepreneuriale, plus diversifiée et alignée sur des objectifs sociétaux. En capitalisant sur la solidité de son réseau international et une compréhension fine des enjeux globaux, Frédéric Mazzella s’emploie désormais à concilier impact sociétal et modèle économique pérenne. Cette évolution prouve que l’après-exit est aussi un espace de redéfinition stratégique, où les logiques de croissance s’enrichissent de finalités nouvelles.
Transformer l’expérience entrepreneuriale en levier sociétal
Nicolas Rohr et Frédéric Mugnier, qui ont fondé Faguo, une marque de mode française engagée dans la réduction de son empreinte carbone, ont vendu leur entreprise au groupe Eram tout en continuant à en assurer la direction. Grâce à leur leadership, Faguo est devenue l’une des premières marques françaises à obtenir la certification B Corp. La revente leur a offert des moyens supplémentaires pour déployer leur vision, sans sacrifier leur engagement écologique.
Plutôt qu’une absorption, leur passage sous l’égide d’un groupe industriel français a été pensé comme une alliance stratégique. En industrialisant leur démarche environnementale tout en imposant des standards exigeants à leurs partenaires et circuits de distribution, ils montrent que l’après-exit peut devenir un accélérateur de valeurs fondatrices. Le soutien financier du groupe Eram a servi d’amplificateur à leur stratégie d’impact, sans dilution de leur ADN entrepreneurial.
Intégrer un grand groupe sans diluer son ADN
Clément Buyse, cofondateur de PeopleDoc aux côtés de Jonathan Benhamou, a accompagné l’intégration de l’entreprise au sein d’Ultimate Software après la vente. Contrairement à de nombreux fondateurs qui quittent rapidement les grandes structures, il a su tirer profit de cette opportunité pour approfondir ses compétences en gouvernance à l’échelle mondiale, tout en initiant par la suite de nouvelles activités entrepreneuriales depuis la France.
En restant engagé au sein de l’organisation acquéreuse, Clément Buyse a participé activement à préserver l’esprit d’innovation et la culture produit de PeopleDoc. Cette posture hybride entre autonomie et collaboration montre qu’un exit peut être transformé en laboratoire d’apprentissage. En s’appropriant les meilleures pratiques des grandes organisations, il renforce ses capacités de création de valeur pour ses futurs projets tout en restant connecté au tissu entrepreneurial français.
Bâtir des écosystèmes au service des nouveaux entrepreneurs
Bertrand Diard, après avoir cofondé Talend, l’une des pionnières françaises de l’intégration de données massives, a choisi de s’investir dans le développement de l’écosystème tech français après la revente de son entreprise. Cofondateur d’Influans et membre actif de France Digitale, il milite pour une meilleure structuration du paysage entrepreneurial en France, en plaidant pour des conditions plus favorables aux start-up.
Son action ne se limite pas à des interventions ponctuelles auprès des jeunes pousses. En s’engageant sur des sujets de politique publique, de financement de l’innovation et de souveraineté numérique, Bertrand Diard participe activement à l’émergence d’une scène tech française capable de rivaliser à l’échelle internationale. Son parcours illustre que l’après-exit peut devenir une source d’impact systémique bien au-delà de l’aventure individuelle.
Réinventer une aventure entrepreneuriale à échelle humaine
Jean-Baptiste Rudelle, fondateur de Criteo, société française de référence dans la publicité programmatique, a quitté la direction après l’entrée en bourse de l’entreprise. Plutôt que de relancer une aventure de même envergure, il a créé Foxintelligence, une start-up spécialisée dans l’analyse des données issues du e-commerce, opérant toujours depuis Paris. Ce choix d’une structure plus agile traduit une recherche assumée d’indépendance et de flexibilité.
Avec Foxintelligence, Jean-Baptiste Rudelle revient à l’essence même de l’entrepreneuriat : expérimenter rapidement, garder un lien direct avec les utilisateurs, et piloter un projet sans l’inertie d’une multinationale cotée. Ce retour à une organisation à taille humaine n’est pas un repli mais une volonté affirmée de construire une innovation plus immédiate, plus souple et plus alignée avec l’évolution rapide des marchés numériques.