La clientèle constitue le socle fondamental et vital de l’existence et de la croissance d’une entreprise. Elle est ardue à capter, parfois dure à fidéliser et souvent compliquée à satisfaire. Ce sont les raisons pour lesquelles les entrepreneurs prennent un soin tout particulier à choyer leur clientèle et à entretenir une relation de confiance avec elle. La survenance d’un incident de paiement vient souvent compliquer cette relation dans un environnement économique incertain où 70% des entreprises disent devoir faire face à les retards de paiement et les impayés.
L’impayé, dont l’impact négatif sur la trésorerie des entreprises est parfois fort, se traduit principalement par une facture impayée, de traites à la date fixée, par des reports successifs d’échéances, des contestations non justifiées de la part des clients, voire des chèques sans provision.
Lors de la survenance d’un impayé, le réflexe premier du dirigeant sera d’adapter sa réaction en fonction de l’importance du client et des sommes dues. Le volume de chiffre d’affaires qu’il représente, les relations commerciales antérieures et les possibles relations commerciales futures sont autant d’éléments qui détermineront la réponse à adapter. Que cette réponse consiste à accorder des délais de paiement ou à entamer une procédure de mise en recouvrement ou d’injonction de payer, l’entreprise devra tout de même compenser cette perte de chiffre d’affaires.
Aux fins de prévenir le risque d’impayé et d’en atténuer les conséquences financières, les entreprises peuvent adapter leurs documents commerciaux. Elles pourront ainsi intégrer diverses clauses dans leurs conditions générales de vente, leurs devis, leurs bons de commande et/ou leurs factures : clause limitant les délais de réclamation, clauses compromissoire ou attribution de compétence, clause résolutoire, clause pénale ou clause de réserve de propriété.
Au-delà de ces diverses clauses contractuelles, insérées par les parties au contrat, les dirigeants d’entreprise peuvent également, et en ont même l’obligation dans certains cas, s’appuyer un arsenal juridique hérité d’une législation européenne désormais intégralement transposée dans notre droit national.
1. L’impact macro-économique des retards de paiement
« Une défaillance sur 4 est due à des retards de règlement ». Ce constat établi par Thierry Millon, responsable des analyses Altares éclaire le dirigeant d’entreprises sur les difficultés de recouvrer sa créance post facturation mais plus encore sur les risques engendrés par ces retards de paiement.
Il ressort de l’analyse trimestrielle d’Altares de février 2013 sur les comportements de paiement des entreprises en France et en Europe que « seules 31,5 % des entreprises françaises ont réglé leurs factures dans les délais sur le quatrième trimestre 2012 ». Ce chiffre illustre une dégradation de la situation et une augmentation du non-respect des délais de règlement par les entreprises françaises. Dans ce domaine, la France détient d’ailleurs un triste record puisque le même rapport établit que plus de 36,6 % des entreprises françaises décalent leurs paiements jusqu’à 15 jours après la date prévue sur la facture, soit 10 points de plus que la moyenne européenne.
Ces retards de paiement engendrent un assèchement dangereux de la trésorerie des TPE et PME qui se chiffre en milliards à l’échelle du pays. Dans son rapport annuel 2012, l’Observatoire des délais de paiement mesure que le respect des délais procurerait un supplément de trésorerie estimé à 13,4 milliards d’euros pour les PME. (http://www.banque-france.fr/fileadmin/user_upload/banque_de_france/publications/observatoire-delais-de-paiement-rapport-2012.pdf). La rationalisation des retards de paiement est donc un enjeu économique majeur pour les entreprises.
2. La mise sous tutelle juridique des délais et retard de paiement par l’Union Européenne
Consciente des enjeux majeurs que représente une politique maîtrisée des retards de paiement, l’Union Européenne a rapidement décidé d’encadrer juridiquement les délais et retards de paiement et ce, afin d’en juguler les dérives et effets néfastes pour l’économie européenne. La Commission européenne a ainsi adopté deux directives visant à réduire les délais de paiement dans les transactions commerciales au sein de l’Union.
La première, la directive 2000/35 du 29 juin 2000, avait pour objectif principal, en matière de transactions commerciales, d’octroyer le droit, pour le créancier, d’exiger des intérêts lorsque le paiement intervenait plus de 30 jours après la date de la facture (sauf délai plus long prévu contractuellement par les parties).
La seconde, la directive 2011/7/UE du 16 février 2011, se veut un peu plus contraignante, puisqu’elle instaure un délai de règlement de 60 jours entre entreprises, mais laisse aux acteurs la possibilité de définir des conditions différentes dans leurs transactions commerciales. Cette directive introduit aussi la possibilité de permettre au créancier de facturer des intérêts pour retard de paiement sans donner aucune notification préalable de non-paiement ni aucune autre notification similaire au débiteur pour lui rappeler son obligation de payer. Pour les rédacteurs de la directive, il s’agit avant tout de combattre des retards de paiement devenus « financièrement intéressants pour les débiteurs » en raison notamment du faible niveau ou de l’absence des intérêts pour retard de paiement facturés.
Afin de renforcer l’impact de ces directives et de sensibiliser les Etats membres de l’Union Européenne, les PME, ainsi que les autorités publiques, aux droits conférés par la directive 2011/7/UE sur ce sujet, la Commission européenne a mis en place une campagne européenne sur le retard de paiement dans les 27 États membres et en Croatie, d’octobre 2012 à décembre 2014.
3. La transposition en droit français
Le législateur français a pris la mesure des directives européennes relatives à la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales en transposant en droit français les dispositions desdites directives.
La transposition de la directive du 29 juin 2000 se fit en deux temps. Tout d’abord à travers les modifications apportées au code de commerce par les dispositions de l’article 53 de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques, dite loi NRE, puis dans un deuxième temps lors de l’entrée en vigueur le 1er janvier 2009 de la loi de modernisation de l’économie, dite loi LME .Cette dernière posa de façon plus précise les jalons en matière de délais de paiement.
Les dispositions de la directive 2011/7/UE furent elles transposées en droit français au travers de la loi du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à l’allégement des démarches administratives, dont les dernières mesures sont entrées en vigueur et applicables depuis le 1er janvier 2013. En laissant moins de place à la libre volonté et négociation des parties quant aux ajustements possibles dans la fixation des délais maximum, cette transposition s’est voulue moins souple que ne le prévoyait et le permettait la directive.
a. Les délais maximum de paiement
Bien qu’il s’agisse ici de présenter les modalités d’encadrement juridique des délais de paiement, il doit tout de même être souligné que le paiement comptant peut toujours être exigé par une entreprise, de sorte que le client a alors l’obligation de payer le bien ou la prestation le jour de la livraison ou de la réalisation. En revanche, un paiement à réception implique un délai d’au moins une semaine, incluant le temps d’acheminement de la facture.
Les délais de paiement entre professionnels sont donc régis par des textes qui ont pour objectif de créer un cadre plus normé, et dont les conditions doivent obligatoirement figurer dans les conditions générales de vente et les factures.
Deux types de délais de paiement codifiés à l’article L. 441-6 du code de commerce peuvent être appliqués:
- Le délai légal, qui s’impose en dehors de toute disposition contraire figurant aux conditions de vente ou convenue entre les parties ; le délai de règlement des sommes dues est alors fixé au 30ème jour suivant la date de réception des marchandises ou d’exécution de la prestation demandée.
- Le délai conventionnel, qui ressort de conditions plus favorables introduites dans les conditions générales de vente, mais qui ne peut dépasser 45 jours fin de mois ou 60 jours, à compter de la date d’émission de la facture.
Le choix entre les 60 jours calendaires (de date à date) ou les 45 jours fin de mois relève de la liberté contractuelle. Le mode de calcul retenu doit être précisé dans les conditions générales de ventes ou dans le contrat. Comme il s’agit d’un maximum, ce délai peut être réduit d’un commun accord entre le fournisseur et son client.
Concernant le délai de 45 jours fin de mois, deux modes de calcul sont possibles :
- Ajouter 45 jours à la fin du mois d’émission de la facture
- Ajouter 45 jours à la date d’émission de la facture, la limite de paiement intervenant à la fin du mois au cours duquel expirent ces 45 jours.
L’article 441-6 alinéa 12 du code de commerce indique qu’est puni d’une amende de 15 000 euros le fait de ne pas respecter les délais de paiement mentionnés ci-dessus.
Le fait pour un débiteur d’exiger de son fournisseur qu’il retarde l’émission de la facture, afin d’allonger le délai de règlement effectif, est considéré comme un abus.Tout délai supérieur à ce maximum est également considéré comme abusif et peut donner lieu à l’application d’une amende civile de deux millions d’euros en vertu des dispositions de l’article L. 442-6 du code de commerce.
La loi du 22 mars 2012 précitée a prévu la possibilité, pour certains secteurs, de conclure des accords dérogatoires aux dits plafonds légaux, sous réserve qu’un certain nombre de conditions soient réunies. Il existe à ce titre des exceptions pour les produits alimentaires périssables, les secteurs des transports et de la construction, ou les livraisons vers les départements et collectivités d’outre-mer.
En dépit de ces différentes mesures destinées à encadrer les délais de paiement, les entreprises sont toutes susceptibles d’être victimes de retards de paiement de la part de leurs clients. Il incombe dès lors de savoir quelles sont les pénalités de retard qui peuvent être exigées puis recouvertes. Dans ces domaines encore, les deux directives européennes susmentionnées et les lois de transposition ont contribué à encadrer la fixation des pénalités de retard et les modalités de recouvrement.
b. Les pénalités de retard
Les documents commerciaux tels que conditions générales de vente, bons de commande et facture doivent obligatoirement préciser les conditions d’application et le taux d’intérêt des pénalités de retard.
Les pénalités de retard sont exigibles le jour suivant la date de règlement figurant sur la facture dans le cas où les sommes dues sont réglées après cette date.
Les dispositions nouvelles qui entrent en vigueur le 1er janvier 2013 s’appliqueront aux contrats conclus à compter de cette date, ainsi qu’aux contrats conclus antérieurement à cette date et toujours en cours, pour les créances dont le délai de paiement commence à courir après cette date.
- La détermination du taux des pénalités de retard
Les entreprises sont libres de fixer le taux des pénalités de retard infligées à leurs clients en cas de retard de paiement, et disposent de plusieurs moyens pour le faire dans les limites fixées par la loi et notamment l’article L.441-6 alinéa 12 du code de commerce :
- La méthode de l’intérêt légal.Toute entreprise peut déterminer le taux applicable aux intérêts de retards en se basant sur le taux de l’intérêt légal. Dans ce cas, il faudra garder à l’esprit que ce taux ne peut pas être inférieur à 3 fois le taux d’intérêt légal. Au regard des taux d’intérêt légaux extrêmement bas depuis quelques années, les entreprises n’ont pas intérêt à retenir cette méthode de détermination car il n’est pas très dissuasif pour leurs clients.
- La méthode taux BCE. Lorsque l’entreprise n’a rien prévu, elle peut alors réclamer le taux d’intérêt appliqué par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente majoré de 10 points de pourcentage. Il doit être précisé que le taux BCE à appliquer pendant le premier semestre de l’année sera celui en vigueur au 1er janvier de l’année considérée et le taux à appliquer pendant le second semestre sera celui en vigueur au 1er juillet de l’année considérée.
- La méthode du taux fixe.Dans la mesure où l’objectif premier du taux appliqué aux pénalités de retard doit être dissuasif, et de la rendre la plus prévisible possible, il est possible de choisir un taux fixe assez élevé. Un taux de 15% est ainsi possible.
Les intérêts de retard appliqués dans un contrat entre professionnels jouissent d’une double protection en ce qu’ils ne sont pas soumis aux règles sur le taux d’usure et qu’ils sont considérés par la jurisprudence comme des intérêts ; ces intérêts de retard sont l’application d’une disposition légale supplétive et ne s’apparentent pas à une clause pénale qui, elle, pourrait être réduite en raison de son caractère abusif. (Cass. com. 2 nov. 2011 n° 10-14.677). Ainsi, le juge n’a aucun pouvoir de contrôle sur le taux prévu pour déterminer les pénalités de retard.
Les textes ont prévu une automaticité de la computation et de l’exigibilité des pénalités de retard. Les pénalités de retard sont en effet exigibles sans qu’un rappel soit nécessaire. Tout professionnel en situation de retard de paiement en est de plein droit débiteur à l’égard du créancier.
La protection octroyée par le législateur s’accompagne aussi d’obligations pour l’entreprise qui faute de ne pas respecter les dispositions régissant les conditions d’application et de fixation du taux peuvent se voir infliger deux amendes :
- Une amende de 15 000 euros qui vient sanctionner (i) le fait de ne pas indiquer dans les conditions de règlement les conditions d’application et le taux d’intérêt des pénalités de retard et (ii) le fait de fixer un taux ou des conditions d’exigibilité des pénalités de retard selon des modalités non conformes aux dispositions de l’article L.441-6 alinéa 12. (Amende prévue par l’article L.441-6 du code de commerce).
- Une amende de 75 000 euros, laquelle amende peut être portée à 50 % de la somme facturée ou de celle qui aurait dû être facturée, qui sanctionne le fait pour une facture professionnelle de ne pas faire mention du taux des pénalités exigibles le jour suivant la date de règlement inscrite sur la facture.
Nous recommandons donc de préciser sur les conditions générales de vente et les factures professionnelles la mention suivante « En application des dispositions des articles L.441-6 et L441-4 du code de commerce, toute somme non payée à l’échéance prévue donne lieu, sans mise en demeure préalable, au paiement d’intérêts de pénalités de retard au taux de […] ».
- Calcul et exigibilité des pénalités de retard
L’article L. 441-6 du Code de commerce précise que les « pénalités de retard sont exigibles sans qu’un rappel soit nécessaire », reprenant ainsi les termes de la jurisprudence de la cour de cassation qui avait reconnu, sous le visa du même article du code de commerce que « les pénalités de retard pour non-paiement des factures sont dues de plein droit, sans rappel » (Cass. com., 3 mars 2009, pourvoi 07-16.527).
En cas de retard de paiement, le fournisseur n’a donc pas besoin d’adresser une mise en demeure à son client pour faire courir les pénalités de retard car celles-ci courent automatiquement dès le jour suivant la date de règlement mentionnée sur la facture ou, à défaut de mention d’une date de règlement sur la facture, dès le 31e jour suivant la date de réception de la marchandise ou d’exécution de la prestation.
Il convient de préciser que la Cour de cassation dans le même arrêt du 3 mars 2009 précité avait précisé que les disposition de l’article L. 441-6 du code de commerce répondent à des considérations d’ordre public particulièrement impérieuses et que dès lors un fournisseur ne peut pas déroger à l’article L. 441-6 du Code commerce et prévoir dans ses conditions générales de vente que les pénalités de retard ne sont exigibles qu’à compter de la mise en demeure adressée au client et non à compter du jour suivant la date de règlement prévue sur la facture.
L’assiette de calcul des pénalités de retard est constituée des sommes dues par l’acheteur. Les pénalités de retard doivent donc être calculées sur la base du prix toutes taxes comprises figurant sur la facture et non sur celle du prix hors taxes. Elles cessent d’être dues le jour où les sommes sont portées sur le compte du créancier, la loi prévoyant que « le règlement de la facture est réputé réalisé à la date à laquelle les fonds sont mis, par le client, à la disposition du bénéficiaire ou de son subrogé ».
Une application stricte des textes et de la jurisprudence voudrait qu’il n’y ait pas de facture à émettre car ces pénalités sont dues de plein droit et c’est au client de les calculer. En pratique, il vaut mieux émettre une facture. Celle-ci est toutefois n’est pas soumise à TVA puisqu’il s’agit de pénalités.
Au regard de l’imposition des intérêts de retard, l’article 237 sexies du code général des impôts précise que » les produits et charges correspondant aux pénalités de retard mentionnées aux articles L. 441-3 et L. 441-6 du code de commerce sont respectivement rattachés, pour la détermination du résultat imposable à l’impôt sur le revenu ou à l’impôt sur les sociétés, à l’exercice de leur encaissement et de leur paiement. » Ainsi, les pénalités de retard ne seront imposables que lors de leur encaissement pour le créancier et déductibles que lors de leur paiement pour le débiteur.
c. L’indemnisation pour les frais de recouvrement
Une des dispositions phare prévue par la récente loi de simplification du droit du 22 mars 2012 est celle relative aux frais de recouvrement. Entrée en vigueur le 1er janvier 2013, elle s’applique aux contrats conclus à compter de cette date, ainsi qu’aux contrats conclus antérieurement à cette date et toujours en cours, pour les créances dont le délai de paiement commence à courir après cette date.
En plus des pénalités de retard, la loi nouvelle institue un droit en faveur du créancier de percevoir de manière automatique une indemnité forfaitaire pour couvrir ses frais de recouvrement, à la condition que le débiteur ne fasse pas l’objet d’une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire. Cette indemnité est donc due de plein droit par le professionnel en situation de retard et donc exigible sans qu’un rappel soit nécessaire et sans formalité.
Le montant minimum de cette indemnité forfaitaire a été fixé à 40,00 € par le décret n° 2012-1115 du 2 octobre 2012 (article D 441-5 du code de commerce). Le montant de l’indemnité doit figurer, comme les pénalités de retard, dans les conditions de règlement (art. L 441-6 C. Com) et être mentionné sur la facture (art. L 441-3 C. Com).
Le créancier sera en droit de réclamer au débiteur, outre le montant forfaitaire, une indemnisation supplémentaire s’il justifie de frais de recouvrement supérieurs à l’indemnité forfaitaire, notamment du fait de l’intervention d’un avocat ou d’une société de recouvrement.
Par Michael HERSZBEIN
Avocat au barreau de Paris