Karine Schrenzel est aujourd’hui à la tête d’un groupe détenant dix sites leaders dans leur secteur, ShopInvest. Accompagnée de son associé, qui se révèle être son mari, la dirigeante revient sur cette belle aventure. Rencontre.
Qu’avez-vous fait avant de créer votre entreprise ?
Née en France, j’ai grandi aux états-Unis au sein d’une famille française et autrichienne. Après avoir obtenu mon diplôme à l’ESCP Europe, je suis rentrée chez MCkInsey & Company, un cabinet de conseil en stratégie. Enfin, j’ai été débauchée par un fonds d’investissement de Private Equity, l’entreprise britannique de capital-investissement Cinven. En résumé, un début de carrière plutôt axé vers de grands groupes dans le conseil et la finance.
A quel moment avez-vous fait le choix d’entreprendre ?
J’ai toujours eu l’idée de créer ma propre société mais en sortant de l’école, je ne me sentais pas encore prête à sauter le pas. J’ai également vécu aux états-Unis, dont la culture entrepreneuriale est bien différente de la nôtre. Celle-ci y est fortement valorisée et l’échec ne constitue ni une peur ni une honte ni une fatalité comme en France. Il suffit de recommencer quand on a échoué. Cette conception de l’univers entrepreneurial a sans doute influencé mon regard sur le sujet. En travaillant dans le secteur de la finance, j’ai pris conscience du fait que ce métier ne correspondait pas à ce que je voulais réellement faire.
Un an plus tard, j’ai décidé de quitter ce poste et son salaire démesuré pour suivre le chemin de l’entrepreneuriat. Ces années passées en tant que salariée se sont révélées toutefois très formatrices. Certains m’ont dit que j’étais très courageuse, d’autres, folle d’abandonner ce confort de vie, il faut probablement un peu des deux pour se lancer ! Et c’est ce que j’ai fait en fondant ma propre société.
Le projet a-t-il bien fonctionné dès le départ ?
En créant mon premier site internet, MenCorner.com, un site de cosmétiques dédié aux hommes, il a fallu m’adapter. J’ai été contrainte de revêtir plusieurs casquettes telles que celles liées à la création d’un site internet ou encore du marketing. Le site fonctionnait plutôt bien et s’est révélé rentable assez rapidement mais il n’a pas été évident de convaincre les grandes marques avec peu de notoriété. Ce n’est pas la même chose de prospecter pour une entreprise qui a déjà un nom, telle que McKinsey, et de le faire pour la sienne que l’on vient de créer ! Cette période n’a pas été facile mais je suis tout de même parvenue à obtenir l’accord de grandes marques. Parmi elles, se trouvaient des marques comme Clarins ou Biotherm.
Quelles sont les spécificités de ShopInvest ?
ShopInvest est le spécialiste de l’achat plaisir sur internet. Nous détenons 10 sites leaders sur leurs marchés, dont Mencorner fut la 1re pierre. Nous sommes positionnés sur la montre et bijoux avec notamment Bijourama, Mode-in-Motion et Lookéor, le meuble et la déco avec SoFactory et DeclikDeco, la beauté avec MenCorner, Comptoir de l’Homme et WomanCorner, et depuis peu la lingerie avec Lemon Curve. Aussi, nous sommes présents en France et à l’international, notamment en Angleterre, Allemagne, Italie ou encore Belgique.
Comment s’est faite l’association avec votre mari ?
Seule au début de l’aventure, le site de MenCorner a commencé à décoller quelques années après sa création pour parvenir, en 2010, aux alentours des 2 millions de chiffre d’affaires. Le problème résidait dans le fait que je me positionnais sur un marché de niche, ce qui, sur le long terme, limitait la croissance du chiffre d’affaires de l’entreprise. D’un autre côté, j’ai réalisé que, pour l’univers du e-commerce, il existait deux modèles spécifiques. Le premier concerne essentiellement les mastodontes tels qu’Amazon. Et le second, des sites spécialistes de leur domaine. Sur le e-commerce, atteindre une taille critique est essentiel pour la rentabilité mais aussi la stabilité.
C’est en discutant avec mon mari, Olivier Gensburger, et forts de notre expérience dans le e-commerce et le private equity, que nous avons projeté d’atteindre cette taille critique en faisant à la fois de la croissance organique et externe. Nous avons tout de suite pensé à mutualiser les fonctions supports. Olivier et moi, nous nous sommes alors associés en 2011 pour créer le groupe ShopInvest, qui se positionne naturellement sur une stratégie de build-up avec l’ambition avouée de conjuguer taille significative et profil de rentabilité attractif, une donne atypique dans le e-commerce français.
De quelle manière a démarré cette grande phase d’acquisitions ?
En 2011, ayant pour projet de racheter des sites internet, nous avons décidé d’entreprendre une levée de fonds d’environ 1,2 million d’euros. Cet apport financier nous a permis de réaliser notre toute première acquisition, le site Bijourama, précurseur de la montre et du bijou sur internet. à partir de là, s’est enchaînée toute une série d’acquisitions. Nous avons également créé le site WomanCorner, la version féminine de MenCorner.com. ShopInvest n’a cessé de croître, ce qui nous a permis, en 2015, de réaliser une seconde levée de fonds de 2 millions d’euros et de nous en servir comme d’un levier. Bien que des actionnaires soient de fait impliqués dans le développement de l’entreprise, Olivier et moi restons majoritaires.
Quels critères retenez-vous avant d’acquérir une société ?
Le premier grand critère de sélection consiste à rester dans le secteur de la consommation dite de « plaisir ». Le second repose sur le fait que nous plaçons la barre très haute. Nous rachetons uniquement des spécialistes à forte notoriété sur leur secteur. Nous visons également des sites internet vendant des marques haut-de-gamme, difficiles à obtenir. Notre critère principal reste la marge brute, qui doit être supérieure à 45 – 50 %. Nous faisons donc en sorte que les sites que nous rachetons détiennent une position leader sur leur marché.
Quel impact le rachat de Lemon Curve a-t-il eu ?
Il s’agit de notre dernière acquisition mais également de notre entrée dans le secteur vestimentaire. L’expertise sur le développement de marques propres – Iconic – est également un élément intéressant pour le groupe. Forte d’une belle connaissance du marché de la lingerie et de son portefeuille de clientes, Lemon Curve a, au cours des deux dernières années, imaginé et lancé trois marques propres dont l’existence est désormais stratégique pour le site. Le private label est une piste intéressante à explorer pour le e-commerce et nous allons pouvoir, grâce à cette acquisition, intégrer un savoir-faire. Nous travaillons bien évidemment sur la rentabilité de Lemon Curve, tout en préservant sa croissance, notamment grâce au CRM et notre grande base de données.
Qu’est-ce qui a motivé cette décision de rachat ?
Lemon Curve est leader de la distribution de lingerie en ligne. La stratégie de private label entamée offre de belles perspectives de marge brute. Le projet nous paraissait intéressant et nous pensons que nous allons pouvoir lui apporter notre expertise pour booster sa croissance et sa rentabilité.
Quelles ont été les difficultés rencontrées ?
Elles sont nombreuses ! La première est survenue lors du démarrage de notre activité. J’ai mis près de 2 ans à lancer le premier site internet. Du fait que nous n’étions pas ou peu connus, il était aussi très compliqué d’obtenir des accords et partenariats avec de grandes marques. Le processus lié aux acquisitions s’avère toujours délicat, car nous ne pouvions pas vraiment nous permettre de nous tromper. Chaque acquisition est complexe. Par ailleurs, avant d’être rejoint par mon mari, je me suis associée à une autre personne avec laquelle cela s’est très mal passé.
Une expérience qui s’est révélée assez dure au final car, quelque part, elle demeure une déception sur le plan humain. Il faut dire que l’association reste un sujet complexe. Soit on décide de ne faire confiance à personne, mais je pense qu’on passerait à côté de belles aventures humaines, soit on se dit que cela fait partie du jeu… D’après moi, l’évolution personnelle, comme le soutien d’un conjoint ou la volonté d’avoir un enfant, tient un rôle primordial au sein d’une association. Je ne prétends pas détenir la solution miracle. J’ai juste trouvé mon propre équilibre avec mon mari/associé, et cela fait cinq ans que ça fonctionne.
Qu’est-ce que représente l’entrepreneuriat pour vous ?
La persévérance ! L’entrepreneuriat symbolise également le fait de fédérer autour de soi. Cela implique aussi de détenir une vision. C’est une très belle liberté, beaucoup de bonheur et de stress en même temps. C’est avant tout intense.
Comment conciliez-vous vie professionnelle et vie personnelle ?
J’ai deux enfants, âgés de trois et cinq ans donc cela reste, pour ma part, un équilibre à trouver et à maintenir. Quand on a des enfants, on a envie d’être un maximum auprès d’eux, ce qui implique de s’organiser. D’un autre côté, l’avantage de l’entrepreneuriat est qu’il confère certaines libertés et cela fait pleinement partie de mon équilibre. à titre d’exemple, quand je rentre chez moi le soir, je peux parfaitement coucher mes enfants et retravailler derrière. J’ai fait en sorte d’optimiser ma vie autour d’eux en ayant des bureaux situés juste à côté, ce qui me permet d’aller les voir cinq minutes le midi. Je pense qu’il est important de prendre du temps pour faire ce genre de choses car le métier d’entrepreneur demeure très prenant.
D’autres projets ?
Nous avons énormément de projets car nous considérons qu’il reste encore plein de choses à réaliser. Nous travaillons sur plusieurs dossiers d’acquisition et sommes également encore très impliqués tant sur la vision vers laquelle nous souhaitons amener Shopinvest que sur l’opérationnel et la croissance organique.
Une habitude pour se déconnecter du travail et du stress ?
J’ai connaissance du fait que certains font du yoga ou autres, mais je ne sais pas comment ils trouvent le temps de le faire ! Pour ma part, j’aime particulièrement le tennis et la danse, ce sont mes deux sports de prédilection. Et quand je parviens à faire mon heure de tennis par semaine, c’est déjà très bien ! J’étais très sportive auparavant mais depuis que je suis entrepreneure, et avec des enfants, je dispose de nettement moins de temps à consacrer au sport. Autrement, il y a mes enfants qui me permettent de déstresser. Quand je suis avec eux, j’oublie le reste.
Les 4 Conseils de Karine Schrenzel
- Trouver un associé fiable, et avec qui l’on a envie de travailler au quotidien.
- Etre persévérant. Si l’on s’arrête à la moindre difficulté, mieux vaut ne pas entreprendre.
- Foncer. Si l’on détient l’envie d’entreprendre, alors il faut y aller car la bonne idée ne vient jamais au bon moment. C’est l’envie qui draine l’idée !
- Voir toujours plus haut. J’ai toujours pensé que pour être heureux, il ne faut surtout pas avoir peur de ses ambitions.
« Certains m’ont dit que j’étais très courageuse, d’autres, folle d’abandonner ce confort de vie, il faut probablement un peu des deux pour se lancer ! Et c’est ce que j’ai fait en fondant ma propre société. »