Retrouvez notre interview de Jean-Claude Bourrelier, Fondateur du groupe Bricorama
Comment en êtes-vous venu à l’entrepreneuriat ?
J’ai commencé à travailler un peu avant mes 14 ans. Issu d’une famille modeste, avec un père atteint d’une maladie professionnelle, je n’ai pas eu d’autres choix que d’arrêter l’école, même si j’étais bon élève. J’ai commencé comme apprenti boulanger, avant de devoir passer apprenti charcutier à cause de problèmes d’oreilles. Mon CAP charcutier en poche, je suis monté à Paris pour trouver du travail. Là j’ai enchaîné les petits boulots… avant de m’installer à mon compte. C’est à 29 ans que j’ai monté mon premier magasin de bricolage.
Pourquoi avoir choisi la voie de la création d’entreprise ?
Le patron pour lequel je travaillais ne voulait pas me faire progresser dans l’entreprise malgré mes bons résultats, simplement parce que je n’avais pas les diplômes nécessaires. Comme j’avais envie d’évoluer, la seule solution restait la création d’entreprise.
Pourquoi avoir choisi de monter un magasin de bricolage ?
Je travaillais alors chez Black et Decker et visitais régulièrement des magasins de bricolage. J’ai donc trouvé que c’était une bonne opportunité pour moi. Aujourd’hui l’entreprise Black et Decker fait partie de mes fournisseurs. Quand elle voit l’énergie que je mets pour développer mon groupe, elle ne comprend pas pourquoi les dirigeants de l’époque n’ont pas voulu me donner une promotion !
Comment avez-vous financé votre premier magasin ?
Sans argent. J’avais demandé de l’argent aux banquiers qui m’ont répondu que je devais d’abord faire un business plan. Une fois ce document réalisé, je suis retourné les voir. Ils m’ont dit cette fois-ci que je devais d’abord signer le bail. Après l’avoir fait, je suis retourné les voir. Ils m’ont fait patienter encore trois mois pour me signifier leur accord. Le comité de crédit, ayant vu que mes recettes étaient largement au-dessus des prévisions du business plan, a accepté de me financer. Mais ce n’était plus la peine ! Je n’avais jamais été aussi riche ! J’ai réussi à financer le développement grâce aux avantages apportés par le crédit fournisseur, le fait de payer le stock après avoir touché l’argent des clients.
Qu’est-ce qui a fait la différence entre un magasin de bricolage de quartier et le vôtre ?
Quand je retourne dans mon premier magasin, qui est toujours ouvert, j’y rencontre mes premiers clients qui me disent qu’ils étaient sûrs que j’allais réussir. Selon eux, je mettais beaucoup d’énergie, de sérieux et de passion dans le développement de mon magasin. Et je pense que j’ai toujours été très à l’écoute du client.
Et comment avez-vous développé cette qualité d’écoute du client ?
Sans doute cette capacité à bien écouter les clients est-elle liée à mon expérience. J’ai été quasiment sourd jusqu’à l’âge de 20 ans, ce qui fait que j’étais constamment obligé de bien tendre l’oreille pour essayer d’entendre, et d’observer le visage des gens pour lire sur leurs lèvres. J’ai donc appris à être très à l’écoute des gens grâce à ce handicap. Puis, à 20 ans j’ai subi une opération pour me guérir de ma surdité. Ça a été formidable, une seconde naissance ! J’ai pu quitter mon métier de charcutier et espérer connaître un développement au niveau professionnel. Quand on surmonte un handicap, il devient une vraie force. Ça ne sert à rien de se plaindre de ses difficultés car on peut s’en servir comme un tremplin et que de toutes façons les gens n’aiment pas les pleureurs !
Comment votre entreprise se situe-t-elle aujourd’hui sur le marché du bricolage ?
Ce marché est structuré en duopole avec deux enseignes filiales d’hypermarchés : Leroy Merlin, filiale d’Auchan et Castorama, ancienne filiale de Carrefour, revendue depuis à un groupe anglais. Grâce à la puissance financière des hypermarchés, ces deux leaders représentent 70 % du secteur. Bricorama se place comme le challenger sur ce marché.
Comment avez-vous développé le groupe Bricorama ?
Par la croissance interne et externe à la fois. Nous ouvrons chaque année de nombreux magasin et rachetons des enseignes dès qu’une occasion se présente. J’ai racheté ainsi Bricostore, la Bricaillerie, Outirama… des entreprises en difficultés car elles n’avaient pas été gérées de manière rigoureuse. C’est la loi du capitalisme : les plus faibles disparaissent et seuls les forts persistent.
Comment vous êtes-vous développé à l’international ?
J’ai racheté des enseignes à l’étranger et j’ai ouvert de nouveaux magasins. Mais pour moi l’international reste une chose très complexe. Cela représente un vrai risque pour une entreprise de s’attaquer à l’étranger. Chaque pays a ses habitudes de consommation différentes, les gens pensent différemment, leurs styles de vie varient beaucoup. L’international, c’est une remise en cause permanente.
Pourquoi avoir fait le choix d’entrer en Bourse en 1996 ?
A l’époque je voulais racheter une très grosse enseigne leader sur le marché. Pour cela, il me fallait augmenter mon capital et j’ai donc fait le choix d’entrer en Bourse. Ce rachat allait nous faire plus que doubler et j’avais donc besoin d’associés pour faire cette acquisition. Malheureusement, Leroy Merlin m’en a empêché car ils étaient plus riches. J’ai alors essayé de sortir de la Bourse mais des « fonds vautours » m’ont bloqué.
Vous regrettez cette introduction en Bourse ?
Aujourd’hui c’est pour moi un handicap d’être en Bourse. Cela donne énormément de contraintes, c’est une vraie lourdeur au quotidien ! Nous avons en plus été obligés de passer d’Euronext à Alternext, ce qui nous a coûté très cher.
Quand vous vous êtes lancé, aviez-vous l’ambition de développer un tel groupe ?
Non pas du tout ! J’ai été pris un peu malgré moi dans cet engrenage. Après avoir un ouvert un premier magasin, je me suis dit qu’avec un second ce serait mieux. Puis j’ai pensé qu’avec 5 magasins la gestion serait plus facile… Et puis après ce fut l’engrenage d’une entreprise qui doit toujours se développer sans jamais stagner.
De quoi êtes-vous le plus fier ?
D’avoir duré. Ce qui est le plus difficile, c’est de faire perdurer une entreprise. Je ne sais pas encore de quelle manière ça se fera, mais mon souhait est que le groupe continue à se développer quand je ne serai plus là.
Le travail est une valeur qui vous est chère ?
Oui, mon père m’a toujours conseillé de ne rien attendre des autres et de ne compter que sur mon propre travail pour m’en sortir. Depuis 51 ans, je travaille toujours 7/7 jours ! Cela me permets de ne jamais être fatigué, car je pense que c’est lorsqu’on s’arrête qu’on perd son énergie. Les vacances, ça me fatigue, alors que le travail, non !
Que vous a apporté cette origine modeste ?
La niaque. Lorsqu’on n’a pas la chance d’avoir eu des diplômes, on n’est sans cesse obligé de faire ses preuves, de prouver sa valeur. Aujourd’hui je recrute d’ailleurs davantage les personnes au feeling, en fonction de leur niaque, plus qu’au regard de leurs diplômes. Cette niaque est née en moi car j’étais « traumatisé » par le futur. Lorsqu’on nait dans un milieu ouvrier et qu’on réfléchit un peu, on se dit que toute sa vie on restera dans la même condition sociale que ses parents. C’est très angoissant. Donc j’ai choisi de ne pas me plaindre de mon sort et de me battre pour y arriver, grâce au travail.
Vous avez désormais totalement changé votre condition sociale…
Oui, mais je ne suis pas du tout matérialiste. Dans mon bureau, tout est de la récup’ ! Et je roule en Peugeot 407, pas dans une grosse berline ! Quand vous vous enrichissez, vous vous rendez compte que ce n’est pas l’argent qui fait le bonheur.
Regrettez-vous toujours le fait de ne pas avoir pu avoir de diplômes ?
Oui, car si j’avais eu des diplômes, ma vie serait totalement différente. Quand vous êtes issu de grandes écoles, on vous voit comme l’élite de la nation et toutes les portes vous sont ouvertes. Si j’avais été énarque, je sais qu’aujourd’hui je serai patron d’une entreprise du Cac 40. Je ne me plains pas de ma situation mais je suis lucide. l
5 conseils
- Beaucoup travailler. Lorsqu’on fait des erreurs, si l’on travaille beaucoup, on peut les corriger rapidement. Diriger une entreprise, c’est comme piloter un bateau. Celui qui n’est pas tout le temps à la barre aura du mal à redresser le navire qui a pris une mauvaise direction. Alors que si le capitaine reste à la barre, il pourra vite s’apercevoir que le bateau dérive pour le redresser.
- Plus l’entreprise est grande, plus il faut être vigilant. Plus le navire est grand, plus il sera difficile à redresser. Quand on a une petite entreprise on rêve du moment où elle aura grandi. Mais quand on atteint une taille importante, on comprend que cela demande encore plus de vigilance, car chaque erreur de pilotage peut être très longue à corriger.
- Être à l’écoute du client. C’est l’empathie envers le client, cette envie de répondre précisément à ses besoins qui fera la différence.
- Faire preuve d’exemplarité. Ce n’est qu’en montrant l’exemple qu’on peut manager ses équipes efficacement. J’essaie d’appliquer moi-même toutes les choses que je demande à mes équipes.
- Tenir ses engagements ! Auprès de ses clients comme avec ses collaborateurs.