Entretien exclusif avec Jacques Bouthier, fondateur et président du groupe Assu 2000, qui évolue avec succès sur le marché du courtage en assurances depuis 40 ans.
Quel est votre parcours ?
Je n’ai pas fait d’études supérieures. Le bac en poche, j’ai intégré une classe préparatoire avant de partir directement sur le marché du travail. J’habitais dans les cités de banlieue parisienne et je suis fils de parents divorcés. Dans cette situation, il existe une certaine pression sociale qui vous incite à aller travailler rapidement. Je ne m’en plains pas, c’est simplement un constat ! Ma mère n’a jamais gagné autre chose que le Smic et m’a donc incité à entrer dans le monde professionnel. C’est de cette manière que j’ai commencé ma carrière dans le pétrole.
Comment en êtes-vous arrivé à l’entrepreneuriat ?
J’ai postulé à un poste d’encadrement et on m’a dit qu’au vu de l’âge que j’avais, 25 ans à l’époque, je devrais attendre que les personnes en place partent à la retraite ! Ainsi, j’ai cherché une opportunité ailleurs. J’ai répondu à la petite annonce d’une compagnie d’assurances. On m’a fait passer un entretien et en quelques heures j’ai été nommé agent général d’assurances ! Nous étions en 1973. C’est un secteur que j’ai intégré tout à fait par hasard. Sincèrement, le domaine ne m’intéressait pas trop !
D’autant que quand j’étais agent général, je me suis rendu compte au bout de quelques mois qu’il s’agissait d’un cadre trop contraignant. L’inspecteur qui m’avait nommé à ce poste m’avait d’ailleurs reçu en entretien pour tester ma motivation. Il m’a montré le compte rendu d’un agent qui avait vendu une centaine de contrats le mois précédent. C’est à ce moment-là que je me suis dit qu’il était possible de réussir dans ce secteur. Cela m’a motivé et j’ai décidé de me lancer dans l’entrepreneuriat. J’ai résilié mon statut d’agent général et j’ai créé ma boîte en octobre 1975.
C’est le début de l’aventure « Assu 2000 »…
Tout à fait. En parallèle, je travaillais toujours dans le domaine du pétrole, car cela me permettait d’assurer un revenu suffisant pour ma famille et de payer le crédit que j’avais contracté pour acheter ma maison. J’ai démarré le business de la manière la plus simple du monde. Sur mon terrain, j’ai planté un bungalow, j’y ai installé une ligne téléphonique et placé une secrétaire. J’ai fait de la publicité pour mes produits et les clients sont venus naturellement. Puis, lorsque j’ai eu les moyens, j’ai acheté une boutique à deux pas de chez moi en Seine-Saint-Denis (93) et, dès l’instant où j’ai eu de quoi nourrir suffisamment ma famille, j’ai arrêté mon activité dans le pétrole et je me suis lancé à fond dans l’assurance.
Que représente l’entrepreneuriat pour vous ?
Dans le milieu professionnel, j’exprime le besoin de ne pas être contraint. Les entrepreneurs qui se lancent se disent souvent « je veux être libre ». Pourtant, on s’aperçoit rapidement que l’on évolue toujours dans un cadre et que l’on possède des contraintes de tous les côtés. L’objectif reste de pouvoir avancer dans ce cadre-là et de continuer à bâtir quelque chose qui restera. Je me considère plutôt comme un bâtisseur. Mon deuxième motif de satisfaction en tant qu’entrepreneur demeure la constitution et l’accompagnement d’une équipe. Au sein de l’entreprise, certains collaborateurs me suivent depuis le début de l’aventure, ou presque !
C’est le cas de ma directrice financière qui part à la retraite dans quelques mois. C’est un vrai motif de satisfaction d’avoir pu aider certaines personnes à se réaliser dans le cadre de leur profession. Tous les ans, lors d’un salon annuel auquel je me rends, je croise régulièrement certains jeunes commerciaux qui ont travaillé au sein de nos agences. Je suis ravi de voir qu’ils sont partis, qu’ils se sont installés à leur compte et qu’ils ont réussi. Donner un métier à des jeunes sortis des écoles, cela constitue une de mes plus grandes fiertés.
Quel type de manager êtes-vous ?
Assu 2000 est une entreprise que j’ai créée avec des collaborateurs et de par ma nature, je suis très proche des gens. Je n’utilise pas d’e-mail, ni le téléphone pour parler à ceux qui sont dans mes locaux. Je vais les voir directement, je discute. J’adopte un management de proximité ! Au siège de l’entreprise, Je vais serrer la main tous les jours à mes équipes. Chacun des membres de l’entreprise me voit environ 2 à 3 fois par jour. J’ai plaisir à échanger avec ceux qui construisent l’entreprise au quotidien. J’essaye de réduire les strates hiérarchiques.
Aujourd’hui, ce management de proximité existe-t-il dans les start-up ?
Oui, je pense ! Notre seule force par rapport aux mastodontes de l’assurance consistait à conserver une forte agilité. Et pour y parvenir, nous étions obligés de cultiver la proximité avec les équipes et le marché. Les start-up doivent aussi se situer dans ces schémas-là. Elles sont obligées d’être proches de leur environnement pour évoluer. J’ai personnellement repris une entreprise dans le Nord de la France il y a quelques années. Ce faisant, j’ai été obligé de transformer le management. J’ai choisi des managers qui provenaient du terrain, qui comprenaient bien la réalité quotidienne de leurs équipes car ils avaient rencontré les mêmes difficultés qu’eux. De ce fait, ils avaient une écoute bienveillante et se sentent encouragés dans leur travail. Il s’agit d’un type de management qui s’impose de lui-même aujourd’hui. Les PDG qui exercent leur pouvoir du 3e étage de leur tour, c’est fini.
Comment conciliez-vous vie professionnelle et vie personnelle ?
Clairement, ce n’est pas toujours facile. L’entrepreneuriat demeure une activité très chronophage. Pour ma part, je suis divorcé et remarié depuis. Mes enfants n’ont pas suivi des scolarités fantastiques, sans doute car je n’étais pas suffisamment derrière eux … Je croyais qu’il fallait travailler et ramener de l’argent à la maison pour leur permettre de réussir mais malheureusement, cela ne suffit pas. Si j’ai réussi sur le plan professionnel, il faut avouer que je n’ai pas été très brillant de l’autre côté.
Avec le recul, quel est le secret de votre réussite ?
Il n’y a pas de secret, il faut travailler. Dans une de ses fables, Lafontaine disait à juste titre « Cultivez votre champ ». Souvent, certains entrepreneurs regardent les marchés en se disant qu’ils vont s’enrichir facilement parce qu’ils ont identifié telle ou telle tendance. Je crois au contraire que l’on peut réussir dans tous les métiers, du moment que l’on travaille. Il faut se donner les moyens de réussir, d’avancer. Il faut tâtonner, se tromper, recommencer … En ce qui me concerne, j’ai démarré dans un métier qui était vieillissant. Pourtant, aujourd’hui, j’essaye de l’adapter aux canaux actuels, d’être agile et réactif. C’est la clé.
4 Conseils de Jacques Bouthier
- Sur son marché, il est essentiel d’être agile et réactif. à l’heure d’internet, vous n’avez pas le choix : il faut être en prise avec l’air du temps. Certaines grosses entreprises meurent parce qu’elles n’ont pas su s’adapter aux évolutions du marché, comme Kodak.
- Il faut garder en tête que, certes, ce n’est pas facile mais que tout le monde peut réussir si l’on donne les moyens ! En réalité, ce n’est facile nulle part…
- N’ayez pas peur de l’échec ! Contrairement à ce que l’on peut penser, on a le droit à l’erreur dans l’entreprise !
- Enfin, agissez ! Je privilégie l’action, car je préfère voir des gens qui agissent, qui se trompent et qui analysent leurs échecs, plutôt que des personnes qui n’agissent pas par peur d’échouer. Quand vous réfléchissez trop aux raisons qui vous poussent à agir ou ne pas agir, cela vous mène à l’immobilisme !