David Khuat-Duy, Président et Fondateur de l’entreprise, Ivalua, vient de lever 60 millions de dollars pour accélérer le développement de l’entreprise. Cette levée de fonds valorise l’entreprise à plus d’un milliard de dollars. Entretien avec un dirigeant plein d’entrain.
Comment vous est venue l’idée ?
Cela fait 19 ans déjà ! C’est tout un ensemble de facteurs. Je faisais du conseil dans la mise en place de SAP donc de logiciel d’ERP dans le domaine des achats. Les outils ne correspondaient pas forcément aux besoins du métier d’acheteur. A ce moment-là, il existait des places de marchés et des technologies internet qui permettaient de créer des applications pour collaborer avec des fournisseurs en direct. C’est de cette idée que je suis parti qui était celle de faire collaborer les acheteurs et fournisseurs directement.
Vous étiez déjà un expert du web ?
J’ai une formation d’ingénieur mais surtout je suis tombé dans l’informatique quand j’étais petit. Les technologies d’internet démarraient à l’époque et je m’y suis investi. J’ai été bien conseillé notamment par mon frère qui est devenu le directeur technique de l’entreprise et qui m’a aidé à agencer l’architecture technique. C’est en avançant et construisant au fur et à mesure le logiciel que nous avons mis en place les technologies pertinentes. J’ai commencé en fait seul mais entouré par des soutiens puis des collaborateurs m’ont rejoint petit à petit.
Quelles ont été les grandes étapes ?
Les 11 premières années, nous étions vraiment très centrés sur l’hexagone et nous y avons développé notre activité avec des grands comptes. Ce sont pendant ces années que nous avons vraiment construit le logiciel. La première étape marquante c’est en 2010 – 2011 quand nous avons décidé d’aller aux États-Unis. Nous avons levé une somme modeste et nous avons fait le grand saut pour nous lancer à l’international. Il nous a fallu deux ans avant de commencer à gagner nos premiers dossiers et c’est seulement après qu’il y a eu un réel décollage. En 2017, une autre étape a été franchie car nous avons levé 70 millions de dollars pour accélérer au niveau mondial et au niveau de la recherche et développement. Nous avons donc augmenté l’investissement et la croissance qui tournent aux alentours de 50 %. Nous sommes dans une dynamique de prendre le plus de parts de marché possibles.
Vous avez toujours eu le même business model ?
Notre business model est centré sur un logiciel en mode SAAS. Celui-ci n’existait pas encore au début et il a été développé dans les années 2007 – 2008. La bascule n’a pas été difficile car nous étions en croissance et cela a été réalisé au fur et à mesure, sur une durée d’environ 5 ans. Le marché ne s’est pas transformé rapidement et ce rythme qui correspondait à notre croissance nous a permis de compenser. Nous avons eu cette chance.
Vous avez grandi rapidement ou progressivement ?
Nous nous sommes développés très progressivement. Nous n’avons fait aucune levée de fonds au début car nous étions rentables. C’était la croissance des clients qui nous a permis de recruter. Les 10 premières années, l’entreprise s’est développée progressivement jusqu’en 2010, nous devions être une centaine de personnes, peut-être moins. Nous serons 450 et 600 à la fin de l’année.
Quelles sont les principales difficultés rencontrées ?
Venir aux États-Unis a représenté un véritable challenge. Quand vous êtes une petite entreprise française, cela n’est pas forcément évident de la faire connaître. Nous vendons principalement aux grandes entreprises et comme il ne s’agit pas de petits investissements les clients sont particulièrement vigilants. Les deux premières années aux États-Unis, on nous faisait remarquer que nous étions un peu petits et la concurrence est rude dans notre domaine. De plus, la différence de culture dans la manière de vendre, de marqueter ne nous rendait pas la tâche facile.
Le point clé est que nous avons réussi à faire venir un client français pour venir témoigner dans le cycle de vente et que nous avons rencontré avec lui de nombreux prospects. Ils ont été rassurés et cela a tout déclenché. Au bout des deux ans, nous nous demandions si nous allions pouvoir continuer, ce fut un passage délicat. En tout cas, les clients avaient pu constater qu’en France c’était efficace dans les grandes entreprises et donc qu’il n’y avait pas de raisons pour que cela ne le soit pas aux États-Unis.
Vous vous êtes expatrié là-bas ?
Exactement. Il y avait déjà un des actionnaires principaux qui était installé aux États-Unis. Quand nous avons gagné de nombreux dossiers, en 2013, j’y suis allé pour aider à gérer la croissance, la mise en œuvre des projets et l’organisation. Le fait d’être venu sur place a changé la donne. Quand on ouvre un très gros marché, il n’est pas évident de le faire à distance. Sur place, vous voyez les choses différemment et cela permet d’agir efficacement.
Vous ne devez plus du tout faire le même métier ?
Les problématiques ne sont plus les mêmes et le métier s’est transformé graduellement. Je pense que le plus important c’est d’arriver à trouver les talents, les bonnes personnes qui prennent le relais. Il faut parfois faire appel à des gens qui sont déjà arrivés aux étapes suivantes et qui peuvent le faire en autonomie. Dans notre problématique du moment, c’est de savoir industrialiser les process et notamment le recrutement qui est un des sujets majeurs actuels. Nous sommes dans des volumes où il faut des équipes de recrutement qui ont un process de recrutement qui soit davantage systématique. Au début nous utilisions le feeling. Maintenant Il y a 20 personnes qui arrivent chaque mois donc nous organisons des séminaires d’intégration. Il a fallu industrialiser tout cela.
Vous ne devez plus connaître tout le monde ?
Non c’est impossible surtout que nous sommes une entreprise très internationale. Au bout d’un moment j’ai lâché prise sur ce point car c’est tout simplement impossible. Nous sommes répartis sur 15 bureaux dans le monde : États-Unis, Angleterre, Singapour, Australie, Allemagne… Je ne peux pas être partout (rires).
Qu’est-ce qui vous a le plus surpris ?
Quand on est dans des croissances fortes comme celles-là avec le fait que le métier change tout le temps, nous n’avons pas le temps de nous embêter. Je trouve cela passionnant.
Avez vous été soutenu par votre famille ?
Oui au début, j’étais chez mes parents. Un peu le côté garage. J’avais 30 ans et il fallait faire des économies et j’ai démarré comme cela. Dans l’aventure également, il y a des personnes de confiance qui sont venues que je connaissais depuis longtemps. Ils ont pris des postes au niveau du management. Cela est vraiment bien car lorsque la confiance règne, même si nous ne sommes pas toujours d’accord, il n’existe pas de complexité dans les rapports qui entraîne que l’on ne comprend pas l’objectif des autres. Cela aide à avancer sur les vrais sujets et j’essaie de la maintenir, de garder cette culture et de répéter à tout le monde que cela fait partie de la culture d’entreprise.
Quels ont été vos facteurs clés de succès ?
Je pense que d’avoir pris le temps de construire les 10 premières années une technologie forte et de nous être concentrés sur le produit, cela a beaucoup compté. Nous sommes une plateforme à la fois très complète et une technologie très configurable. Cela représente une de nos forces. Je pense que c’est peut-être dû à mon côté ingénieur car tous les CEO (ndlr : président) ne le sont pas. Comme je le disais aussi la confiance est aussi un facteur clé de succès.
Le management détient encore plus de la moitié de l’entreprise…
Oui c’est une volonté de tout le monde, je pense. Après cela n’est pas toujours possible. C’est le fait d’avoir pris le temps, d’avoir réalisé notre première levée très tard et de n’avoir fait la grande levée qu’en 2017. Cela a permis d’avoir une taille d’entreprise qui le permette. Aujourd’hui, cela nous aide à maintenir le cap sur une stratégie sur le long terme. Nous devons les prendre en compte mais nous ne sommes pas sur un objectif de savoir comment valoriser l’entreprise au maximum à court terme ou à penser à une sortie pour les investisseurs. En fait, nous aimons l’aventure et nous ne voulons pas faire « un coup ». Nous nous voyons clairement développer la boite encore plus loin. Nous pouvons nous concentrer sur les bons sujets.
A quoi sert cette nouvelle levée de fonds ?
Depuis le début, nous sommes rentables , nous n’avions donc pas forcément besoin de liquidité pour notre activité au quotidien. En fait, nous sommes vraiment dans cette force d’accélération et nous avons souhaité pouvoir investir sur les équipes. Nous ouvrons beaucoup de nouveaux pays et s’il y a de bonnes opportunités, nous sommes intéressés.
Quelles sont les perspectives de développement ?
Nous voyons que nous pouvons poursuivre notre croissance de 50 % sur les 4 – 5 années qui viennent. Pour cela, nous avons des leviers qui nous activons et le marché grandit bien. Nous voyons très bien qu’en 2023, nous pouvons atteindre les 500 millions de dollars de revenus.
Vous comptez vous diversifier ?
Nous n’avons pas forcément besoin de nous diversifier car le marché est déjà énorme. Par contre, nous comptons être plus profonds et plus pertinents. Par exemple, sur l’industrialisation du produit par secteur d’activité : automobile, banque et assurance, la santé, le secteur public … Nous créons des solutions verticales avec le même produit. C’est l’avantage d’avoir une plateforme très configurable car elle permet d’être plus performants sur chaque secteur d’activité et de générer de la croissance.
Quelles sont les valeurs de l’entreprise ?
Nous avons une liste de 7 valeurs. Mais la principale est d’être centré sur le client et sur le succès des clients. C’est notre indicateur principal et notamment nous regardons attentivement le taux de rétention de nos clients. Nous sommes à 98 %, nous avons donc une rétention très élevée qui nous permet de constater que nous avons généré de la valeur pour nos clients. Autres valeurs : l’agilité, le travail d’équipe car nous ne sommes pas sur un exploit individuel mais collectif. Nous les transmettons dans la semaine d’intégration et dans toutes nos communications.
« Le fait d’être venu sur place a changé la donne. Quand on ouvre un très gros marché, il n’est pas évident de le faire à distance. Sur place, vous voyez les choses différemment et cela permet d’agir efficacement. »
4 Conseils de David Khuat-Duy
- Pour se développer, il faut voir loin. Il ne faut pas se limiter dans les ambitions. En même temps, au quotidien, il faut rester proche des détails. Il ne faut hésiter à descendre dans le détail d’un sujet.
- C’est bien d’écouter les conseils mais il ne faut pas les suivre tous. Il faut avoir des convictions fortes. Parfois, c’est cette énergie qui va permettre de faire avancer les choses même si cela va à l’encontre des idées générales.
- Plus l’entreprise se développe, plus il faut savoir s’entourer. Il faut accepter de s’entourer de personnes qui ne sont pas du même type que vous et qui peuvent vous apporter une richesse.
- Être courageux. Il faut parfois prendre des décisions qui ne sont pas faciles. Il faut avoir le courage de les prendre.