Hatem Oueslati, co-fondateur de IoTerop, la startup française pionnière et spécialisée dans les IoT (internet des objets) qui ne cesse d’innover et de se remettre en question.
Quel a été votre parcours avant IoTerop ?
Nous sommes trois associés, anciens de l’entreprise Intel et cela fait déjà 20 ans que nous travaillons ensemble. Nous avons commencé notre carrière commune, en 1999, chez Palm Computing qui fabriquait à l’époque des organiseurs qui n’étaient pas du tout connectés et y avons acquis une réelle expérience dans la télécommunication et les systèmes embarqués, expérience indispensable aujourd’hui dans ces deux champs et nous y avons même travaillé sur les premiers smartphones. Ainsi, nous avons remplacé les agendas connectés par les nouveaux téléphones. Nous étions alors proches des organismes de standardisation et avons fait le pont avec Palm au centre d’innovation technologique, qui nous a conduits à travers des rachats successifs chez Intel.
Comment vous est venue l’idée ?
Comme nous étions déjà des experts en systèmes embarqués et en télécommunication, nous avons décelé l’opportunité incroyable qu’était l’internet des objets. Jacques était au W3C, David était à l’open mobile alliance et moi à l’alliance GENEVI, qui m’occupe finalement de la standardisation. Nous nous sommes dit alors qu’il y allait y avoir des milliards d’objets connectés et qu’ils allaient avoir besoin de ce que nous savions délivrer à savoir des technologies de sécurité et de gestion à distance qui vont nous permettre d’automatiser le cycle de vie des appareils et de les maintenir en opération tout en assurant une sécurité maximale.
De ces constats et avec notre légitimité nous avons décidé de quitter Intel et de créer IoTerop. Nous avons vu la naissance de ce qui s’appelait l’internet to machine (aujourd’hui internet des objets, ndlr) vers 2011-2013 et les premiers standards pour gérer des interopérabilités. Nous avons donc fait le premier pas en 2016.
Quelles ont les premières grandes étapes ?
Il a d’abord fallu concevoir nos premiers produits et donc fournir des efforts en R&D assez significatifs. Nous avions le savoir-faire mais il a fallu le développer. Les premières étapes ont consisté dans les processus d’incubation et notamment au sein du Business Innovation Center de Montpellier qui a été considéré comme le 4ème meilleur incubateur du monde. Nous y sommes toujours même si nous ne sommes plus dans l’étape d’incubation.
Nous restons encore accompagnés par eux et nous continuons d’échanger avec notre écosystème de l’époque. Ce qui a été également très structurant ce sont les premiers concours d’innovations que nous avons gagné qui nous ont permis d’avoir des financements pour embaucher nos premiers ingénieurs. De fil en aiguille, nous avons monté nos premiers produits et avons pu faire notre « proof of concept » (preuve du concept, ndlr) avec nos premiers clients clés. Fin 2019, nous avons levé 1,5 millions d’euros qui nous ont permis vraiment d’accélérer notre croissance.
Est-ce qu’il a été facile de convaincre les clients ?
Nous avons créé nos premiers produits et ils sont même sortis un an après leur création. Nous avons eu aussi l’opportunité d’avoir des clients en peu de temps avec des projets dans le nucléaire ou les smart city notamment avec la métropole de Montpellier. Ensuite, nous nous sommes adressés à un marché colossal de tous les objets connectés contraints et notamment les compteurs intelligents. Nous avons pu acquérir des références internationales avec lesquelles nous continuons de travailler aujourd’hui, comme Altrom aux États-Unis. Nous travaillons actuellement sur une solution d’éclairage public connecté et intelligent afin d’offrir des économies d’échelle.
Pourquoi avoir fait cette levée de fonds ?
Il est vrai que c’est une belle levée pour une première. Il s’agit d’une pré-série A pour nous. Elle nous a servi à accélérer. Nous avions déjà le premier produit embarqué qui est un logiciel que l’on fournit à nos clients fournisseurs d’objets connectés pour intégrer ses fonctionnalités de gestion à distance et de mise à jour logiciel. Nous avons travaillé sur une plateforme cloud qui permet de gérer de manière massive le cycle de vie des appareils IOT (internet of objects, ndlr) même les plus contraints.
Cela nous a permis aussi d’accélérer notre développement commercial partout dans le monde notamment par l’embauche de commerciaux. Nous avons également beaucoup accéléré notre capacité R&D et aussi la plateforme cloud pour y insérer des fonctions intéressantes. Grâce à cela, nous avons annoncé un partenariat avec Amazon web service fin de l’année dernière et enlever un verrou technologique sur la 5G. J’aimerais beaucoup d’ailleurs que certains grands groupes français aient la même vision qu’eux et considèrent cela comme davantage une opportunité plutôt qu’un risque.
Quels vont être vos prochains défis ?
Nous sommes toujours sur ce processus d’accélération et en 2019, nous étions à peine 8-9 personnes. Aujourd’hui nous sommes plus de 20 et malgré la crise sanitaire, nous avons plus que doublé nos effectifs, ce qui n’est pas anodin pour une start-up. Nous sommes également devenus membres du board en 2020 de l’open mobile alliance, sachant qu’il y a 7 entreprises qui en font partie. Pour nous, cette entrée était synonyme d’une réelle considération car il s’agit du grand consortium mondial qui fédère tous les grands opérateurs mondiaux. C’est là que l’on définit les orientations et toutes les normes pour la sécurisation des objets connectés. Nous sommes l’un des leaders d’une norme. Il y a des entreprises qui ont une renommée mondiale et nous en raison de notre expertise technique nous sommes légitimes.
Et la suite ?
Nous voulons continuer d’avoir le leadership technologique d’un point de vue global c’est-à-dire que nous sommes leaders sur le device management ou sur les aspects sécuritaires. Nous avons des innovations technologiques pour les objets contraints qui sont inégalées en termes de performances. Il y a des ratios de 10 à 20 fois supérieurs par rapport à la concurrence dans le domaine. Le défi va donc être d’accélérer toujours plus notre R&D et commercialisation pour gagner toujours plus de parts de marchés. Notre objectif à terme est de nous insérer dans des milliards d’objets connectés.
Cette année malgré le confinement, nous avons ainsi pu signer un contrat avec EDMI qui est l’un des très gros fournisseurs de compteurs connectés notamment d’eau en Australie. Nous sommes en train ainsi de mettre en place un compteur intelligent qui permet notamment de détecter les fuites d’eau, ce qui est très important là-bas car c’est une ressource fondamentale pour un des pays les plus arides de la planète. Cela permet aussi que chaque personne soit plus consciente de sa consommation. Il faut imaginer que les déploiements se font à l’échelle d’une ville et donc sur des volumes massifs et qu’il faut pouvoir délivrer.
Quelles ont été les plus grandes difficultés que vous avez rencontrées ?
Les grands challenges ont été que personne au début ne connaissait IoTerop, et que personne évidemment ne nous attendait. Comment se faire une place ? Cela a été compliqué mais en même temps à notre portée car il fallait « simplement » se rendre visible de ces grands acteurs. La stratégie de prendre le leadership sur la standardisation s’est révélée payante. Quand vous avez un super produit et un savoir-faire, il faut le faire savoir et là se trouve la réelle difficulté. A travers notre présence et notre implication, nous avons pu asseoir notre légitimité et être très visible de ces grands acteurs qui nous considèrent comme des leaders technologiques.
Finalement, cette visibilité est passée par nos réseaux en première étape. Il faut aussi des moyens financiers pour exécuter et recruter les bons profils et avoir une super équipe de personnes compétentes avec un savoir-faire exceptionnel. Nous sommes capables d’exécuter très vite, ce qui est l’un des avantages d’une start-up car il y a moins de questions qui se posent par exemple sur l’allocation de budgets ou autres.
Y a-t-il eu impact de la crise sanitaire ?
Oui, tout à fait car la crise sanitaire allonge les temps de décision. Il est plus difficile d’en obtenir de la part de certains grands acteurs qui sont eux-mêmes ralentis dans leurs process. C’est pour cela que nous nous sommes concentrés sur des zones géographiques qui ont été moins impactées par la crise. Lorsque nous étions confinés en Europe, nous avons pu nous concentrer sur des deals avec l’Australie et le Japon par exemple. La difficulté est donc de trouver le moyen de les aider à prendre des décisions dans un contexte qui ne les aide pas à décider vite et cela d’autant plus que les processus de décisions sont déjà longs en temps habituel. Encore une fois, nous sentons qu’il y a un regain aujourd’hui dans ces zones géographiques mais que l’Europe a aussi repris de la vitesse.
Quels ont été vos facteurs clés de succès ?
La vision et la volonté je pense. Elles me semblent pertinentes car nous sommes dans un marché astronomique où il va y avoir des milliards d’objets connectés et je pense que nous avons bien compris ce que nous pouvions leur apporter en propositions de valeur et pour réussir leurs enjeux. Ensuite le fait de dérouler rapidement et enfin d’avoir tout de suite visé une stratégie internationale. Nous ne sommes pas sur un marché français ou européen mais mondial et il a fallu nous dimensionner pour être sur celui-ci. Cela impacte les outils de communication qui ont par exemple dès le début été traduits en anglais avec une équipe internationale qui peut également gérer des clients partout dans le monde.
Est-ce que votre business model est resté le même ?
Nous le remettons tout le temps en cause en fait. C’est très bien de définir un business model au départ car cela permet de faire ses projections ou encore de structurer le projet. En réalité, il faut le tordre cependant pour répondre à la demande des clients. Il faut se confronter au marché pour le faire et ceux qui s’en sortent le mieux, c’est ceux qui se tordent en deux pour répondre à la demande du client.
« La crise sanitaire allonge les temps de décision. Il est plus difficile d’en obtenir de la part de certains grands acteurs qui sont eux-mêmes ralentis dans leur process. C’est pour cela que nous nous sommes concentrés sur des zones géographiques qui sont moins impactées par la crise. »
Hatem Oueslati, co-fondateur de IoTerop