Entretien exclusif avec Guilhem Cheron, cofondateur de La Ruche qui dit oui avec Marc David Choukroun !
Qu’avez-vous fait avant de créer « La Ruche qui dit oui ! » ?
Après des études de design industriel, je me suis vite spécialisé dans le secteur de l’alimentation. Pendant 15 ans, j’ai multiplié les expériences autour du design et de l’alimentaire, avec toujours une composante innovation. Un autre aspect a guidé mon parcours jusqu’à aujourd’hui, c’est le côté social de mon travail. Bien que designer de formation, je trouvais cela totalement inutile de me lancer dans la création de téléphones portables ou de tout autre objet de surconsommation. J’ai fait des choses très diverses autour de l’alimentation : j’ai été cuisinier, travaillé avec des enfants autistes et même écrit un livre de recettes. J’ai fini par créer des cuillères innovantes destinées à faciliter les repas des personnes hospitalisées. On m’a racheté le brevet, ce qui m’a permis de bénéficier d’un petit capital pour lancer un projet qui me tenait à cœur depuis quelques temps, celui de La Ruche.
Quel est le concept de La Ruche qui dit oui ?
C’est une plateforme Web qui a pour but de gérer la mise en relation entre des petits producteurs agricoles et des consommateurs réunis en petites structures locales que l’on appelle des Ruches. Nous faisons en sorte d’autonomiser au maximum ces Ruches, qui sont gérées par des particuliers. De notre côté, nous leur mettons à disposition tous les outils pratiques et techniques pour faciliter l’organisation des ventes dans les Ruches. L’objectif est double : permettre au plus grand nombre d’avoir accès à des producteurs locaux et soutenir ainsi le monde fermier traditionnel, qui n’est pas forcément bio.
Une entrepreneure m’a cité votre entreprise comme un projet complètement fou, et qui pourtant fonctionne. Qu’en pensez-vous ?
Elle a raison ! Sur le papier, le principe paraissait impossible tant il est complexe : proposer de l’alimentation sur des points de distribution multiples, demander aux paysans d’être sur Internet, faire organiser les ventes par des personnes qui ne sont pas des professionnels…. Lorsque j’étais dans un incubateur pour lancer mon projet, les différents intervenants s’interrogeaient beaucoup sur le modèle. Mais j’étais vraiment sûr qu’il y avait quelque chose à faire !
Qu’est-ce qui a transformé ce projet irréalisable en entreprise viable alors ?
Nous avons décidé de professionnaliser les responsables de Ruches en leur offrant des rémunérations. Ces particuliers se sont donc mis dans une posture professionnelle de petits entrepreneurs. La Ruche qui dit oui est devenue ainsi un vrai réseau de mini-entreprises, un mix d’innovation sociale et de dynamique entrepreneuriale. Et aujourd’hui, il y a 350 ruches.
Avez-vous cherché du financement pour vous développer ?
Oui, 25 % du capital est détenu par le fonds d’une banque. Des Business Angels nous ont aussi soutenus dès le départ. Avec les cofondateurs, nous détenons encore 60 % de l’entreprise, ce qui nous permet de conserver le contrôle de la gouvernance de l’entreprise. Malgré tout, nous avons fait le choix d’avoir des actionnaires. Ceux-ci représentent une des réalités du monde et des règles de l’économie qui l’animent. C’est en prenant en compte le réel que nous avons la possibilité de le transformer.
Votre entreprise est un peu inclassable. Comment la qualifieriez-vous ?
Nous sommes à la fois une entreprise innovante avec le côté technologique, tout en ayant l’esprit entreprise sociale et solidaire, avec des traits militants et une vision entrepreneuriale. Notre but n’est pas de faire un maximum d’argent. L’important, c’est l’énergie humaine qui est déployée autour d’un projet qui a du sens. Notre mission reste la même depuis le début de l’aventure : changer le visage de l’agriculture. Ce mix de cultures est assumé et fonctionne très bien. Aujourd’hui personne ne cherche à copier vraiment notre modèle car il semble compliqué et assez risqué. Il n’y a donc pas encore de concurrents sur notre marché.
En quoi votre vision de l’entreprise est-elle différente de l’approche classique ?
Nous avons fait des choix de gouvernance et d’investissements tournés vers le réseau plutôt que vers nous, les fondateurs. Nous avons refusé beaucoup d’offres d’investisseurs en private equity pour garder notre totale indépendance. Au-delà de créer une simple start-up, nous avons essayé de lancer une véritable dynamique économique et sociale. La Ruche qui dit oui, ce n’est pas une simple entreprise, c’est un écosystème de petites entreprises qui crée une nouvelle logique économique. Le défi est énorme et passionnant !
Allez-vous internationaliser votre concept ?
Oui, mais nous avons la volonté de nous développer pas à pas, tranquillement. Nous n’allons donc pas nous lancer à l’assaut de 15 pays en même temps ! Nous avons commencé par nous développer en Belgique, car c’était plus facile de commencer par un pays francophone. Et nous allons recruter un business développeur pour l’Allemagne. Je pense que La Ruche pourrait avoir un grand potentiel là-bas.
D’où vient ce nom atypique « La Ruche qui dit oui ! » ?
C’était un peu un nom de code pour le projet au départ, que nous avons finalement gardé. Nous avons dû trouver un nom plus facilement compréhensible pour l’international : The food assembly.
Avez-vous des conseils pour les entrepreneurs qui se lancent aujourd’hui ?
J’aurais principalement deux conseils : faites quelque chose qui corresponde à votre propre philosophie, et faites quelque chose de différent. Menez votre projet en y mettant tout votre cœur. Veillez à garder une vraie capacité à ne pas chercher votre plaisir dans le futur, en imaginant le bonheur de la réussite, mais dans le présent, dans la joie de l’expérience. Ce détachement permet de garder un calme, une force et une capacité à prendre des risques sans avoir peur de l’échec.