Une personne pose problème dans un groupe lorsqu’elle s’obstine à toujours adopter le même comportement sans donner le sentiment de vouloir, ou de pouvoir, prendre conscience des conséquences dommageables de ce comportement sur la marche du groupe. Elle sort alors de ce qui est considéré comme étant la norme pour entrer dans le domaine de l’irrationalité. Cette personnalité va alors être considérée comme «difficile» et recevoir éventuellement un des «diagnostics» qui sont empruntés à la large palette des termes utilisés en psychiatrie.
Une souffrance réelle
La souffrance psychique existe, dans certains cas elle prend la forme d’une maladie. Il est même possible de considérer que nos conditions de vie en général, et le contexte professionnel en particulier, contribuent à son développement. Les conséquences du stress au travail sont multiples, elles peuvent être à l’origine de certaines pathologies et surtout exacerber les manifestations d’une fragilité préexistante qui, jusque là, n’avaient pas émergé.
Une collaboration médicale qui peut s’avérer importante
Le premier problème que posent ces personnes est d’évaluer l’éventualité de la pertinence d’une prise en charge médicale. C’est ici que la collaboration du médecin du travail reste précieuse, car il est seul à même de donner un avis éclairé et de négocier, avec l’intéressé(e), le fait d’accepter de sauter le pas et de s’adresser à un spécialiste, ce qui est souvent difficile.
Une prise en charge pas tout le temps efficace
Cependant, dans la plupart des cas, cette prise en charge médicale — médicaments et/ou psychothérapie — ne réglera pas, au moins à court terme, les problèmes que posent ces personnes. C’est dire l’importance d’une «gestion» de ces situations dans le contexte professionnel. Cette gestion peut se faire par deux niveaux d’analyse qui permettent de mieux comprendre, au-delà d’une simple compréhension médicale, la persistance de ces situations.
L’effet Pygmalion
À partir du moment où, dans un groupe, un individu reçoit un qualificatif spécifique, ici sous la forme d’un «diagnostic» souvent lourdement chargé de sens, se met en route ce qu’on appelle l’effet Pygmalion. Cet effet, décrit dans le domaine de la pédagogie, pour la première fois en 1968 aux États-Unis par R. Rosenthal, peut s’étendre à d’autres contextes.
Ainsi, de nombreuses expérimentations ont démontré que les différents membres d’une équipe tendent à maintenir un individu dans son statut dans la mesure où ils ne retiennent, provenant de cet individu, que les informations qui les confortent dans leurs croyances. Autrement dit, nous avons tous tendance à garder nos croyances en ne retenant de la réalité que les faits qui les confirment.
Par paresse, par complaisance face à la loi du plus grand nombre ou par soumission à l’autorité, les situations ont ainsi tendance à se maintenir et les «diagnostics» restent collés à la personne, quelle que soit l’évolution de son comportement.
Le rôle des managers
Les managers ont ici une tâche importance, car ils sont responsables du maintien ou de la remise en question du statut attribué à une personne, dans leurs équipes, même pour des raisons tout à fait légitimes qui relèvent, comme nous l’avons vu, de leur équilibre psychique. Ils doivent déployer une grande vigilance quant aux conséquences de l’effet Pygmalion et être attentifs à tout ce qui risque d’enfermer un individu dans une position qui est tout autant problématique pour lui que pour l’ensemble du groupe.
Dans certains cas, la meilleure façon de régler la question d’une personnalité difficile consiste, tout simplement, à la déplacer dans un autre contexte, par exemple une autre équipe, où elle n’aura pas à subir les conséquences d’un enfermement de ce type et des préjugés de chacun. C’est ainsi que notre entourage détermine, dans une certaine mesure, ce que nous sommes, par la persistance d’un regard qui ne parvient pas à évoluer.
La persistance des comportements
À un tout autre niveau, l’analyse attentive des interactions que mène une personnalité difficile avec son entourage, permet de comprendre qu’elle y trouve une forme de pouvoir qui explique également la persistance de ces mêmes comportements. Autrement dit, pourquoi changerait-elle sa façon d’agir dans la mesure où cette façon d’agir lui procure un certain ascendant sur les autres ? Bien évidemment, rien n’est clairement intentionnel dans ce calcul, car la souffrance est également présente.
Cependant, analyser en termes de pouvoir le comportement de ces personnalités peut permettre d’éviter leur simple stigmatisation et de leur attribuer certaines compétences. Il est dès lors possible d’envisager de mettre sur la table ce qu’il en est des «techniques» qu’elles utilisent pour exercer leur pouvoir et de négocier avec elles. Cela représente un des enjeux les plus importants dans toute structure professionnelle, à savoir une forme d’emprise autre que celle qui s’attache directement à leur comportement.
Là encore, les managers ont à gérer ces personnes non pas seulement en réaction aux problèmes qu’elles posent, ce qui aboutit à leur exclusion plus ou moins manifeste, mais également en fonction de ce qu’elles apportent paradoxalement au groupe, c’est-à-dire des modes d’interaction qui sortent des sentiers battus.
Article par Jacques-Antoine MALAREWICZ