Retrouvez notre Interview de Gauthier Picquart, Fondateur de Rue du Commerce.
Vous êtes-vous toujours senti entrepreneur dans l’âme ?
Non, en fait je me préparais au métier de journaliste. L’entrepreneuriat est venu à moi au travers de rencontres et d’opportunités qui se sont présentées.
La création de Rue du Commerce était-elle votre première expérience entrepreneuriale ?
Non, à 26 ans j’ai créé une première société de marketing direct avec trois associés. Au bout de quatre ans, nous avons revendu la société car mes associés et moi nous n’avions pas la même vision du développement de l’entreprise. Nous nous étions lancés avec une sorte d’euphorie sans trop nous demander pourquoi nous faisions cela.
Et comment êtes-vous arrivé ensuite au projet Rue du Commerce ?
Je souhaitais faire quelque chose sur Internet, mais je ne savais pas du tout quoi. C’était en 1998 et Internet démarrait tout juste en France. Je n’y connaissais rien et n’avais d’ailleurs moi-même pas de connexion ! J’ai alors rencontré celui qui allait devenir mon associé, Patrick Jacquemin, et qui en savait un peu plus sur la question pour avoir participé à des conférences sur le thème aux états-Unis. Il avait entendu parler là-bas de jeunes start-up qui commençaient à se faire connaître, eBay et Amazon. Et c’est sur ce modèle du e-commerce naissant qu’on a décidé de se lancer.
Le projet est né tout de suite ?
Nous avons d’abord passé plusieurs semaines à discuter pour être sûrs de ce qu’on avait envie de faire. Ce travail préliminaire sur la philosophie qui sous-tendait le projet était indispensable. Nous nous sommes demandé quelle était notre motivation, notre objectif,… Puis, au bout de 6 mois de travail, nous avons lancé Rue du Commerce, à l’été 1999.
Le modèle économique du e-commerce n’existait alors pas en France ?
Oui, nous étions l’un des tout premiers sites de e-commerce. Je crois en fait qu’un seul site du genre existait avant nous, c’était Alapage, qui était à l’époque encore un grossiste en livre pour libraires. Nous avons calqué notre modèle économique sur ce que nous avions vu aux états-Unis qui avaient 5 ans d’avance sur la France.
Comment vous vous êtes fait connaître du grand public ?
Dès que nous avons obtenu des fonds, nous avons entamé une campagne de communication massive, dans toute la presse informatique, la presse nationale, à la radio, avec des affiches… partout ! L’objectif était de faire connaître la marque pour prendre la place sur le marché. Et ça a fonctionné !
Comment expliquez-vous cette croissance hors du commun ?
Dès le départ nous avions pour objectif de devenir l’un des 3 plus gros sites e-commerce en France. Alors nous nous sommes donné les moyens d’atteindre ce but. Nous avons dimensionné le projet à la hauteur de notre ambition.
Vous aviez déjà le projet de devenir des leaders sur votre marché ?
Nous aurions pu juste décider de développer un petit site à deux. Cela aurait pu être très bien aussi. Mais nous avons choisi d’avoir pour objectif d’être parmi les premiers. Avant de se lancer, un entrepreneur doit bien définir son ambition, qu’elle soit grande ou petite. Si on sait où l’on va et qu’on a une conviction forte en son projet, alors on ne s’arrêtera pas au premier problème.
Avez-vous réussi à atteindre votre objectif ?
Nous avions calculé que pour y arriver nous devions atteindre le milliard de francs de chiffre d’affaires en 4 ans. Nous avons finalement mis une année de plus à faire ce chiffre. Et lors de notre introduction en bourse en 2005, nous étions le premier ou le deuxième site e-commerce en France. Alors oui, nous considérons que nous avons atteint notre objectif, même si plus tard le marché s’est compliqué et que de très nombreux concurrents sont apparus. Le e-commerce est en train de révolutionner les habitudes de consommation, comme l’a fait la grande distribution dans les années 60. Nous souhaitons que Rue du Commerce reste l’une des marques qui a mené cette révolution.
Comment avez-vous procédé pour lever l’argent nécessaire pour développer si rapidement l’entreprise ?
D’abord nous avons mis une bonne partie de nos économies. Ensuite nous sommes allés chercher de l’argent auprès des personnes avec qui nous avions travaillé et qui avaient confiance en nous. Puis nous avons fait appel à des business angels qui ont mis quelques millions de francs. Nous ne nous adressions qu’à des personnes qui savaient que l’e-commerce était sur le point d’exploser. Ceux qui n’y connaissaient rien de toute façon refusaient d’investir ! Nous leur annoncions qu’en 4 ans nous atteindrions le milliard de chiffre d’affaires et ils nous prenaient alors pour des fous ! Puis nous nous sommes adressés aux fonds de capitaux risqueurs qui, ayant vu que nos proches et des business angels nous avaient fait confiance, ont accepté de nous suivre.
Pourquoi avoir fait le choix d’entrer en bourse en 2005 ?
A l’époque nous avions deux solutions : soit vendre l’entreprise à un grand industriel français qui nous en faisait la proposition, soit entrer en bourse. Nous avons privilégié le choix d’entrer en bourse pour rester maîtres de la stratégie, tout en offrant une grande souplesse à nos actionnaires qui pouvaient décider de rester ou de sortir.
Comment avez-vous géré cette croissance rapide ?
Cela n’a pas été facile… Il est vrai qu’au départ les problèmes étaient partout. Mais nous savions que le premier rôle de l’entrepreneur ce n’est pas de jouer à la marchande, c’est de régler les problèmes ! Il a fallu recruter de manière folle pour placer quelqu’un à chaque endroit où il y avait une difficulté qu’on ne savait pas régler. Nous sommes passés de 0 à 120 salariés en deux ans. Autant dire que nous passions notre temps à mener des entretiens d’embauche !
Quelle a été la plus grande difficulté à gérer ?
Au bout de 2 ans, nous n’étions toujours pas rentables. C’était alors la période de l’éclatement de la bulle Internet et nous ne pouvions envisager de faire une nouvelle levée de fonds à ce moment là. Pour ne pas mettre la clé sous la porte, la seule solution était de restructurer l’entreprise pour réduire les frais. Nous avons été obligés de nous séparer de la moitié de nos collaborateurs.
Et comment avez-vous vécu le fait de devoir licencier ?
Cela a été un vrai traumatisme pour mon associé et moi… Mais nous n’avions pas le choix pour sauvegarder l’entreprise. Les collaborateurs concernés comprenaient cela et tout s’est passé dans un climat de douceur et de transparence. Mais cela fait partie des décisions qu’un patron doit prendre parfois, même s’il sait que ce sera dur à supporter.
Comment faites-vous pour continuer à être performant aujourd’hui ?
Nous essayons d’observer ce qui se passe dans les autres pays. Et nous innovons constamment, car c’est la clé pour réussir dans notre métier. Par exemple il y a trois ans nous avons fait évoluer notre concept pour devenir une vraie galerie marchande sur le net. Nous avons étendu notre offre à de nouveaux univers de produits que nous proposons via des petits sites partenaires. Nous leur proposons de profiter de notre puissance marketing en échange d’une commission sur les ventes.
Comment trouvez-vous votre équilibre entre vie professionnelle et personnelle ?
Les premières années c’est dur de trouver un équilibre entre équilibrer vie professionnelle et vie personnelle car on travaille tout le temps et on reste focalisé sur l’entreprise. Pour mon associé et moi ça a été une période difficile dans nos vies personnelles. Par la suite nous avons commencé à nous ménager des périodes pendant lesquelles nous ne travaillons pas, comme le soir ou le weekend.
Comment avez-vous géré votre succès professionnel ?
Pour moi il a toujours été crucial de rester humble. Il faut le rester car tout cela ne reste que du travail. C’est important, mais ce n’est pas l’essentiel. C’est pour cela aussi qu’avant de se lancer dans une création d’entreprise, il faut prendre le temps de définir ce qui est essentiel dans sa vie.
Et qu’est-ce qui est essentiel pour vous ?
Le respect de l’autre, de la famille, le fait d’être en harmonie avec qui on est vraiment et avec son environnement. C’est la conscience des valeurs auxquelles on tient qui permet de garder un bon équilibre dans sa vie. Car je pense que les déséquilibres viennent lorsqu’on change superficiellement, lorsqu’on pense qu’on n’est plus la même personne car on a réussi.
Les 5 conseils de Gauthier Picquart pour les entrepreneurs
- Bien se poser la question de savoir pourquoi on crée une entreprise. Cela permet de définir ce qui sera son moteur pour avancer.
- Créer à plusieurs. Car déjà c’est plus facile, et c’est également plus enrichissant.
- Rester humble. Il faut s’enflammer pour son projet, mais pas pour la croyance qu’on est meilleur que les autres !
- Faire des investissement si on a de quoi les financer. Il faut toujours faire attention à garder de l’argent dans les caisses.
- Prendre des décisions qui vont permettre de trouver de l’argent ! Et ne pas hésiter à réorganiser l’entreprise.