Interview de François Bourdoncle, cofondateur de l’entreprise Exalead, pionnier du Big Data et des technologies de recherche, qui a été rachetée par le géant Dassault Systèmes en 2010.
Quel est votre parcours jusqu’à la création d’Exalead ?
Je suis ingénieur de formation et je possède un doctorat informatique. Après un début de carrière en tant que chercheur, notamment au Centre de Mathématiques Appliquées de l’École des mines de Paris, ainsi qu’au centre de recherche de Paris de Digital Equipment Corporation, j’ai officié en tant que Maître de recherche à l’École des mines en 1994 et enseignant à temps partiel à l’École polytechnique puis à l’École normale supérieure. En 1997, j’ai créé un algorithme qui devait permettre de classer en temps réel les réponses d’un internaute à une requête. J’ai vendu cette technologie pour 950 000 dollars à la société Altavista. Quelques années plus tard, Altavista se désintéressant progressivement du projet, j’ai développé une technologie de moteur de recherche qui a donné naissance à la société Exalead, que j’ai créée en septembre 2000 avec un ami.
Comment se sont déroulés les premiers mois ?
À l’époque, Internet explosait. Nous nous sommes mis activement à la recherche de fonds et nous avons signé notre premier client, Bouygues Telecom, très rapidement après la création de la société. Nous avons ensuite levé 3 millions d’euros fin décembre, début janvier. Cet apport a constitué un nouveau départ pour nous, puisque nous avons pu quitter l’École des mines où nous étions incubés pour s’installer dans le XIXe arrondissement de Paris. Au démarrage, nous étions 5 ou 6 personnes au sein de l’entreprise.
Avez-vous dû faire évoluer votre stratégie initiale ?
Oui. Au départ, nous étions partis pour développer un moteur de recherche grand public. Mais après l’explosion de la bulle Internet, les investisseurs semblaient un peu frileux. Nous avons donc transformé notre technologie afin de l’appliquer à des moteurs de recherche d’entreprise. Concrètement, cela rendait notre technologie particulière puisqu’elle pouvait à la fois indexer des milliards de pages web, tout en prenant en compte les contraintes propres au domaine professionnel, que ce soit en termes sémantiques, linguistiques ou phonétiques. Pendant très longtemps, cela a constitué notre marque de fabrique. Puis en 2006, nous avons décidé de nous lancer vraiment sur la partie grand public et nous avons indexé plus de 8 milliards de pages. Ce chiffre a doublé depuis. Aujourd’hui, le moteur de recherche reste la vitrine technologique de l’entreprise, mais notre cœur de métier demeure le moteur d’indexation pour les professionnels.
Exalead a été rachetée par la société Dassault Systèmes en 2010 pour 135 millions d’euros. Dans quel cadre s’est réalisé ce rachat ?
Nous avions fait le constat qu’il était compliqué de rester indépendant, dans la mesure où la croissance de l’entreprise dépassait toutes nos attentes. Ajoutez à cela la volonté des investisseurs de sortir de leur tanière et un marché qui se consolidait progressivement, vous comprenez qu’il devenait naturel de trouver une sortie industrielle dans le but de pérenniser la société.
Que représentait l’entrepreneuriat pour vous au moment de vous lancer ?
Dans la mesure où j’étais chercheur, il ne s’agissait pas du tout d’une évidence pour moi. Mais d’une part, je ne me voyais pas vieillir dans cette profession et d’autre part, j’aime beaucoup mettre les mains dans le cambouis, je me définirais plutôt comme artisan que comme chercheur. Je ressentais une certaine frustration de ne pas pouvoir mettre en pratique les idées que je développais. L’entrepreneuriat constituait le seul moyen de concrétiser ce désir et, disons le, d’avoir la possibilité de gagner plus d’argent grâce aux idées que je pourrais mettre en place.
Quel regard portez-vous sur la révolution numérique et son impact sur le monde professionnel ?
Aujourd’hui, cette évolution a particulièrement été mise en lumière sous l’angle grand public. Or, avec les Big Data, on assiste à l’émergence de technologies qui concernent à la fois les particuliers mais qui s’appliquent aussi aux entreprises. Dans les années 1980 / 1990, nous avons pu assister à la démocratisation de l’informatique d’entreprise. Dans les années 2000, les tendances à la mode concernaient plutôt Internet ou le mobile. Aujourd’hui, nous arrivons à un moment charnière car les deux révolutions se superposent. Le digital et le réel se mélangent, certaines entreprises du monde numérique se lancent dans le concret et inversement. Globalement, je trouve que les professionnels prennent de plus en plus conscience de l’importance des technologies pour leur business.
Sensibiliser les professionnels fait-il partie de vos missions au sein du gouvernement ?
Bien sûr. Nous voulons convaincre les grands groupes de l’importance du sujet. Mais il faut passer de l’expérimentation à une réflexion sérieuse sur les raisons liées à l’utilisation des Big Datas, c’est-à-dire montrer en quoi le numérique impose le renouvellement des business models, une réaction plus vive face aux concurrents… Tout s’organise aujourd’hui autour de l’usage de la donnée. Nous espérons faire évoluer les mentalités en tirant la filière par l’aval. Nous avons ainsi préféré pousser les clients des technologies à les utiliser dans le but de répondre à des enjeux business, plutôt que d’aider directement les fournisseurs de technologie. Dans le domaine des start-ups, nous avons ainsi mis en place des centres de ressources technologiques, qui sont des structures permettant à la fois aux jeunes pousses du numérique de rencontrer les grands groupes qui pourront quant à eux bénéficier des compétences développées par les start-ups.
Quel type de chef d’entreprise êtes-vous ?
Selon moi, il existe deux profils distincts. D’abord, le manager, qui sait faire tourner des sociétés avec des processus, qui s’attache à la personnalité des gens. Puis, on peut parler des leaders, ceux qui disent « Ralliez-vous à mon panache blanc et si vous n’êtes pas contents, allez voir ailleurs ! ». Je fais plutôt partie de la deuxième catégorie. Je me considère comme une locomotive. À titre d’exemple, quand ma boîte a grossi, je n’aimais pas du tout réaliser la partie managériale. J’ai donc beaucoup délégué sur la partie opérationnelle en matière de management et je me suis concentré sur le produit, la R&D et la stratégie. La contrepartie, c’est que je me suis entièrement investi. Pendant 10 ans je n’ai pas eu de vie personnelle, je vivais pour le travail et j’étais épuisé en permanence.
Auriez-vous quelques conseils à donner aux entrepreneurs ?
D’abord, je crois qu’il est essentiel de bien comprendre à quel point créer une entreprise constitue plus un marathon qu’un sprint ! Un entrepreneur ne réussit pas sans travailler beaucoup et c’est très épuisant. Il faut essayer de bien cerner ses propres forces et faiblesses et, le cas échéant, déléguer à d’autres ce que l’on ne sait pas ou moins bien faire. Il demeure également impératif de bien s’entourer afin de trouver un soutien en cas de besoin. Enfin, n’hésitez pas à suivre vos envies et votre passion, c’est essentiel !