À 52 ans, Éric Paumier, coprésident d’Hopps Group, spécialisé dans les médias de proximité, les services et la gestion du premier et du dernier kilomètre, mène avec succès ce qu’il appelle la « conduite du changement ». Aux côtés de Frédéric Pons et de Guillaume Salabert, le cofondateur de Colis Privé est devenu, au fil du temps, spécialiste du redressement d’entreprises.
D’où vous vient cette envie d’entreprendre ?
Cette volonté de créer ma propre structure me vient des activités de mon père, ayant lui-même été entrepreneur. J’ai été baigné, très tôt, dans cet univers-là et ai entrepris dès la première année de mes études. Deux ans plus tard, j’ai également été amené à reprendre celle de mon père, qui présentait des problèmes de santé, pour ensuite fusionner ses deux sociétés. Pendant les vingt premières années, je travaillais, en région parisienne, dans la logistique liée au courrier avec comme principal fournisseur, La Poste, ou participais à des reprises d’activité.
En 2007, j’ai fait le choix de revendre ce que je possédais pour m’installer du côté d’Aix-en-Provence et vivre avec ma famille proche du soleil. Dès mon arrivée dans le Sud, j’ai rencontré le groupe Spir Communication qui, à travers leur filiale Adrexo, lançait, à l’époque, une offre en compétition avec celle des courriers de La Poste. Compte tenu de mon expérience dans le domaine, ils m’ont proposé de reprendre la direction. J’ai alors été nommé Directeur général d’Adrexo, en charge de l’activité dite adressée, c’est-à-dire courriers et colis. Pour des raisons internes, le groupe a ensuite décidé de céder cette activité.
À cette occasion, Denis Philipon (il ne restera qu’une année dans l’aventure pour se recentrer sur Voyage Privé, dont il est le président et cofondateur, ndlr), suivi de Frédéric Pons, m’ont rejoint pour reprendre l’activité Adrexo Colis qui, par la suite, est devenue Colis Privé. Finalement, je n’aurais été salarié que quatre ans de ma vie.
Qu’est-ce que Colis Privé ? Et en quoi la reprise de la filiale Adrexo, rachetée en janvier dernier, favorise-t-elle des synergies à l’intérieur d’Hopps Group ?
Colis Privé évolue dans le marché du dernier kilomètre au départ des e-commerçants et à destination des particuliers. Nous nous plaçons comme la seule alternative à l’offre postale traditionnelle, représentée par Colissimo. Pour faciliter les livraisons, nous détenons des clés génériques pour accéder aux boites aux lettres ainsi que les badges électroniques, qui permettent d’accéder aux immeubles protégés par un système de digicode. Nous livrons ainsi au domicile des particuliers grâce à nos 2 500 livreurs, que nous appelons des « messagers ».
De son côté, la filiale Adrexo (à ne pas confondre avec l’activité Adrexo Colis renommée en Colis Privé, ndlr) s’occupe de la distribution BTOC de prospectus et dispose de près de 270 centres en France. Notre intérêt, aujourd’hui, demeure que les colis émanant de Colis Privé passent aussi bien par son réseau que par celui d’Adrexo afin d’obtenir un bien meilleur maillage avec pour objectif de couvrir 85 % du territoire d’ici 2018. En étant ainsi au plus proche des Français, nous devrions pouvoir, dans les années à venir, passer du J+2 au J+1, c’est-à-dire distribuer des colis aux consommateurs, non plus en moins de 48 heures, mais en moins de 24 heures, tout en conservant nos prix de vente actuels. Il ne s’agit donc pas de facturer plus cher mais de proposer une offre plus percutante et attendue par les consommateurs.
Vous ambitionnez également de développer le marché du courrier industriel notamment grâce à Adrexo. Expliquez-nous…
Au moment du rachat, la société Adrexo se portait mal et nous l’avons rachetée avec pour objectif de la relancer dans un autre métier postal : celui de la livraison du courrier industriel. Autrement dit, des envois en nombre issus du marketing direct ou de la gestion tels que des relevés de compte. Actuellement, la valeur du marché, qui reste monopolistique car il est, exclusivement, détenu par La Poste, est estimée à 7,7 milliards d’euros.
Certes, environ 5 % des volumes disparaissent avec les transferts effectués par internet mais la taille de ce marché demeure conséquente. C’est pourquoi nous ambitionnons d’aller récupérer près de 10 % de parts de marché dans les trois mois à venir, ce qui constitue un fort levier de développement pour Adrexo. D’autant plus que le métier naturel de l’entreprise, qui repose sur l’imprimé publicitaire, nous permet de livrer, chaque semaine, des prospectus dans environ 24 millions de boites aux lettres. Grâce à cette reprise, nous livrons donc désormais le courrier depuis septembre dernier.
Pour revenir à Colis Privé, en 2014, vous avez décidé d’ouvrir son capital au géant Amazon. Pourquoi un tel choix ?
Deux ans auparavant, nous reprenions Colis Privé, qui était dans une période de croissance mais très loin d’être rentable. La société générait 42 millions de chiffre d’affaires pour 17 millions de perte. Certains diraient, à l’époque, qu’il s’agissait d’une start-up dans le monde de la livraison de colis. D’autres, d’une entreprise en retournement. Quoi qu’il en soit, le marché, en croissance de 15 % par an, était en train de s’ouvrir à la concurrence.
Pour développer notre chiffre d’affaires, nous devions travailler sur la qualité du service et avons, de ce fait, trouvé pertinent d’ouvrir notre capital. Nous avons alors, bien évidemment, trouvé, à titre d’investisseur, Amazon, qui souhaitait voir naître d’autres acteurs sur ce marché, en dehors de La Poste, et qui détient, on le sait tous, une obsession pour le consommateur final et donc pour la qualité du service. Ils détiennent toujours 25 % du capital de Colis Privé et ont véritablement accompagné son business model qui, ne change pas, mais, comme pour son marché, évolue vers une livraison la moins chère et la plus rapide possible, ce que souhaite la majorité des consommateurs. D’où l’intérêt de passer d’une offre J+2 à J+1.
Tout au long de l’aventure, quelle a été, selon vous, votre plus grande difficulté ? Et à l’inverse, votre plus grande réussite ?
La plus grande difficulté demeure d’expliquer mes projets professionnels à des banques dans le but de trouver des financements. Quand on fait du retournement, la situation de l’entreprise ne rentre pas toujours dans les cases et les chiffres ne sont pas très valorisants. On a beau avoir un projet, en tant qu’entrepreneur, détenir plein de convictions ainsi que de l’énergie à revendre, il arrive, parfois, que l’on ne parvienne pas à convaincre les banques.
En ce qui nous concerne, nous sommes toujours parvenus à traverser cette difficulté comme lorsque nous avons décidé d’ouvrir notre capital à Amazon. Notre plus grande réussite, quant à elle, repose sur notre capacité à mener la conduite du changement. Reprendre des entreprises en difficulté n’est pas pareil que les créer. Lorsqu’on crée, on embauche des salariés et l’on obtient, relativement facilement, l’adhésion des personnes qui travaillent pour nous.
Lorsqu’on fait de la reprise d’activité, les salariés ont déjà vu défiler pas mal de gens et de projets avortés. Ils entretiennent ainsi des doutes et ont tendance à se montrer défaitistes. L’enjeu reste d’arriver à engager les équipes dans un nouveau projet en leur faisant comprendre qu’il est, certes, ambitieux mais réaliste et qu’on a besoin de l’aide de tout le monde pour y parvenir. La conduite du changement, c’est poser une vision, l’expliquer, dire qu’elle n’est pas discutable, définir les valeurs de l’entreprise qui vont permettre de l’accompagner et faire vivre tout cela au quotidien.
Comment faites-vous pour concilier vie professionnelle / vie personnelle ?
Il faudrait poser la question à ma femme ! (rires) Moi, en tout cas, je vis très bien cette dualité. Les outils modernes forment un savant mélange permanent entre la vie professionnelle et celle personnelle. J’ai 52 ans et, lorsque j’ai démarré, il y a quelques années, il n’existait pas tous les moyens actuels comme les téléphones portables et autres. À l’époque, on remarquait une véritable scission naturelle entre le pro et le perso. L’absence de communication faisait qu’on ne pouvait pas basculer d’un monde à l’autre. Lorsqu’on rentrait chez soi, on ne s’occupait pas du boulot.
Aujourd’hui, tout au long de la journée, pour moi comme pour les autres, des touches personnelles viennent s’insérer, assez naturellement, au travail. D’un autre côté, la vie professionnelle a envahi la vie personnelle. On déconnecte de moins en moins mais, pour ma part, cela n’a jamais été un problème étant donné que je n’ai jamais vécu cela comme une contrainte. Au bout du compte, il y a deux façons de gérer cela : soit on le perçoit négativement, soit on le prend bien, peu importe qu’on nous téléphone le soir pour parler boulot, et on l’explique à son entourage, qui, de préférence, l’accepte. Dans ce dernier cas, ce mélange des genres peut être vécu comme très agréable. En ce qui me concerne, je détiens ce sentiment depuis très longtemps et je mêle les deux, presque, avec délectation.
En tant qu’entrepreneur, comment vous y prenez-vous pour décompresser ?
Disons que je n’ai pas, spécialement, l’impression de stresser dans mon travail et donc d’avoir besoin de décompresser. Peut-être que d’autres diront que ce n’est pas le cas… Autrement, j’aime jouer au golf et j’ai fait pas mal de sport pendant un temps. Depuis un peu plus de deux mois, nous avons d’ailleurs installé, au siège de Hopps Group, des terrains de paddle-tennis (sport de raquettes adapté du tennis qui se pratique à plusieurs, ndlr), en plus de vestiaires et de douches, que nous ouvrons de 8 heures à 22 heures à nos 450 salariés.
Ils sont ainsi libres d’y jouer une heure, n’importe quand dans la journée. Il s’agit d’une activité ludique et, étant donné qu’elle se joue à quatre, permet de mieux se connaître entre différents services, ce qui favorise la décompression malgré tout. Pour l’avoir testé, lorsqu’après y avoir joué, j’entre en réunion, je ressens, systématiquement, une énergie très positive, c’est génial ! Pratiquer ce type d’activité en journée change notre façon d’aborder les sujets et a tendance à nous rendre plus performants. On pourrait presque parler d’un mélange vie pro / vie perso, d’une certaine manière, puisque nous acceptons que les enfants et conjoints participent. Ce sport se révèle, finalement, positif sur le plan personnel et nous ne l’avons pas installé pour que les salariés soient plus performants mais pour qu’ils soient, si j’ose dire, mieux dans leurs baskets.
5 conseils d’Éric Paumier
- Avoir une vision extrêmement précise des objectifs qu’on s’est fixés, c’est-à-dire de là où l’on veut aller.
- Ne jamais rien lâcher. Il s’agit d’un principe de vie : à partir du moment où je me suis fixé un objectif, je ne lâche jamais, jamais, jamais.
- Beaucoup travailler. Dans mon cas, cela a beaucoup participé à ma réussite. Je suis de l’ancienne école et je consacre beaucoup de temps et d’énergie à l’atteinte de ma vision et de mes objectifs.
- Une réussite se fait en équipe, parfois en équipe d’associés, pas toujours, mais, bien évidemment, avec des collaborateurs. Il faut embarquer des gens avec soi dans cette aventure si l’on souhaite réussir son projet entrepreneurial, c’est sûr.
« La conduite du changement, c’est poser une vision, l’expliquer, dire qu’elle n’est pas discutable, définir les valeurs de l’entreprise qui vont permettre de l’accompagner et faire vivre tout cela au quotidien. »