Créer une entreprise sur une niche boudée par les investisseurs

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Créer une entreprise sur une niche ignorée des investisseurs peut sembler contre-intuitif. Pourtant, certaines entreprises françaises l’ont prouvé : c’est souvent dans les interstices du marché que se cachent les leviers de croissance les plus durables. Loin des secteurs surfinancés et saturés, ces initiatives prennent racine là où le désintérêt ambiant permet une liberté stratégique et un positionnement différenciant.

L’avantage du désintérêt

C’est en observant l’absence d’offre de qualité dans le transport longue distance par autocar que BlaBlaCar a lancé BlaBlaBus, à une époque où le secteur ferroviaire dominait sans véritable concurrence sur certaines lignes régionales. L’entreprise a misé sur une cible oubliée : les voyageurs à petit budget, peu desservis hors des grandes lignes SNCF. Dans ce segment négligé, elle a trouvé un espace de développement rapide, sans avoir à faire face à une guerre des prix destructrice. Le faible engouement des investisseurs pour ce type de mobilité a permis à l’entreprise de croître sans devoir céder une part excessive de son capital. Le désintérêt initial des fonds s’est transformé en opportunité de contrôle stratégique.

Construire sans modèle prédéfini

L’un des défis lorsqu’on s’attaque à une niche boudée est l’absence de références ou d’analyses sectorielles. C’est le choix qu’a fait Michel et Augustin en lançant leur gamme de biscuits et yaourts à base d’ingrédients simples, à une époque où le snacking industriel était dominé par des géants comme Danone ou LU. En ciblant un public urbain à la recherche de produits gourmands mais sans additifs, ils ont misé sur une micro-niche à fort potentiel. Le manque d’intérêt des grands groupes pour ces petits volumes leur a laissé le champ libre pour construire une image de marque forte, à contre-courant des standards du secteur. Le rachat partiel par Danone quelques années plus tard valide cette stratégie initialement perçue comme marginale.

Le pouvoir de la narration différenciante

L’absence d’investisseurs peut paradoxalement renforcer la nécessité de construire une identité de marque puissante. Le Slip Français, en misant sur le “made in France” à une époque où la production textile hexagonale était en déclin, s’est imposé dans un créneau que personne ne voulait occuper. En redonnant une valeur émotionnelle à un produit du quotidien, l’entreprise a réussi à créer un lien direct avec ses clients, indépendamment des canaux traditionnels de distribution. Ce positionnement très ciblé a attiré un public fidèle et engagé, et a permis à la marque de se développer sans dépendre d’une levée de fonds massive.

Tenir sur la durée sans appui massif

L’entrée sur une niche délaissée implique souvent de gérer sa croissance sans soutien externe important. C’est ce qu’a fait 1083, entreprise de jeans fabriqués en France à moins de 1083 km du domicile de ses clients. En refusant les circuits classiques de production à bas coût et en relocalisant toute sa chaîne de valeur, 1083 s’est attaquée à un marché considéré comme peu rentable. Les investisseurs traditionnels, focalisés sur les marges immédiates, ont longtemps ignoré ce projet. Pourtant, la marque a bâti un modèle économique solide, fondé sur une communauté engagée et une stratégie de précommande, réduisant ainsi les risques de surstock. La patience est souvent la clef pour asseoir une rentabilité durable dans ce type de segment.

S’imposer comme référent d’un secteur déserté

En misant sur une niche délaissée, certaines entreprises finissent par devenir des acteurs incontournables. C’est le cas d’OpenClassrooms, plateforme d’éducation en ligne qui s’est positionnée dès le début sur la formation professionnelle accessible à tous, à une époque où les grandes écoles dominaient encore largement la certification des compétences. Alors que peu de fonds s’intéressent au e-learning en France, jugé peu monétisable, OpenClassrooms a structuré une offre robuste, anticipant la digitalisation accélérée de la formation. Le rattrapage massif du marché est venu confirmer leur intuition, tout en les positionnant comme leaders sur leur segment.

Une stratégie de long terme libérée des codes du financement classique

Ce type d’aventure entrepreneuriale exige de sortir des modèles classiques de valorisation à court terme. C’est l’une des raisons pour lesquelles Back Market, spécialisé dans les produits électroniques reconditionnés, a connu des débuts prudents. Pendant que les investissements se concentraient sur les objets connectés ou la high-tech flambant neuve, l’équipe fondatrice a choisi de structurer une offre éthique dans un secteur perçu comme marginal et peu sexy par les investisseurs. Le succès de la plateforme, aujourd’hui acteur majeur en Europe, repose précisément sur cette capacité à détecter une demande sous-évaluée, à la structurer puis à la servir avec cohérence, indépendamment des cycles d’investissement à la mode.

Faire levier sur les contraintes réglementaires

Certaines niches sont ignorées non par manque d’intérêt économique, mais parce qu’elles sont perçues comme trop réglementées ou peu flexibles. Yuka, en se lançant sur l’analyse des ingrédients alimentaires via une application mobile, a investi un terrain miné : manque de lisibilité des étiquettes, pressions des lobbies agroalimentaires, absence d’encadrement officiel. Le désintérêt des fonds s’est doublé d’une méfiance sur la viabilité du modèle. Pourtant, c’est précisément cette complexité qui a fait la force du projet. En transformant les contraintes en un outil de transparence pour les consommateurs, Yuka a ouvert un espace que ni les distributeurs ni les marques n’avaient osé occuper, renforçant ainsi sa légitimité.

Exploiter l’angle mort des grandes structures

La lenteur d’exécution des grands groupes peut aussi créer des fenêtres d’opportunité pour les entrepreneurs. L’entreprise Too Good To Go, spécialisée dans la lutte contre le gaspillage alimentaire, a investi un espace logistique ignoré par les grandes enseignes : l’optimisation des invendus. Là où les grandes chaînes d’hypermarchés voyaient un coût de traitement complexe, Too Good To Go a mis en place un système simple, basé sur une application connectant directement commerçants et consommateurs. Ce positionnement n’a pas été immédiatement soutenu par les investisseurs traditionnels, peu enclins à miser sur un modèle reposant sur des marges faibles et un engagement sociétal fort. L’engouement progressif du public a inversé cette perception, consolidant une croissance autonome sur plusieurs marchés européens.

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