Interview de Mercedes Erra, Présidente Exécutive d’Euro RSCG Monde, Présidente d’Euro RSCG France, Fondatrice de BETC Euro RSCG, première agence française de publicité et Directrice Générale d’Havas. Elle est également Présidente d’Honneur de l’Association HEC et Vice Présidente de l’Association des Agences Conseils en Communication. En Janvier 2008, BETC Euro RSCG, l’agence qu’elle a cofondée, a été nommée « Agence Française la Plus Créative » par le magazine CB News, titre obtenu 11 fois en 13 ans. L’agence a été également nommée « Meilleure Agence Européenne » par le journal américain « Ad Age Global » en 2002.
Pensez-vous qu’il y ait une corrélation entre l’engagement des salariés et les performances de l’entreprise ?
Oui tout à fait ! L’entreprise demeure avant tout un ensemble de personnes. Dans le cas de mon entreprise, qui est une société de service type, les performances sont par excellence liées à l’engagement des salariés. Cela s’applique également dans les entreprises industrielles : il vaut toujours mieux rendre les salariés heureux.
Outre la motivation classique par le salaire, existe-t’il d’autres moyens de motiver les salariés ?
Je pense qu’il faut arrêter de penser que la motivation ne se résume qu’à une histoire d’argent ! On peut avoir un haut salaire et ne pas être motivé. Les études montrent que les salariés sont aussi sensibles à l’attention qu’on leur porte qu’à l’argent.
Ils attendent d’être reconnus et, pour cela, il faut mettre en place des systèmes d’évaluation, d’évolution et ne pas oublier la clarté de l’objectif, le « sens » de l’entreprise. En effet, s’ils sont fiers de leur entreprise, de ses valeurs morales, les salariés seront plus performants. Le fondamental à respecter dans le management, c’est mettre l’humain et ses valeurs au centre des entreprises.
Le « sens » de l’entreprise peut être signifié à travers différents éléments tels que le design du lieu de travail. Un lieu qui a du sens porte les valeurs de l’entreprise, il peut traduire la modernité d’un management, du respect, une hiérarchie peu pesante. Dans notre entreprise, tout le monde a le même bureau.
L’innovation participative, est-ce le seul moyen d’appuyer l’intérêt que l’entreprise porte à son salarié ?
Non ce n’est pas le seul moyen. C’est en réalité plus profond que cela puisque les gens cherchent du « sens », ils aiment être orientés. Tout le monde ne veut pas décider ou forcément participer, il s’agit donc d’orienter. Mais en même temps, il faut que le système soit ouvert, que l’on puisse prendre en compte les différents points de vue.
Créer du sens reste un enjeu difficile, même s’il s’agit d’un enjeu clef pour les entreprises.
On ne peut pas dire, à la tête d’une entreprise: « on pense ce que tout le monde pense ». On doit exprimer un sens.
Ainsi, Air France a émis du sens en disant: « Nous ferons du ciel le plus bel endroit de la terre ».
Devez-vous personnaliser chaque activité pour chaque salarié ou est-il important de créer une unité lors de ces événements, de fédérer ?
Je crois qu’une culture réside d’un partage. Nos salariés travaillent souvent dans les locaux de nos clients et ils se doivent donc de partager une culture d’entreprise qui reste différente de la leur. Nous fonctionnons dans un système dans lequel nous nous nourrissons de la culture de l’autre tout en devant faire vivre sa propre culture.
Le choc des générations ne serait-il pas une limite à l’esprit d’entreprise ?
Je pense qu’on a tout intérêt au mélange et qu’il ne faut pas s’arrêter aux questions d’âge. L’important reste d’écouter ce que disent les individus et non pas ce que tout le monde dit. Aujourd’hui, il y a un problème entre les jeunes et l’entreprise mais pas dans la cohésion entre les générations.
Cependant, ce qui demeure regrettable, c’est qu’en France notre système repose sur l’enfermement. On dit souvent « toi tu es ceci, toi tu es comme cela ». On gagne à sortir des catégorisations et à rechercher le potentiel de chacun. En France, les personnes se doivent d’être compétentes dans tous les domaines, mais c’est une illusion. En réalité, il y a des gens qui sont compétents en organisation, d’autres dans la stratégie.
Existe-t-il des techniques pour stimuler les salariés ?
Il existe énormément de techniques mais je crois à l’exemplarité. Lorsque l’on dit quelque chose, on doit l’appliquer. Il faut que les salariés respectent leur patron et il doit donc le mériter. Les patrons doivent se battre et non se cacher.
Il existe bien entendu des « techniques » comme le fait d’avoir des objectifs, des méthodes d’évaluation
Comment manage t-on autrement ?
Il faut bien comprendre qu’il ne s’agit pas de management par la technique. Les différentes techniques de management ne comptent pas. Ce qui est intéressant, c’est le management humain.
Je dis souvent que la difficulté réside à rendre les gens généreux. Cependant, plus on donne, plus on reçoit. Il faut savoir donner sans s’attendre à recevoir. Il s’agit d’avoir des valeurs humaines et, cela consiste par exemple à répondre aux jeunes qui postulent, ne serait-ce que pour les orienter. Aussi, il faut faire très attention à ne jamais humilier les gens avec qui l’on travaille.
Dans les échecs, ce type de management se montre particulièrement efficace. Une entreprise peut licencier ou convoquer un salarié qui commet une erreur de façon tout à fait humaine et respectueuse.
On a le droit de ne pas être sûr de soi, d’avoir besoin d’aide. L’entreprise doit aussi soutenir ses salariés.
Le management humain passe par le respect d’une personne, et non d’une fonction.
Les français ont-ils l’esprit d’entreprendre ?
A l’étranger, les gens sont plus sûrs d’eux, l’école les casse moins. Si on regarde dans les parcs en France, on constate qu’une mère regardant jouer son enfant aura tendance à lui dire : « Ne monte pas ! Tu vas tomber ! » tandis que dans d’autres pays on dira après qu’il soit tombé : « Bravo ! Recommence ! »