Charles Znaty, co-fondateur de la maison Pierre Hermé Paris, mondialement célèbre pour ses fameux macarons et sa vision innovante de la pâtisserie, répond à nos questions pour vous.
Votre parcours jusqu’à la création de la Maison Pierre Hermé ?
Je travaillais dans la communication et le design lorsque j’ai cofondé la maison Pierre Hermé. Au départ j’ai conservé mon agence de communication. Puis, quand le projet Pierre Hermé Paris est arrivé à maturité, les personnes qui étaient à mes cotés dans l’agence de communication sont entrées chez Pierre Hermé, et j’ai mis fin à cette activité. On peut dire qu’il y a une société qui a servi d’incubateur à l’autre.
Comment avez-vous rencontré Pierre Hermé ?
Dans mon agence de design, nous avions parmi nos clients des marques de luxe et chefs étoilés, dont Pierre Hermé, qui était déjà considéré par ses pairs comme « le meilleur pâtissier au monde ». à l’époque Pierre travaillait pour Fauchon. Nos routes se sont croisées naturellement, nous avons développé une amitié, puis un projet entrepreneurial commun. Nous souhaitions créer une marque au rayonnement international dont la marque de fabrique était la créativité, l’esthétique et la perfection du goût.
Comment vous partagez-vous les tâches en tant qu’associés ?
Pour ce qui est de la création des recettes, c’est le domaine de prédilection de Pierre. Mon rôle c’est de lui apporter les moyens nécessaires pour pouvoir créer en toute liberté. En dehors de cela, nous nous répartissons les rôles dans l’entreprise tout en restant dans un dialogue permanent sur tous les aspects de la vie de l’entreprise. Depuis le début, nous partageons toujours un même bureau.
Quel est le cœur de métier de la maison Pierre Hermé ?
Nous faisons de la « pâtisserie haute-couture », c’est-à-dire que nous vendons de la pâtisserie de haute qualité et à des prix sensiblement plus chers que les autres acteurs de la profession.
Les investisseurs vous ont-ils facilement fait confiance lorsque vous avez lancé le projet ?
Quand nous avons souhaité ouvrir notre première boutique à Paris, en 1996/1997, notre projet a vraiment fait l’unanimité… tous les financiers auxquels j’ai présenté mon premier Business Plan trouvaient notre projet dénué d’intérêt ! Pourquoi investir dans une pâtisserie ? Il y a tout de même un fonds d’investissement qui m’a proposé de nous suivre, mais sur un projet « sérieux » ! En 1996, la mode était à la vente sur Internet. Il faut dire aussi qu’à cette époque, personne n’avait encore entendu parler de macarons…
Pourquoi tant de difficultés à convaincre les financeurs alors que les produits étaient bons ?
La communauté financière a toujours beaucoup de mal avec les idées innovantes car elle manque de base de comparaison sur l’état du marché. Sans celle-ci, il est très complexe d’asseoir la rationalité d’un investissement financier sur des chiffres ou des faits. Les investisseurs se basaient sur ce qui existait, à savoir les boulangeries pâtisseries de quartier à Paris. Si un entrepreneur vient leur expliquer qu’il compte ouvrir une pâtisserie qui fera cinq ou dix fois le chiffre d’affaires moyen de ces fonds de commerce, ils se montrent hésitants, c’est normal ! Et cela est vrai sur tous les marchés : commerce, presse, Internet… Si l’idée est vraiment innovante, l’entrepreneur sera confronté à des personnes qui auront du mal à comprendre. Mais il faut s’accrocher car l’innovation entrepreneuriale est un combustible des plus essentiels au dynamisme économique. Même si, en France, ce n’est pas ce que l’on sait le mieux financer…
Alors qu’avez-vous fait ?
Nous avons commencé par faire du conseil, d’abord pour le compte du Groupe boulangeries Paul qui venait de racheter à Paris la boutique Ladurée de la rue Royale. Nous avons redéployé et développé le concept qui a connu par la suite le succès que l’on sait. Nous sommes également intervenus pour une chaîne de pâtisseries aux états-Unis. Puis, nous avons ouvert la première boutique Pierre Hermé Paris à Tokyo en septembre 1998.
Comment s’est poursuivi votre développement ?
Nous avons ouvert une boutique à Paris en 2001, tout en continuant notre développement à Tokyo. Depuis 2008, nous sommes entrés dans une phase de développement plus importante, en France, au Japon et à Londres. Aujourd’hui il existe 23 points de vente Pierre Hermé Paris détenus en propre. Le groupe fait 30 millions de chiffres d’affaires par an et emploie 400 salariés.
Comment avez-vous réussi à vous imposer au Japon alors que vous étiez une marque naissante ?
A Tokyo, nous avons eu la chance de rencontrer notre associée Jennifer Tabary qui a fait le pari de développer notre marque sur place dès le début. Cela a grandement facilité la compréhension de ce marché particulièrement complexe et compétitif. La construction s’est faite ensuite par étapes successives.
Avez-vous adapté vos produits ?
Lorsque j’ai cherché à comprendre le marché japonai,s j’ai rencontré des experts dans le domaine de la pâtisserie japonaise… Ils m’ont expliqué que le goût japonais n’était pas comparable au goût occidental et notamment que les japonais apprécient davantage les saveurs peu marquées et peu sucrées. Ils disaient également que les tailles des pâtisseries se devaient d’être réduites par rapport à la France Beaucoup de bons conseils… que nous nous sommes bien gardés d’appliquer !
Nous nous sommes interrogés pendant environ 1 minute avec Pierre Hermé, avant de conclure que nous allions proposer des produits aux goûts que nous aimions et dans des tailles normales. Et c’est finalement ce refus d’essayer de plaire à un consommateur « imaginaire » qui a été la raison de notre succès au Japon. Au lieu de penser en termes de marketing et marché, nous sommes restés accrochés à notre conviction que la création et l’innovation doit savoir décoller des attentes des consommateurs. Immédiatement, les japonais ont adopté cette véritable qualité du produit, en outre, ils ont été sensibles à notre souci du détail et à notre goût pour la précision. Ce sont des valeurs essentielles à la Marque.
Souhaitez-vous déployer sur d’autres marchés internationaux ou restez-vous focalisé sur le Japon ?
Aujourd’hui nous sommes également présents au Royaume-Uni. L’objectif est à la fois de se déployer dans d’autres villes du Japon mais aussi dans d’autres pays de la zone Asie Pacifique, en Europe, aux états-Unis et au Moyen-Orient. Mais, nous prenons notre temps pour nous développer à notre rythme.
C’est donc une volonté de vous développer doucement ?
C’est à la fois une volonté et une exigence de qualité. Cela prend du temps de former un pâtissier de qualité. La plupart des managers en production sont des pâtissiers qui travaillent aux côtés de Pierre Hermé depuis plusieurs années ! Une bonne partie d’entre eux étaient présents à ses cotés avant même la création de l’entreprise.
Vous développez de nouveaux produits. Est-ce une volonté stratégique de vous diversifier ?
Vous faites allusion aux bougies parfumées ou ce genre de choses… Il y a moins de stratégie derrière tout cela qu’il n’y parait ! Il y a plus d’envie que de stratégie. Ces diversifications restent une partie tout à fait marginale de notre offre que nous avons développée. Notre stratégie c’est de continuer à faire des bons produits dans le domaine de la pâtisserie et du chocolat. L’envie c’est notre philosophie !
La marque Pierre Hermé est un succès commercial. Elaborez-vous vos produits en suivant une stratégie marketing ?
C’est là un des aspects originaux de notre projet d’entreprise : nous n’envisageons pas la finalité commerciale comme un pré-requis. Nous ne décidons pas de créer nos produits en pensant au potentiel business qu’il y a derrière. Nous élaborons des produits qui nous plaisent, de manière très libre. La seule chose qui guide nos choix c’est le plaisir ! La création d’abord ! Ce n’est qu’ensuite que nous envisageons quel type de stratégie marketing et commerciale pourrait porter le produit. Je pense que cette manière de fonctionner est essentielle pour les PME. Il faut mettre l’innovation et la créativité au centre même du projet entrepreneurial. Si l’on veut se démarquer des concurrents, il faut se différencier par rapport à ce qu’on trouve déjà sur le marché : pour cela il est nécessaire de libérer la créativité entrepreneuriale des contraintes marketing.
Vous avez réussi à imposer une marque forte en France et à l’étranger. Qu’est-ce qui fait la force de cette marque ?
Nos produits doivent répondre à des critères draconiens de qualité, tout en étant originaux. Beaucoup trop d’entreprises négligent la qualité au profit de la rentabilité. Notre marque a réussi à s’imposer car on ne met jamais en boutique un produit que l’on pourrait trouver ailleurs. C’est principalement ce caractère unique et original que nos clients recherchent. Nous avons aussi largement développé le macaron. C’est aujourd’hui notre produit-phare.
5 conseils
- Lorsqu’on vous dit non c’est une mauvaise idée ! Il est possible que ce soit un indicateur que vous êtes sur la bonne voie.
- Toujours se méfier des conseils ! N’écoutez pas forcément les conseils qu’on vous donne sur la stratégie à adopter par rapport à un marché. Comme disait Mao Tsé-Toung : l’expérience est une lanterne qui éclaire le chemin parcouru !
- Mieux vaut compter sur ses propres forces, que trop écouter les autres.
- Innovez ou bien présentez une solution compétitive. Il y a 2 façons d’envisager les choses : innover, créer ou au contraire apporter une solution plus compétitive, économique à ce qui existe déjà. Être entre les 2 est une voie dangereuse ou du moins compliquée.
- Ne pas forcément adapter vos produits au marché que vous souhaitez conquérir.