Ce que révèle l’acceptation systématique de tous les partenariats pendant un mois

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Dans le développement d’une entreprise, chaque proposition de partenariat représente à la fois une promesse et un risque. En théorie, s’ouvrir à son écosystème, multiplier les collaborations et mutualiser les efforts semble toujours pertinent. Mais dans la réalité opérationnelle, rares sont les entreprises qui testent réellement ce que donnerait une ouverture sans filtre. Certaines structures françaises se sont prêtées à l’exercice : dire oui à toutes les sollicitations partenariales pendant trente jours, sans tri préalable. Un mois d’exposition totale, pour mesurer la valeur réelle de l’intuition collective et les limites de la porosité.

Un afflux massif… et des effets immédiats

Chez Skello, société spécialisée dans les logiciels de gestion de planning, l’équipe business development décide de ne refuser aucun partenariat pendant un mois. Qu’il s’agisse de collaborations avec des influenceurs, de co-branding avec des startups RH, de webinars croisés ou de publications partenaires, toutes les propositions reçoivent une validation automatique. En quelques jours, le rythme s’accélère. Le service communication est débordé, les plannings se remplissent, et les ressources internes sont redirigées en urgence pour suivre la cadence.

Ce chaos temporaire devient un révélateur : la majorité des demandes, bien que séduisantes sur le papier, ne sont pas structurées. Beaucoup de partenaires n’ont pas d’objectif clair, pas de plan d’action, parfois même pas de produit finalisé. Ce tri naturel ne se fait plus en amont, mais a posteriori, à travers la réalité du terrain. Sur vingt-huit partenariats acceptés, seuls trois produisent un impact réel à court terme. “On a gagné en visibilité, mais surtout en lucidité sur ce que signifie un partenariat opérationnellement viable”, résume la responsable marketing.

Révéler les angles morts du modèle

L’expérience menée par Legalstart en 2022, sur un format similaire, a mis en lumière un autre aspect : les points aveugles dans la stratégie de développement. Pendant un mois, l’équipe dédiée aux partenariats accepte toutes les propositions entrantes, même celles qui semblent éloignées de leur cœur de métier. C’est ainsi qu’un partenariat avec une association de gestion de patrimoine, d’abord jugé marginal, révèle un vivier inattendu de clients potentiels. En intégrant leur outil à une plateforme de gestion de SCI, Legalstart ouvre un nouveau canal d’acquisition.

À l’inverse, plusieurs collaborations initiées avec des structures très proches de leur secteur juridique n’aboutissent à rien de concret, faute de complémentarité réelle. L’exercice pousse l’entreprise à redéfinir ses critères de pertinence : non plus la proximité sectorielle, mais l’alignement sur le cycle de vie client. Ce changement de prisme influence directement la stratégie de sourcing, désormais centrée sur des partenaires en amont ou en aval du parcours client, plutôt que dans une logique concurrentielle ou d’image.

Gérer l’asymétrie des attentes

Pour Alan, startup spécialisée dans la santé et l’assurance, accepter toutes les sollicitations pendant un mois a mis en lumière un point de tension récurrent : l’asymétrie entre les attentes des partenaires et les moyens réels de coordination. Plusieurs petites structures proposent des actions croisées avec Alan, espérant bénéficier de son image ou de sa base utilisateur. Mais peu anticipent le niveau d’exigence ou les contraintes opérationnelles. Résultat : des réunions multiples, des supports à adapter, et souvent une exécution incomplète.

Cette suractivité révèle l’enjeu central du partenariat : la capacité des deux parties à porter le projet avec la même intensité. Le test conduit Alan à internaliser une grille d’évaluation rapide, non pas basée sur le potentiel théorique d’une collaboration, mais sur la capacité effective du partenaire à mobiliser ses équipes. Un critère devenu déterminant, y compris dans les deals à forte portée stratégique.

Des opportunités inattendues, hors cible

Dans plusieurs cas, cette ouverture systématique a permis de révéler des alliances improbables mais fructueuses. La startup Olvid, qui développe une messagerie sécurisée, accepte sans filtre toutes les propositions entrantes pendant un cycle de quatre semaines. Parmi elles, un éditeur de jeux vidéo indépendant, souhaitant intégrer une fonction de chat crypté pour des tournois internes. L’accord semble marginal, mais débouche sur un pilote technique concluant, puis sur un contrat cadre. À la suite de cette expérience, Olvid élargit sa stratégie de partenariats au secteur du divertissement, auparavant exclu de sa cible prioritaire.

Ce type d’issue montre qu’une ouverture temporaire peut agir comme un levier de diversification stratégique. Encore faut-il être capable d’en tirer les bons signaux. Olvid met alors en place un canal interne de veille partenariale transverse, qui permet de détecter, dès les premières semaines, les signaux faibles d’un usage ou d’une audience inattendue. Ce processus d’observation croisée devient un outil de pilotage à part entière, au-delà du simple sourcing opportuniste.

Structurer l’après-expérimentation

Une fois la période de test terminée, la plupart des entreprises ayant tenté cette ouverture généralisée mettent en place des mécanismes de régulation plus fins. Chez Shine, les équipes dédiées au business development créent un “score d’impact prévisionnel”, basé sur les indicateurs observés pendant l’expérimentation : temps mobilisé, complexité logistique, exposition potentielle, et compatibilité avec la stratégie produit. Chaque nouvelle proposition de partenariat est désormais évaluée selon ce prisme, avec un arbitrage plus rapide, mieux outillé.

Mais au-delà de la grille, c’est la posture qui change. L’entreprise ne cherche plus uniquement à cocher des cases ou à élargir son écosystème, mais à choisir des alliances qui renforcent une logique de valeur partagée. La temporalité s’ajuste aussi : certains partenariats ne visent plus l’effet immédiat, mais la construction d’une confiance mutuelle sur le long terme. Ce retour à un partenariat “patient”, mieux ciblé, découle directement des excès de la phase ouverte.

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