Peut-être avez-vous vu circuler cette vidéo qui a créé le buzz la semaine dernière, montrant un distributeur automatique de savon refusant de servir une main noire tendue. Ce phénomène, qui a indigné la twittosphère, résulterait d’une malheureuse coïncidence physique mais soulève des questionnements plus graves.
La première machine raciste ?
A la fin de la semaine dernière, la twittosphère était en émoi ! Publiée le 16 août dernier, la vidéo de Chukwuemeka Afigbo, Manager chez Emeka, une société nigériane travaillant pour Facebook, a fait le tour du monde en quelques minutes. Celle-ci montre un distributeur de savon automatique servant généreusement une main blanche mais refusant de faire de même pour une main noire quelques secondes après. Retweetée 150 000 fois et aimée plus de 200 000 fois, il ne s’agit pourtant pas d’une première ! En 2015, un certain Teej Meister postait sur YouTube un court film tourné dans les toilettes du Marriott Marquis Hotel d’Atlanta qui montrait le même phénomène. Ce dernier commentait son expérience : « Je n’ai pas été blessé, mais ça m’a intrigué. Pourquoi ne me reconnait-il pas ? J’ai essayé tous les distributeurs dans ces toilettes et aucun ne fonctionnait avec moi. » Cette vidéo recense, aujourd’hui, plus de trois millions de vues et soulève une polémique. Plusieurs autres internautes ont renchéri, sidérés, à coups de commentaires incendiaires et de vidéos montrant des dispositifs automatiques refusant de servir des mains de couleur foncée.
Une confusion due à la réflexion de la lumière
Ce triste phénomène aurait, néanmoins, une explication scientifique. D’après Richard Whitney, de la compagnie Particle, une firme américaine spécialisée dans l’internet des objets, « le distributeur utilise une technologie proche de l’infrarouge, qui envoie une lumière invisible depuis une petite ampoule LED. Lorsque les mains passent devant le détecteur, elles réfléchissent cette lumière vers le détecteur qui s’enclenche ». Les distributeurs automatiques de savon utilisent, effectivement, un capteur infrarouge pour détecter la lumière réfléchie par la peau. Sauf qu’une peau foncée absorbe la lumière au lieu de la renvoyer comme le ferait une peau claire. Dans de telles circonstances, il semble donc « normal » que le dispositif ne puisse reconnaître qu’une main blanche. Avant de se voir commercialisés, ces distributeurs doivent, tout de même, subir une série de tests, ce qui constitue le cœur de la polémique : ce problème aurait ainsi dû être détecté et réglé dès le départ !
Une observation qui soulève plusieurs questions
Dans un pays comme les États-Unis, où la population reste très mixte, ne pas détecter les peaux foncées représente un sérieux problème. Cette nation compte plus de 42 millions de personnes à la peau noire, tandis que la population totale s’élève à plus de 325 millions d’Américains. Il paraît donc étrange, vu l’importance de la population concernée, que les concepteurs des dispositifs incriminés n’aient pas pensé au cas où une main plus foncée se présenterait devant le capteur infrarouge. Il semble encore plus étonnant, aux yeux de certains, que ces mêmes scientifiques n’aient pas fait tester ces produits à des personnes à la peau plus sombre. Cette attitude laisse entendre que le distributeur aurait été conçu par et pour des Blancs, d’où la polémique. La non-considération des peaux foncées dans le cas d’un système aussi banal qu’un distributeur de savon rend de nombreux internautes perplexes quant à son mode de conception et à la considération portée à ces personnes en général. Beaucoup d’entre eux dénoncent un racisme sous-jacent mais la marque du distributeur filmé ne s’est pas encore exprimée à ce sujet.
Plusieurs épisodes similaires
Il ne s’agit, malheureusement pas, du premier cas où les Noirs se voient oubliés par les grands groupes. En juillet 2015, Google devait présenter des excuses suite à une coquille dans son logiciel de reconnaissance faciale. Ce dernier étiquetait « gorille » sur une photo où posaient deux personnes de couleur Noire. La même année, un autre scandale éclaboussait le groupe : la recherche « nigga house » (« maison de nègres », en français, ndlr) dans Google Maps donnait sur la Maison Blanche (à l’époque, Barack Obama, encore président des États-Unis, l’occupait, ndlr). La célèbre marque à la pomme, Apple, s’est également vue attaquée lorsque des journalistes du Huffington Post ont découvert que son automate, Siri, gaffait dans certaines réponses. Lorsqu’ils lui demandaient « que veut dire bitch ? », le logiciel indiquait « une femme en argot Noir ». Les Asiatiques ne sont pas en reste non plus. Un peu plus tôt, en 2009, la société Nikon se trouvait dans une situation tout aussi embarrassante : certains de ses appareils photos confondaient yeux bridés et clignements. Le problème récurrent du racisme dans la technologie se pose dans chacune de ces situations. Jacques Henno, journaliste spécialiste des nouvelles technologies, exprime son point de vue à ce sujet : « La technologie n’est pas raciste par essence. Mais elle est pensée et testée par des Blancs jeunes pour des Blancs jeunes.»