Arrago, la fintech qui finance les seniors de manière équitable et responsable !

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Interview de Alexis Rouëssé, cofondateur et CEO d’Arrago, qui vient de réaliser une levée de 55 M€ en Seed afin d’aider les seniors à améliorer leur confort de vie et préserver leur indépendance.

Comment vous est venue l’idée de créer votre entreprise et quand ?

A trente-trente-cinq ans, je me disais déjà qu’il faudrait un jour que je crée mon entreprise. J’étais alors dans un grand groupe bancaire qui s’appelle la BPCE aujourd’hui. A chaque fois que je lançais une activité dans ce groupe, j’avais l’impression de créer un peu ma PME. J’étais convaincu qu’à un moment, il allait falloir que j’ose. Pour sauter le pas, il m’a fallu être un peu poussé. C’était en 2016, alors que je travaillais au Crédit Foncier. J’avais développé une activité pour aider notamment les banques régionales à gérer leur bilan. Mes supérieurs m’ont prévenu qu’ils allaient arrêter cette activité que j’avais lancée depuis 2011. Or, mes clients voulaient continuer. Je suis allé voir le DG et je lui ai dit « J’ai encore du boulot ». Nous nous sommes quittés en très bons termes et j’ai continué l’activité. C’est ainsi que fin 2016-début 2017, j’ai lancé ma société.

Est-ce qu’elle faisait exactement la même chose ?

Pas exactement. Nous aidons les banques mais pas les BFI, celles qui sont très importantes. Nous nous adressons plutôt au deuxième tiers pour acheter des créances qu’elles détiennent. Cette activité permet aux banques de continuer à faire la leur car elles ont toutes des ratios de risques, de liquidité, de fonds propres… Depuis 2008 (crise des subprimes, ndlr), la réglementation s’étant renforcée, elles rencontrent davantage de difficultés en la matière. Au final, nous les aidons à vendre leurs créances pour qu’elles puissent reprêter à leurs clients. Nous avons réalisé rapidement six cents millions d’euros de cessions de créances. Cela peut paraître énorme mais c’est assez facile dans la finance. Tout de suite les chiffres sont exponentiels. Nous avons continué cette activité mais elle reste très liée à la conjonction de taux, de liquidité. C’est donc une activité très dépendante du marché.

Comment avez-vous réagi ?

A partir de fin 2019, nous voulions moins dépendre de ces aléas et nous avions identifié un besoin. C’est ainsi que nous en sommes venus à développer un produit qui est le prêt 60, un prêt pour les personnes de plus de soixante ans. Nous avons investi tout ce que nous avions gagné dans l’activité précédente pour cette nouvelle qui a l’avantage d’être récurrente.

Il y a eu un long délai de maturation car nous avons dû notamment monter un partenariat avec une banque, filiale du crédit mutuel qui s’appelle le CFCAL (crédit foncier communal d’alsace lorraine, ndlr) et trouver le refinancement ainsi que réaliser une levée de fonds. En dehors même de cette dernière, il fallait que les process soient « compliant » avec la régulation bancaire, et que nos systèmes informatiques soient au niveau. Cela prend du temps et n’avons octroyé le premier prêt que depuis avril, soit 3 ans et demi après le lancement.

Est-ce que c’est cela qui vous a pris le plus de temps ?

Surtout, aussi, et c’est un point très important pour nous, nous voulions que notre méthode d’action protège la clientèle. Les personnes de plus soixante ans sont généralement en pleine forme. Comme nous prêtons jusqu’à cent vingt-deux ans (âge de Jeanne Calment à son décès, ndlr), nous savons que certains seniors sont moins en forme que d’autres. Il reste néanmoins que ce sont des personnes considérées comme « fragiles » même si elles sont en pleine forme. Ce à quoi nous portons une particulière attention afin qu’il n’y ait pas d’abus de faiblesse.

En quoi consiste votre offre exactement ?

Notre prêt est assez particulier, car c’est un prêt sans mensualités. En conséquence, il ne touche pas le reste à vivre des personnes. Il est remboursable quand vous voulez et au plus tard à la succession. C’est vraiment quand vous voulez ! Cela peut paraître miraculeux mais cela ne l’est pas ! Nous ne sommes pas des personnes insensées car nous prenons une garantie immobilière mais celle-ci ne reste qu’une garantie. En effet, s’il y a une hausse de l’immobilier, nous n’en bénéficions pas. Elle est pour l’emprunteur ou ses héritiers. Autrement dit, l’emprunteur reste totalement propriétaire et le jour où il veut vendre, il vend et généralement nous remboursent. Bref, ils font ce qu’ils veulent et empruntent le montant dont ils ont besoin.

Qui cela concerne-t-il ?

Il y a de nombreuses personnes qui ont acheté des biens dans Paris ou dans les métropoles, il y a un certain nombre d’années alors qu’ils n’étaient pas trop chers. Ces biens ont pris de la valeur et valent parfois une fortune. Ils sont assis sur des lingots d’or mais ils peuvent rencontrer des difficultés à acheter leur baguette de pain. Or, elles n’ont pas forcément envie de vendre ce bien et de déménager. Grâce à notre prêt, nous leur permettons d’utiliser un peu de cette richesse patrimoniale. Bien sûr, ce n’est pas le seul exemple.

Comment assurez-vous la protection des emprunteurs ?

Il faut comprendre qu’on est dans un produit bancaire et que ce n’est pas quelque chose qui se fait en un clic. D’ailleurs, nous ne voulons pas que cela soit le cas. Nous avons ainsi refusé de faire des crédits à des personnes même si leur bien immobilier était parfait. Par exemple, il y avait une suspicion assez forte d’un abus de faiblesse de la part d’une personne de la famille.

En l’occurrence, une personne âgée faisait régulièrement des virements de 20 000 euros alors qu’elle ne disposait pas d’un gros revenu. Nous avons refusé le dossier car nous nous sommes dit que si elle faisait un emprunt, ce serait juste pour l’autre personne et non pour elle-même. Elle en a tout à fait le droit mais ce comportement n’était pas très rassurant.

Souvent, il y a également des personnes qui s’endettent trop vite et qui n’ont plus de reste à vivre. Le problème reste que, même si nous leur donnions un peu d’air, dans les 6 mois, cela va se révéler encore pire car elles n’auront plus du tout de solutions. Cela nous a pris énormément de temps pour caler notre process là-dessus.

Avez-vous d’autres mécanismes de protection ?

L’autre point c’est que notre crédit se signe devant notaire. Alors, certes, c’est plus lourd qu’une procédure classique de prêt mais cela possède un avantage : les notaires sont responsables que chaque partie comprenne bien l’intérêt de tout le monde à signer. Il y a ainsi une personne indépendante qui sert les intérêts des deux parties.

Nous demandons également un avis médical pour les emprunteurs pour être bien sûr qu’il n’y ait pas un abus de faiblesse, que l’emprunteur ait bien toute sa tête, car les notaires ne sont pas des médecins. Cela nous ralentit certes dans notre développement mais nous trouvons que c’est plus serein pour l’emprunteur mais aussi pour nous. Je préfère que le chiffre d’affaires monte moins vite mais que nous ne rencontrions jamais un problème du type abus de faiblesse. C’est assez sain au final.

Je suppose que c’est dans le cadre de du lancement de cette activité que vous avez levé les cinquante-cinq millions d’euros ?

Tout à fait. A noter que ce n’est pas cinquante-cinq millions d’euros en capital. C’est cinq millions d’euros de capital et cinquante millions pour le financement. Autrement dit, il y a cinq millions d’euros pour développer l’entreprise, augmenter les équipes ou encore investir en tech. Cette somme finance ainsi nos calculateurs d’octroi de crédits ou encore notre plateforme qui permet à la banque et ses intervenants d’octroyer des crédits. Les cinquante millions d’euros servent, quant à eux, à faire des prêts. Il s’agit d’une première étape. D’ici fin mars prochain, l’objectif c’est d’avoir octroyé cent millions d’euros. Il en manque la moitié même si nous avons déjà la chance d’avoir passé cette première marche.

Et cette activité fonctionne bien ?

Nous avons déjà eu 1 500 demandes. Sur celles-ci, il y en a quelques-unes qui sont venues au début de l’année au moment de l’ouverture de notre boutique en janvier-février mais le premier prêt réalisé date d’avril. Ce sont des demandes qui sont venues spontanément : nous n’avons fait aucune publicité et très peu de communication.

Ce produit n’est cependant pas nouveau puisqu’il a existé en France mais la banque qui le faisait l’a arrêté en 2018. Elle reste cependant une solution courante dans le reste de l’Europe et qui n’est guère négligeable. Par exemple en Angleterre, ils ont réalisé ce type de prêt pour six milliards d’euros. Il y a donc un vrai marché et une vraie demande. Avec le vieillissement de la population, les chercheurs de l’Insee ou de la banque mondiale considèrent d’ailleurs qu’il n’y a que ce type de prêt qui pourra le financer dans les pays occidentaux. Avec le vieillissement de la population, nous avons du travail pour un certain temps ! Le fait qu’il y ait de moins en moins de moyens, que ce soit la baisse des revenus, et que les dépenses augmentent entraîne des problématiques qui, espérons-le, vont nous porter pendant longtemps.

Un démarrage rapide ?

Là nous en sommes à trois millions d’euros de crédits octroyés. Mais cela prend du temps parce que ce sont des décisions qui sont « lourdes ». Nous faisons des prêts qui sont entre cinquante mille euros et un million d’euros. Nous n’avons en conséquence pas envie que les gens empruntent à la légère. Ce sont de vraies décisions car il s’agit quand même de sommes importantes.

Les personnes qui souhaitent emprunter en parlent souvent à leur entourage : leurs familles, leurs enfants, à leur notaire, et cela prend du temps à maturer. Aujourd’hui, nous avons octroyé 20 prêts et 100 sont en process de l’être. Au final, il devrait y en avoir 500 sur les 1 500 qui vont s’effectuer mais cela peut prendre du temps. Pour avancer sereinement, nous allons augmenter le nombre de dossiers, ce qui va accélérer le nombre de prêts grâce à un stock de demandes qui va être de plus en plus important.

Avez-vous arrêté l’autre activité ?

Elle n’est pas totalement arrêtée mais la problématique c’est qu’elle est très liée à la conjoncture de taux d’intérêt et de liquidités des banques. Avec la montée des taux d’intérêt, si vous vendez des prêts, que vous avez octroyé à 2 %, vous allez prendre des pertes. Actuellement, si vous n’êtes pas totalement coincé par la liquidité ou les fonds propres et que vous êtes une banque, vous n’allez pas les vendre. En ce moment, il n’y a pas beaucoup de vendeurs car les banques françaises sont très bien capitalisées et qu’il n’y a pas de stress majeur sur les liquidités. Elles ne vont pas en vendre. Par conséquent, il n’y a actuellement pas de demandes. Cette activité reste donc en suspens. C’est la raison pour laquelle nous avons voulu compléter notre façon de fonctionner par quelque chose de plus récurrent.

Vous êtes combien aujourd’hui chez Arrago ?

Nous sommes une dizaine et nous allons, je pense, doubler d’ici la fin de l’année. Nous ne sommes pas obligatoirement amenés à devenir une énorme entreprise en nombre de personnes, car nous sommes beaucoup digitalisés. Cependant, nous avons toujours besoin de doubler certains postes notamment pour traiter l’activité qui augmente.

Est-ce que vous rencontrez des difficultés ?

Oui bien entendu. Déjà car nous ne sommes pas encore connus ou du moins que ce type de prêt ne l’est pas. Une anecdote récente que je trouve drôle à ce sujet, est lorsque nous avons participé au salon des seniors et que les gens nous ont interrogé sur ce que nous faisions, nous disions « on prête aux gens de plus de 60 ans ». Or, dans 90 % des cas les gens nous répondaient : « ce n’est pas possible car j’ai plus de 70 ans ». En fait, ils sont convaincus que cela n’est plus possible après tel âge car on leur a toujours dit cela.

Nous avons dû ainsi changer de discours pour expliquer que nous prêtions de 60 à 122 ans. Tous les seniors sont inclus dans cette tranche. Il y a ainsi une modification culturelle de l’appréhension du sujet à faire. Cette solution peut aider pas mal de gens même si, attention, elle n’est pas miraculeuse. Son utilisation est variée et nous avons réalisé le premier prêt d’une personne qui est venue pour réaliser un tour du monde. Dans d’autres cas, certaines personnes le contractent car elles vont à la retraite et n’ont pas fini de rembourser leur prêt. Perdre 40 % de son revenu n’est pas forcément agréable et dans certains cas, il ne vous reste plus grand-chose si vous remboursez encore des échéances. Avec cette opportunité, ils peuvent rembourser quand ils veulent et ils augmentent ainsi leur revenu disponible.

Qu’est-ce qui vous a le plus surpris ?

Le bon accueil. Nous sommes habitués quand on vient du domaine de la banque au fait que l’on soit considéré comme les « méchants ». Là les gens ont trouvé que nous apportions vraiment une solution et nous sommes très bien accueillis. Certains trouvent même cela un peu miraculeux. Au final, nous faisons un prêt avec des intérêts et ce n’est donc pas gratuit. Nous le soulignons souvent en disant : « ce n’est pas de la poudre de perlimpinpin, cela coûte de l’argent ». Certes, cela redonne une solution pour des gens qui sont freinés et qui ne s’autorisent plus à concrétiser des rêves car ils pensent qu’ils ne pourraient pas les réaliser. J’étais assez sidéré par cette réaction positive et elle m’a profondément marqué. 

« Notre prêt est assez particulier, car c’est un prêt sans mensualités. En conséquence, il ne touche pas le reste à vivre des personnes. Il est remboursable quand vous voulez et au plus tard à la succession. »

3 Conseils d’Alexis Rouëssé

  1. « Never never give up ! » comme le disait Winston Churchill. Il ne faut pas lâcher !
  2. Faire confiance et déléguer. Pourquoi ? Parce que je le vois avec mes équipes, il ne pense pas comme vous. Cela vous énerve au début mais ils n’ont pas obligatoirement tort. Il faut arriver à faire confiance car en retour ils vous feront également confiance et c’est comme cela que cela fonctionne. Il faut accepter même dans une petite entreprise de ne pas tout contrôler et de bien rester dans son rôle de manager général. Certes, il se peut que dans certains cas, si vous l’aviez fait, vous l’auriez mieux fait mais pendant que vous le faites, vous ne faites pas autre chose donc tout le monde y aurait perdu.
  3. Comprendre que les personnes autour de vous ont des qualités que vous n’avez pas et aussi des défauts. Je n’ai pas toutes les qualités et pas tous les défauts. Une fois qu’on a passé les 3 à 6 mois d’adaptation les uns avec les autres, il y a une confiance qui se crée. A partir de là, on se demande presque à quoi sert le manager. Ce n’est pas en donnant des directives qu’on gagne mais en connaissant la personne. Cela change tout car tout le monde à son espace de liberté. 

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