Il n’y a pas d’âge pour entreprendre… À 31 ans, Jonathan Anguelov a créé, avec trois autres associés, Aircall. Alors qu’il a récemment levé 25 millions d’euros, le système de téléphonie d’entreprise 100 % Cloud vise la première place. Son ambition : atteindre une valorisation à un milliard de dollars et rejoindre le club des licornes.
Qu’est-ce qui vous a conduit à entreprendre ?
J’ai commencé par étudier en école de commerce, à l’ESCP. L’économie et la finance me passionnaient mais je gardais en tête l’idée de monter, un jour, mon entreprise et de prendre les risques qui vont avec. Très jeune, j’avais déjà cette fibre entrepreneuriale. J’achetais de petits appartements localisés à Paris avec des prêts pour les louer à des étudiants ou les revendre. Je m’intéresse beaucoup aux immeubles et à l’architecture. J’aime me dire que, de rien, on peut construire quelque chose.
Pendant mes études, j’ai également créé une entreprise de recyclage de téléphones mobiles (qui n’existe plus, ndlr). J’achetais des téléphones portables, les retapais et les revendais. C’était un petit business d’étudiant. Puis, je suis parti à Londres, dans le monde de la finance, pendant un peu plus d’un an. Le marché du travail ne se portant pas hyper bien au vu du peu d’embauches et de perspectives, entreprendre m’est apparu comme une évidence. J’ai rencontré mes associés grâce à notre premier investisseur, eFounders, et, mi-2014, Aircall est née. Cela fait désormais quatre ans.
Aircall, qu’est-ce que c’est ?
C’est un système de téléphonie pour les entreprises. Un logiciel 100 % Cloud disponible dans le monde entier, en quelques clics. Quand je parle de téléphonie d’entreprise, on pense souvent à la fameuse boîte noire installée dans les bureaux. La différence est que notre système s’intègre directement aux outils d’une société. En clair, Aircall dématérialise la téléphonie pour la rendre accessible depuis les ordinateurs ou Smartphones des collaborateurs et leur permettre de passer des appels.
Le système connecte les téléphones et le logiciel métier, afin de remonter les informations et donner du contexte à chaque appel. Il n’est donc, par exemple, plus question, pour le service client, de demander à la personne en ligne son numéro client ou de commande puisqu’on a désormais accès à toutes ces informations telles que la date et le montant des derniers achats. Avant, il fallait prendre son téléphone, taper manuellement le numéro puis, attendre que cela sonne. Désormais, il suffit de cliquer sur le numéro pour lancer l’appel. Les commerciaux deviennent plus rapides en termes d’exécution et, de fait, plus productifs.
Finalement, ce système est-il plus cher ou moins cher que ceux de la téléphonie d’entreprise classique ?
Globalement, le prix reste identique. Beaucoup d’entrepreneurs, lorsqu’ils créent leur société, veulent révolutionner le marché par les prix, par le bas. C’est l’erreur à ne pas faire. Aujourd’hui, vendre du prix en BtoB ne fonctionne pas car cela signifie vendre quelque chose de non qualitatif. Ainsi, nous ne souhaitons pas nous différencier par le prix mais par l’expérience utilisateur. Traditionnellement, la téléphonie d’entreprise implique une personne en interne qui s’occupe au quotidien de la maintenance du système. Aircall, quant à lui, se met en place en l’espace de seulement quelques heures étant donné qu’il s’agit de software.
Il peut déployer la téléphonie d’entreprise à 500 personnes en s’intégrant aux outils internes. Ce logiciel a été conçu pour que les choses s’effectuent de façon simple et rapide, à la manière d’un plugin (module d’extension, ndlr). Et même si nous restons sur un prix similaire en matière d’outil, il revient moins coûteux aux entreprises en raison de l’absence de maintenance.
Vous enregistrez actuellement une hypercroissance de 10 % par mois. Qu’est-ce que cela implique ?
Au début de l’année 2018, nous étions 80 personnes. Aujourd’hui, nous sommes 120 et nous devrions être 200 d’ici la fin de l’année. En résumé, nous devrions doubler la taille de l’entreprise actuelle et tripler notre chiffre d’affaires. Cela implique de mettre en place du middle management (« management intermédiaire », en français, ndlr), d’apporter de la séniorité et passer d’une équipe talentueuse à une équipe expérimentée qui suit des process.
C’est un virage essentiel. Nous voulons garder notre efficacité, cet esprit jeune (la moyenne d’âge chez Aircall est d’environ 27 ans, ndlr), « let’s do it », et ne pas s’imposer comme une structure lourde. Le plus important, pour nous, reste notre culture d’entreprise. Souvent après la journée de travail, des salariés vont prendre des verres ensemble. Beaucoup diront qu’Aircall est leur deuxième, voire leur première maison, car nous passons plus de temps au bureau avec les collègues que chez nous. Il doit y avoir une vingtaine de nationalités différentes mais tous se rassemblent autour d’un même objectif, celui de révolutionner la téléphonie d’entreprise et de la rendre plus simple et accessible dans le monde entier.
Récemment, vous avez levé 25 millions d’euros, Soit, au total, 36 millions d’euros depuis la création de l’entreprise. Quel en est le but ?
Du recrutement et de la recherche. Nous voulons aller toujours plus loin en termes de produit et de fonctionnalités. Nous souhaitons le faire évoluer vers de l’intelligence artificielle et de l’interconnexion avec une multitude d’outils. Inévitablement, il nous faut recruter des talents pour soutenir notre croissance de 10 % par mois. Certes, nous pourrions rester en croissance organique mais nous avancerions plus lentement. Et qui dit plus lentement, amène à se demander si le marché ne risque pas de nous passer devant.
Cette levée de fonds de 25 millions d’euros va donc nous permettre d’aller plus vite encore et d’apporter des solutions innovantes aux entreprises. Nous souhaitons évangéliser le marché et devenir le leader mondial de la téléphonie d’entreprise. Nous voulons changer les codes. Revendre n’est pas un objectif en soi. L’objectif est que, demain, pour n’importe quelle entreprise dans le monde, Aircall soit la brique de référence en la matière. Nous avons la très forte conviction de pouvoir atteindre la valorisation à un milliard de dollars et rejoindre le club des licornes. Nous sommes d’ailleurs déjà présents à l’international. En France, nous ne réalisons que 20 % de notre chiffre d’affaires, 30 % pour les États-Unis, 60 % pour l’Europe et 10 % pour l’Asie et l’Océanie.
Que représente l’entrepreneuriat pour vous ?
L’aventure. Être entrepreneur, c’est être un nageur avec un océan à traverser. Nous partons d’une terre où tout est beau, et nous devons nous jeter à l’eau sans jamais nous retourner car cela reviendrait à nous demander si nous pouvons faire demi-tour. Commettre l’erreur de se retourner reste un classique. Nous pensons à ce moment-là que cela prendra trop de temps, que nous pouvons revenir sur la terre ferme et nous nous demandons si nous pouvons revenir en arrière. Alors qu’en tant qu’entrepreneur, il faut se dire : « Je vais tout droit puisque, de toute façon, je vais de l’autre côté ! » Soit on va à fond et on fait tout ce qui est possible pour atteindre son objectif, soit mieux vaut laisser tomber.
Je n’ai pas pour ambition d’avoir un certain train-train et de me reposer sur mes acquis. Je ne fais d’ailleurs pas coïncider la vie professionnelle avec celle privée étant donné qu’elle en fait partie, et inversement. Il n’y a pas de séparation. Je passe un bon moment, le weekend, à consulter mes emails. Quand je constate que des salariés ont échangé, un samedi ou dimanche, sur le chat de la boîte, je me dis qu’on a réussi à créer quelque chose et que c’est maintenant que cela se joue. Pourquoi ? Parce que nous avons la chance de pouvoir laisser notre empreinte dans la vie d’une entreprise.
Depuis le début de l’aventure, qu’est-ce qui a été le plus difficile ? Et, à l’inverse, quelle est votre plus grande satisfaction ?
D’abord, nous nous sommes attaqués à un marché très difficile, celui des télécommunications. Nous avons rencontré des difficultés financières, nous avons dû convaincre les investisseurs, apprendre le management grande vitesse en passant d’une équipe de quatre à vingt personnes très rapidement. Et, au début de l’activité, nous ne maîtrisions pas correctement notre logiciel. Le produit ne faisait pas ce que nous voulions qu’il fasse et nous nous sommes même demandé si nous allions y arriver. À ce moment-là, il a fallu se remettre en cause et se montrer humble. Nous avons réalisé qu’avoir une bonne idée ne fait pas tout.
Été 2015, nous sommes alors partis quatre mois à San Francisco rejoindre un accélérateur américain. Tout est reparti ! C’était exceptionnel, nous étions soudés et avons pu reconstruire le produit en y rajoutant des fonctionnalités. Nous nous sommes volontairement confrontés au marché américain, qui s’avère très exigeant, ce qui nous a permis de savoir ce que nous voulions réellement faire d’Aircall et comment appréhender les années à venir. Pour ce qui est de la plus grande satisfaction, c’est d’avoir créé une entreprise au sein de laquelle les salariés sont autant impliqués que les cofondateurs. Aircall représente l’homme invisible. On parle de lui comme d’une personne car nous travaillons tous pour lui.
5 Conseils de Jonathan Anguelov
- La résilience dans le travail. Quand on dit qu’on va faire quelque chose, on le fait jusqu’au bout. Il faut savoir suivre un plan.
- Faire confiance aux autres. Il ne faut pas vouloir partir seul et se dire que l’on sait tout mieux que tout le monde. Vous allez embaucher des collaborateurs qui deviendront des piliers de l’entreprise. Autrement, soit ce n’est pas les bonnes personnes, soit vous devez vous remettre en question.
- Jour 1 : créer une culture d’entreprise. Les collaborateurs ne doivent pas venir au travail juste pour faire leur job mais parce qu’ils souhaitent vivre une vraie aventure et progresser dans leur carrière.
- Écouter son marché. Ne prenez aucune décision sans comprendre. Ne foncez pas tête baissée. Certains se lancent avec une idée qu’ils jugent révolutionnaire mais oublient qu’une idée seule ne vaut rien. Tout réside dans son exécution.
« Être entrepreneur, c’est être un nageur avec un océan à traverser. On part d’une terre où tout est beau, et on doit se jeter à l’eau sans jamais se retourner car cela reviendrait à se demander si on peut faire demi-tour. »