Interview de Sandra le Grand, Co-fondatrice de Yapuka avec Valérie Falala. Après la success story kalidea. Une belle preuve que lancer une nouvelle entreprise à 50 ans est loin porteuse d’une nouvelle énergie.
Quel a été votre parcours avant de créer canalce, devenu par la suite kalidea ?
Je suis diplômée de l’Institut d’Administration des Entreprises (IAE) de Paris. J’ai commencé ma carrière en 1989 au sein du groupe Coca-Cola où j’ai passé 11 ans. J’y ai fait mon ascension professionnelle en débutant comme négociatrice grands comptes puis en occupant successivement les postes de responsable du développement des ventes, manager d’une équipe de vente en grande distribution et directrice Channel marketing. J’avais 34 ans et 2 enfants. Tout allait très bien pour moi.
Pourquoi avoir pris le risque de vous lancer ?
Parce que j’en avais profondément envie, une envie plus forte que le salaire, le confort de vie, la voiture de fonction ou le statut professionnel ! Depuis quelques années déjà, l’idée de créer m’habitait. Et puis, en 2000, j’assiste au bouillonnement d’Internet et je regarde un reportage à la télévision sur des jeunes qui lèvent 5 millions de francs pour créer leur boîte. Cela a été le déclic. Quand j’ai réfléchi au marché à intégrer, l’idée des comités d’entreprise m’est venue spontanément. Chez Coca-Cola, j’étais spécialisée dans le marketing par circuit et le premier est celui du travail. J’étais donc déjà en contact avec des comités d’entreprise. En commençant à m’intéresser à ce marché, j’ai constaté qu’il pesait 15 milliards d’euros pour 30 000 comités d’entreprises. Je me suis dit qu’il y avait des choses à faire avec Internet !
D’où vous est venue cette envie de créer votre entreprise ?
Avant de rentrer chez Coca-Cola, j’ai eu une première expérience professionnelle chez McDonald’s. En 1983, j’avais participé à mettre en place les anniversaires enfants, ce qui était à l’époque tout nouveau. Dans le restaurant où je me trouvais, à Marseille, j’avais monté tout le package, j’animais les après-midis et je le vendais. Je trouvais cela tellement extraordinaire que je voulais monter un business autour des enfants. J’ai hésité à ce moment-là mais je ne l’ai pas fait parce que je n’avais pas encore fini mes études et que je m’apprêtais à venir à Paris. Plusieurs années après, j’ai concrétisé mon rêve. Il n’y a pas d’âge pour créer.
Quelles ont été les grandes étapes du développement ?
La société a été lancée en 2000. Nous avons fait une première acquisition en 2001 qui nous a permis d’obtenir un portefeuille d’offres et l’abonnement des premiers CE. Cela nous a permis d’autofinancer une croissance dynamique avant de faire entrer des investisseurs capital-développement en 2008. Cette étape a vraiment accéléré notre croissance et nous avons pu réaliser une dizaine d’acquisitions entre 2008 et 2012 grâce aux dix millions d’euros levés. Dans le développement d’une entreprise, la plus grosse difficulté est toujours le financement. Chercher de l’argent ne signifie pas qu’on ne va pas bien, au contraire ! Mais il faut le prévoir et l’anticiper de façon volontaire.
Notre dernière interview s’est déroulée en 2014, que s’est-il passé depuis ?
En 2016, après une belle croissance de Kalidea, j’ai décidé d’adosser l’entreprise à un groupe industriel, au Groupe UP, pour que la courbe de croissance continue, que de nouveaux projets puissent se développer et que la société puisse bénéficier des synergies. Il y avait presque 180 salariés et 60 millions de CA. Je voulais passer à autre chose et j’avais des idées en tête, comme celle d’écrire avec Evelyne Platnic Cohen notre livre : #Ambition. Je voulais redonner au mot « ambition » ses lettres de noblesse face au constat que dire « celui-là, il a de l’ambition » était perçu comme une petite critique et « celle-là n’en a aucune » en représentait une grosse . On a pris beaucoup de temps pour écrire le livre, faire des conférences, la promotion et il a rencontré un beau succès avec près de 5 000 exemplaires vendus. Parallèlement, j’avais mes deux mandats d’administratrice et j’en ai pris deux autres. J’ai continué mes conférences surtout pour les clubs de femmes d’entreprises notamment car ils sont au cœur de tout ce qui touche aux soft skills et à l’ambition.
Comment s’est déroulé ce nouveau lancement ?
J’avais une amie de 30 ans, Valérie Falala, experte RH, qui avait fait partie de la première aventure et s’était retirée pour entrer chez Danone puis dans le retail où elle a beaucoup recruté. Parallèlement, son réseau lui a demandé d’aider les jeunes à réussir leurs entretiens, notamment pour les concours d’entrée aux écoles, stages, emploi. Nous nous sommes dit : « Pourquoi ne pas développer un business autour de ce besoin qui est celui d’entraîner les jeunes à l’entretien oral ? ». Nous avons fait le lancement fin 2017 et avions travaillé sur le projet depuis une petite année. Il y a le temps de gestation, d’étudier le marché et de définir le business model. Nous avons fait d’ailleurs appel aux HEC entrepreneurs qui nous ont bien aidées.
Pourquoi ce domaine en particulier ?
Finalement, nous aimons transmettre que ce soit au travers de conférences ou de cours. Nous nous sommes dit que le faire pour les jeunes, c’était très utile et gratifiant. On a donc monté la plateforme yapuka.org, qui regroupe d’un côté les entraîneurs et de l’autre les jeunes pour les mettre en relation et leur permettre de s’exercer à l’entretien oral. Notre différenciation est que c’est Valérie directement qui sélectionne les entraîneurs (déjà une centaine en fin d’année) qui peuvent être des étudiants des grandes écoles, des professeurs, des cadres, des recruteurs. Il s’agit d’aider à l’entretien et à se démarquer notamment quand ils ne restent que des bons dossiers. L’oral est une dernière marche qu’il faut réussir.
Quelle est votre offre concrètement ?
Valérie a expérimenté une méthode que les entraîneurs aujourd’hui appliquent. Il s’agit d’une méthode en 3 modules : se connaître pour parler de soi de façon authentique pour que le pitch soit le reflet de la personnalité, et la mise en situation. Il existe aussi des packs express qui démarrent à 99 € et donc les prix varient suivant la durée. Ceci est pour la partie B TO C. Je suis surtout fière que notre taux de réussite soit de 95 %. Il y a une partie B TO B et je pense qu’il est toujours bien d’essayer d’équilibrer les deux. Les prépas sont notamment intéressées car ils veulent préparer les jeunes avant les entretiens oraux mais également les écoles et notamment sur le parcours carrière-emploi. Nous intervenons parfois aussi au travers des séminaires qu’ils organisent. Nous travaillons également pour des associations voire des entreprises qui cherchent à attirer des jeunes au travers de nouveaux services.
Qu’est-ce qui te plaît le plus ?
Je pense qu’au-delà de la réussite que nous apportons, l’important reste que les jeunes soient fiers de leur parcours, qu’ils comprennent qu’ils ont réalisé de belles choses et qu’ils peuvent révéler leur talent
Comment vois-tu ta boite à 5 ans ?
Je vois qu’il y a un vrai besoin et que cela va exploser. Il y a 800 000 terminales, 3 millions d’étudiants et tout le marché de l’emploi. En plus, il y a désormais un oral au bac qui vient d’être mis en place par le ministère de l’éducation donc je pense qu’on va avoir du travail ! En entreprise, l’un des premiers stress reste d’intervenir à l’oral donc il y a des possibilités énormes de développement. Je pense que le défi sera d’arriver à toujours équilibrer B TO B et B TO C et de développer l’international.
Cela ne te fait pas bizarre d’être passée d’une structure rodée à une plus petite ?
Je dis souvent à mes enfants qu’il ne faut pas s’habituer à son confort. Il est clair que je ne suis pas attachée à un bureau paysagé, avec une belle salle de réunion, une machine Nespresso ! Nous devons faire davantage par nous-même mais l’énergie du projet, notre équipe nous porte également de manière positive. Il y a aussi d’autres différences : à 50 ans, quand on recrée, on a davantage de temps car les enfants nous occupent un peu moins, un peu plus de moyens qui nous permettent d’être rassurées, un réseau étoffé et des expertises qui nous permettent d’aller plus vite, de se repositionner avec agilité. Après on se fatigue, peut-être un peu plus vite, quoique Valérie et moi disposons d’énergies positives. Comme dans toutes choses, il y a du bon et du plus difficile dans les deux cas en fait !
Quelle différence avec ta première expérience ?
J’avais des associés au capital mais pas de la même manière. Aujourd’hui nous sommes des co-fondatrices et des associées complémentaires ! Chacun son talent ! Nous avons sélectionné nos investisseurs initiaux qui peuvent nous apporter non seulement des capitaux et aussi de l’expertise. Nous sommes aussi dans un secteur plus tech.
Comment l’a pris ta famille ?
Ils sont contents de voir que notre projet concerne les jeunes et que l’on a donné les prénoms de nos enfants à la dénomination de la société. Il faut réaliser que quand on se sépare d’une société, cela fait un grand vide. On passe de 200 emails à 20, du jour au lendemain. C’est un peu comme lorsque les enfants grandissent, mieux vaut construire son histoire suivante !
5 Conseils de Sandra Le Grand
- Construire son histoire d’après. À défaut, vous pourriez mal vivre votre cession d’entreprise.
- Toujours avoir pour baromètre le plaisir. Que ce soit de travailler, avec le produit, avec les clients, avec les gens. Il ne faut pas faire quelque chose contre valeurs. Cela ne marche jamais dans ce cas.
- Être patient. J’avais oublié combien il est difficile de démarrer et que cela ne va pas très vite. Il faut prendre vite des décisions par contre.
- Se mettre à la technologie et toujours apprendre. Il faut vraiment se mettre à toutes les nouvelles technologies. Les manières de travailler évoluent rapidement. À 50 ans, j’apprends encore beaucoup. N’attendez pas à ce quelqu’un vous explique. Il faut être proactif.
« Je pense qu’au-delà de la réussite que nous apportons, l’important reste que les jeunes soient fiers de leur parcours, qu’ils comprennent qu’ils ont réalisé des choses et qu’ils peuvent en être fiers »