C’est à l’Ouest de la capitale, près de la rue Balard et du parc André Citroën, qu’a élu domicile l’entreprise Selectra, qui développe un comparateur en ligne de fournisseurs d’énergie pour les particuliers et les professionnels. Son jeune cofondateur Xavier Pinon nous a ouvert les portes de ses locaux… atypiques !
« Sous le Pont Mirabeau, coule la Seine ». Sans vouloir platement paraphraser Guillaume Apollinaire, nous avons décidé de nous rendre ce mois-ci à deux pas du célèbre pont, au 66 rue Sébastien Mercier, dans le 15e arrondissement de la capitale, pour y découvrir les locaux d’une start-up en plein développement : Selectra. Le lieu est atypique. Construit par l’architecte Franck Hammoutène, président de l’Académie d’architecture entre 2008 et 2014, le bâtiment est constitué d’une maison ancienne incorporée à un immeuble moderne. L’édifice est sorti de terre en 1986. à l’époque, il s’agissait du siège de l’entreprise ATYA. C’est sous les toits en verre de ce bâtiment qu’évoluent les collaborateurs de Selectra, pilotée par ses deux fondateurs, Xavier Pinon et Aurian de Maupeou.
La notoriété, un axe stratégique.
Ce matin-là, dans les locaux de l’entreprise, les principaux décideurs sont réunis dans la salle du sous-sol, aux côtés des deux entrepreneurs, pour discuter de la notoriété du groupe. Le point est stratégique pour les équipes, car les responsables en ont fait un axe important de développement pour les années à venir. Au programme de cette réunion : présentation et analyse de la stratégie de l’entreprise en matière de Relations Presse et Relations Publiques, gestion des contenus sur les différents canaux de l’entreprise et gestion de la relation client.
La douzaine de personnes présentes dans la salle écoute avec attention le déroulé de la réunion, que Xavier présente. La mise en place d’une newsletter relayant les bons plans énergétiques est un point qui soulève quelques débats. Xavier, au milieu de la salle, intervient ponctuellement, donne des idées, essaye de réfléchir, prend les bonnes initiatives et pointe du doigt les problématiques qu’il anticipe. En somme, il agit en pilote. à l’écoute, il semble s’appuyer fortement sur l’expertise de ses collaborateurs. Très organisé, il conclut chacun des points stratégiques par la mise en place de dates clés afin que l’opération soit validée. Au moment où ils quittent la salle, les collaborateurs savent précisément quelle suite donner à leur mission.
Une société qui recrute beaucoup.
De son côté, Xavier enchaîne les rendez-vous. à peine sorti de la réunion, le jeune dirigeant doit réaliser un entretien de recrutement. Il ne s’agit pas d’un poste de salarié, mais de celui de « stagiaire ‘’bras droit’’ », comme aime l’appeler Xavier. Si l’expression peut faire sourire, elle porte tout son sens quand on sait que le stagiaire sera véritablement un touche-à-tout au sein de la boîte. Alors qu’en général, les stagiaires sont mal rémunérés par les entreprises, chez Selectra, ces derniers perçoivent 1 000 € de salaire fixe et ont droit à 500 € de salaire variable. Le profil de ce matin est intéressant.
Jeune diplômé de Sciences Po, le candidat débute le récit de son parcours. Xavier lui fait face, son CV devant les yeux, et échange régulièrement tout en posant quelques questions : « Qu’attendez-vous de ce stage ? », « Qu’est-ce qui vous rend le plus fier dans votre parcours ? »… à 21 ans, le jeune homme en face de lui fait preuve d’humilité.
Mais c’est surtout la capacité analytique qui intéresse Xavier, qui n’hésite pas à soumettre au candidat une série de tests. « Nous sommes le 24 décembre, vous êtes le Père Noël. De combien de lutins avez-vous besoin pour emballer les cadeaux en vue de la nuit de Noël ? » La question surprend, mais elle répond à une démarche analytique précise. à l’issue de l’entretien, Xavier nous explique : « à travers ces questions, je cherche à juger de la qualité du raisonnement du candidat » précise-t-il. « Je veux percevoir s’il sait raisonner par étapes. C’est une pratique fréquente en cabinet de conseil, et je sais qu’à Sciences Po ils sont formés à cela. En ce qui concerne ce candidat, je l’ai trouvé à l’aise avec les chiffres et il me semble avoir les capacités requises pour le poste. » Quelques semaines plus tard, le candidat sera d’ailleurs sélectionné pour intégrer l’entreprise.
Une idée qui émerge à Sciences Po.
Sciences Po, c’est également la formation des deux fondateurs de Selectra, qui se sont connus sur les bancs de cette école prestigieuse en 2007. Xavier, 19 ans, est en 2e année. Né d’un père courtier en assurance, il est familier d’une certaine forme d’indépendance, mais l’entrepreneuriat n’est pas nécessairement une valeur promue dans sa famille, en raison de son insécurité. Aurian, un an de plus, est alors en 3e année. Lui semble avoir la fibre entrepreneuriale. « De façon générale, Aurian bouge beaucoup » explique Xavier. « Je pense qu’il a lancé l’idée de Selectra au même titre qu’il aurait pu lancer celle de partir dans l’espace avec la NASA ! »
C’est d’ailleurs Aurian qui vient trouver Xavier en mars 2007, pour lui proposer simplement de créer une entreprise. En cherchant une idée à mettre en œuvre, les deux amis identifient une opportunité réglementaire. « Au 1er juillet de la même année, une dérèglementation allait être mise en place. Elle permettait de choisir son fournisseur d’énergie pour les particuliers. Nous étions dans le bon timing pour préparer quelque chose à lancer à ce moment-là » raconte Xavier. Avec Aurian, il réfléchit à la mise en place d’un portail web qui permettrait à chacun de comparer les fournisseurs d’énergie, tout en récupérant une commission pour chaque client apporté au fournisseur en question. La première version du site voit le jour en juin.
Des ambitions limitées au départ.
Au début de l’aventure, les deux amis n’attendent pas grand-chose de cette entreprise. « L’ambition était vraiment limitée, il s’agissait plutôt d’avoir une société à temps très partiel en parallèle des études » précise Xavier. « Nous n’avions rien à perdre, car nous n’avons rien investi dans le site au démarrage. Nous n’avions que du temps à donner ! D’autant que dans tous ces milieux de grandes écoles, la plupart des expériences extrascolaires sont très valorisées. Donc même si l’aventure n’avait pas marché, cela nous aurait permis de raconter des choses positives lors d’entretiens d’embauche. »
Au départ, Xavier et Aurian focalisent leurs sources de revenus sur les plateformes d’affiliation. Les revenus obtenus grâce aux liens restent faibles, quelques dizaines ou centaines d’euros, tout au plus. En parallèle, les deux jeunes hommes poursuivent leurs études. Xavier garde dans un coin de la tête l’envie de devenir diplomate et en troisième année, il part au Japon pendant un an. Finalement déçu par les voyages, il se rend compte qu’il préfère se réaliser dans un métier proche des siens, de ses amis et de sa famille. Il se lance dans le master « Finance et Stratégie » de Science Po. à la sortie des études, en décembre 2009, il intègre le cabinet de conseil CMI International en tant que consultant en stratégie. En parallèle, le jeune homme continue de dégager du temps afin de travailler pour le projet Selectra.
2010 et 2011 : deux années structurantes.
Aurian termine son master à Sciences Po fin 2010 et décide de se mettre à temps plein sur l’entreprise. Cette année-là, le projet commence à grandir. Des stagiaires intègrent la société qui a élu domicile dans les locaux de l’incubateur de Sciences Po. En juillet 2010, les entrepreneurs rachètent leur concurrent Kelwatt.fr. « Pour finaliser cette opération, nous avons réalisé une petite levée de fonds de 100 000 euros en loi TEPA », détaille Xavier. « Cela permettait aux grandes fortunes assujetties à l’ISF de défiscaliser à hauteur de 75 % des sommes investies ! C’est le seul frais véritablement important que l’on ait eu dans l’aventure. »
A l’époque, Selectra réalise un petit 2 000 euros de chiffre d’affaires et Aurian, à temps plein sur le projet, peut tout juste se verser le SMIC. En janvier 2011, les deux compères ouvrent un centre d’appel. Ils réalisent alors que les particuliers les appellent, non pas nécessairement parce qu’ils désirent changer de fournisseur d’énergie, mais tout simplement parce qu’ils déménagent et qu’ils doivent souscrire un contrat dans leurs nouveaux logements. Les deux entrepreneurs prennent alors conscience de la potentialité de leur business. Ils recrutent les premiers salariés en CDI pour couvrir les besoins du centre d’appels et Xavier démissionne de son entreprise en juillet 2011 pour rejoindre Selectra à plein temps.
L’entreprise croît ensuite progressivement. En avril 2012, les fondateurs décident de déménager les locaux de Strasbourg Saint-Denis à église d’Auteuil. L’entreprise compte 20 collaborateurs. En 2013, les premiers bureaux espagnols sont ouverts à Madrid et en 2015, l’entreprise affiche de belles implantation à l’international : Italie, Autriche, Turquie, notamment.
Quel quotidien pour les fondateurs ?
Aujourd’hui, Xavier possède un emploi du temps relativement structuré et équilibré. Arrivé le matin entre 9h15 et 9h30, il repart généralement du bureau entre 19h30 et 21h. « Je ne suis pas pour rester travailler jusqu’à 2 ou 3 heures du matin car j’ai toujours préféré courir un marathon plutôt qu’un sprint » explique-t-il. « Il vaut mieux être équilibré dans sa tête plutôt que de se focaliser sur le travail 24h/24 et de considérer tous les dossiers comme urgents. »
De manière générale, c’est Xavier qui se charge des rendez-vous externes et internes, ce qu’Aurian fait moins. « Je reste énormément en interaction avec le reste de notre écosystème, qu’il s’agisse de partenaires, de fournisseurs, d’entretiens d’embauche, etc. » précise-t-il. « J’essaye également de garder du temps pour adopter un recul et une réflexion sur les sujets de fond, même si au quotidien, je traite plutôt l’urgence afin que tous les dossiers soient débloqués et que chacun puisse avancer sereinement. »
Bienveillance, rigueur… et peu de réunions !
Côté ressources humaines, les deux jeunes hommes clament les deux mots-clés qui fondent aujourd’hui les valeurs de Selectra : bienveillance et rigueur. Mais un bémol subsiste : la communication. Ces valeurs ont été formalisées sur le tard, et les managers intermédiaires qui sont régulièrement recrutés ne sont pas forcément au courant que ces valeurs existent. Mais les fondateurs y travaillent. « Afin de diffuser la bonne parole aux équipes, nous éditons régulièrement le ‘’Selectra Times’’, un journal interne qui présente chaque mois un nouvel aspect de l’entreprise » explique Xavier. « Pour plus d’impact, nous l’affichons dans les toilettes car il s’agit d’un bon endroit où les gens passent du temps et s’ennuient ! »
Afin que chaque membre de l’équipe puisse avoir une idée des axes stratégiques pris par la direction, les responsables organisent parfois des réunions comme celle de ce matin. Mais hors de question de tomber dans la réunionite ! Trois ou quatre points par an suffisent largement. « Nous sommes anti-réunion car nous ne voulons pas mobiliser trop longtemps les collaborateurs sur des tâches qui ne sont pas directement productives » détaille le cofondateur.
Jeunesse et responsabilisation des équipes.
Avec une moyenne d’âge qui tourne autour de 25 ans, Selectra semble être l’une des entreprises les plus jeunes de France de cette taille. Une jeunesse qui confère à la société une culture flexible, comme en témoigne la politique des fondateurs sur le télétravail. « Au-delà des salariés du centre d’appel qui possèdent des horaires précis, nous sommes assez coulants sur les heures de présence. Nous laissons chacun s’adapter à son rythme plutôt que de fixer des règles.
De même, nous favorisons le télétravail, du moment que c’est possible et que l’on a confiance dans la personne qui le demande » détaille Xavier qui admet néanmoins se poser des questions sur ce fonctionnement. « Au final, beaucoup de nos collaborateurs arrivent très tard le matin. Est-ce que l’on a intérêt à mettre en place un cadre plus précis ? Je ne sais pas, cela mérite réflexion. » En interne, Xavier et Aurian essayent d’encourager chaque collaborateur à se saisir des sujets qui comptent ou qui posent problème.
Mais ils avouent que la tâche est difficile. « C’est mon principal souci dans le recrutement » précise Xavier. « Je trouve plein de gens compétents mais j’ai toujours peur qu’ils se placent en position d’exécutant. Mon objectif, c’est de trouver des collaborateurs avec un fort sens de l’initiative et capables de se responsabiliser face à une obligation de résultat. »
De la fierté… mais de l’humilité !
Quand il regarde dans le rétroviseur, Xavier ressent de la fierté vis-à-vis du chemin accompli. « Cela fait plus de sens que les alternatives que j’avais à l’époque, à savoir travailler dans le conseil » précise-t-il. « Cela dit, je n’ai pas non plus créé Médecins sans frontières ! Mais je travaille dans un domaine, l’énergie, qui m’intéresse fortement, et j’apprécie la liberté de décision offerte par l’entrepreneuriat. » Le jeune homme avoue que ce côté décisionnaire pourrait lui manquer s’il revenait un jour au salariat.
Mais à la question « l’entrepreneur est-il un homme libre ? », il n’hésiterait néanmoins pas à répondre par la négative. « Nous ne sommes jamais libres de faire ce que nous voulons. D’un côté, vous répondez aux exigences d’un patron et de l’autre, à celles d’un client. Et ces derniers ne sont pas nécessairement les moins exigeants ! » conclut le jeune homme, qui voit son entreprise atteindre les 12,5 millions d’euros de chiffre d’affaires à la fin de l’année.
Les valeurs de l’entreprise
Bienveillance. Si un problème entre deux personnes émerge, les fondateurs invitent à prendre du recul sur la situation. En pacifiant les conflits, Xavier et Aurian essayent de faire avancer les choses, de considérer chaque situation comme particulière et de la prendre avec plus de recul. L’atmosphère de l’entreprise n’en est que plus humaine.
Rigueur. Les deux fondateurs sont exigeants avec la performance des collaborateurs, tout simplement car c’est de cette rigueur que dépend la bonne santé de l’entreprise. Si un collaborateur ne remplit pas sa mission avec succès, Xavier et Aurian s’attachent à lui dire, tout en donnant des clés pour qu’il puisse s’améliorer.