Neuroatypie : quand la différence devient un levier entrepreneurial

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Longtemps invisibilisées, les formes de neurodivergence comme le TDAH, l’autisme ou la dyslexie commencent à être mieux identifiées dans les milieux professionnels. Mais dans le monde entrepreneurial, elles restent à la fois taboues et puissamment présentes. Car de nombreux dirigeants, sans toujours l’avoir su dès le départ, sont eux-mêmes neuroatypiques. Et si ces particularités peuvent poser des défis concrets, elles sont aussi à l’origine de qualités exceptionnelles : vision singulière, capacité de concentration hors norme, intuition stratégique, résistance à la norme. Encore faut-il que l’écosystème accepte de les reconnaître… et d’en faire une force.

Un fonctionnement différent, souvent non diagnostiqué

Nombreux sont les entrepreneurs qui découvrent leur neuroatypie tardivement, parfois à l’occasion d’un épuisement professionnel, d’un changement de rythme ou d’une parentalité. Ce fut le cas de Romain Raffard, fondateur de Quitoque, diagnostiqué TDAH après plusieurs années à la tête de son entreprise. “Je me sentais toujours en décalage, trop rapide, trop dispersé. Le diagnostic m’a aidé à mettre des mots sur ce que je vivais et à construire des outils adaptés.”

Ce “décalage” initial, souvent source de souffrance, peut aussi expliquer l’entrée dans l’entrepreneuriat. Pour beaucoup, c’est une manière de créer un environnement de travail plus compatible avec leur fonctionnement mental. Ne pas subir un cadre rigide, inventer ses propres règles, travailler à son rythme : autant de libertés que permet l’entrepreneuriat et qui correspondent parfois parfaitement aux besoins des profils neurodivergents.

Des qualités cognitives amplifiées… si elles sont canalisées

Loin des stéréotypes, certaines formes de neuroatypie peuvent devenir de réels moteurs. Le TDAH, souvent associé à une pensée en arborescence et une forte impulsivité, peut générer une créativité débordante et une capacité à lancer rapidement des projets. “Quand une idée surgit, je peux la concrétiser en 24 heures. C’est grisant, mais il faut que je m’entoure de profils plus structurés pour tenir dans la durée”, explique Camille Moreau, fondatrice de plusieurs marques dans la mode circulaire, diagnostiquée TDAH à 33 ans.

Chez les autistes Asperger, la logique analytique et l’hyperfocalisation peuvent devenir des atouts de poids dans la tech, la finance ou l’ingénierie. L’exemple d’Hugo Horiot, écrivain et entrepreneur, devenu une figure de la neurodiversité en France, illustre cette valorisation possible d’un fonctionnement singulier. “Je ne suis pas handicapé, je suis configuré différemment”, résume-t-il dans ses conférences. Ce “différemment” est parfois exactement ce qu’il faut pour inventer des modèles originaux.

Des obstacles concrets, encore minimisés par l’écosystème

Mais cette diversité cognitive ne va pas sans obstacles. Hyperstimulation, difficulté à gérer le temps, surcharge émotionnelle, incapacité à supporter certaines interactions sociales : autant de réalités qui peuvent compliquer la vie d’un entrepreneur neuroatypique, surtout dans les premières années.

Le problème, c’est que l’environnement entrepreneurial français est encore peu inclusif. Les incubateurs ou accélérateurs ne proposent que rarement des dispositifs adaptés. Les injonctions à “pitcher”, à réseauter sans cesse, à tenir des cadences infernales, sont souvent difficilement soutenables pour des profils neurodivergents. “On parle d’innovation mais pas assez de diversité cognitive. Or c’est un vivier immense de talents”, soulignait en 2023 Émilie Boulay, fondatrice de l’association Inklusiv, qui accompagne des entrepreneurs autistes.

Construire un modèle sur mesure pour soi… et pour les autres

Face à cela, de plus en plus de fondateurs neuroatypiques choisissent de bâtir leur entreprise non pas malgré leur singularité, mais à partir d’elle. Ce choix se traduit par des rythmes de travail adaptés, une communication écrite privilégiée, une organisation très structurée ou au contraire très libre. Le modèle d’entreprise devient alors le prolongement du fonctionnement intérieur du fondateur.

À Toulouse, Claire Delhom, entrepreneure dyslexique, a créé une agence de contenu visuel où la communication passe en priorité par l’image et non par les e-mails ou les textes longs. “Je ne voyais pas pourquoi je devais rentrer dans un moule. Alors j’ai créé le mien.” Ce type d’initiative montre que l’inclusion peut aussi naître de l’expérimentation individuelle, avant de se diffuser à l’échelle collective.

Faire de sa neuroatypie une posture stratégique

Plusieurs experts commencent à considérer la neurodivergence comme un avantage compétitif. Un esprit qui ne fonctionne pas comme les autres est aussi un esprit qui voit ce que les autres ne voient pas. Dans une économie saturée de normes et de formats, cette originalité peut se traduire par une capacité à détecter des signaux faibles, à créer des produits inattendus ou à aborder les problèmes sous un angle radicalement nouveau.

Le défi, pour l’écosystème entrepreneurial, sera d’intégrer cette diversité sans chercher à la lisser. Cela suppose des formations adaptées, des financements plus souples, des accompagnements individualisés. Car derrière chaque entrepreneur neuroatypique, il y a souvent un potentiel sous-exploité… faute d’un cadre qui permette de le libérer pleinement.

Transformer la différence en force d’innovation

Entreprendre avec un fonctionnement neurologique différent n’est pas un frein : c’est une autre manière de faire, de penser, de réussir. À condition d’oser se connaître, de poser ses propres limites et de s’entourer des bons relais. Loin d’être marginale, cette approche pourrait bien représenter l’avenir d’un entrepreneuriat plus divers, plus inclusif — et surtout plus audacieux.

Car la singularité cognitive, lorsqu’elle est assumée et structurée, devient une richesse rare. Et c’est peut-être là que se loge la prochaine vague d’innovation.

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