Retour sur l’évènement qui a marqué la campagne présidentielle : la mise en ligne du clip de Victoire Passage, la jeune admiratrice de Jean-Luc Mélenchon. Avec le lancement de ce buzz énorme, l’agence de communication Passage Piéton a livré un vrai cas d’école sur les techniques pour créer la viralité.
A moins d’avoir fait un petit séjour à l’autre bout du monde en avril, vous avez forcément entendu la douce voix de Victoire Passage chantant son amour pour Jean-Luc Mélenchon. Et encore, même de l’autre côté de la planète, la jeune chanteuse a fait son petit effet : on a parlé d’elle en Argentine et même sur CNN ! Preuve de son succès, le clip de sa chanson « Prends le pouvoir sur moi » a été vu plus de 2 millions de fois et pas un média n’a omis de faire un article sur elle. Mais qui est cette jeune artiste à la blondeur toute « Paris-Hiltonienne » ? Tout simplement un des plus grands fakes de ces dernières années ! Le tout, piloté par l’agence de communication Passage Piéton.
Un coup de fraîcheur dans une campagne trop ennuyeuse
7 ans, l’âge de raison. En fêtant la septième année de leur agence de communication, les délirants créatifs de Passage Piéton auraient pu se calmer… Et bien non, pour célébrer l’évènement, ils décident de se faire plaisir ! Et pas n’importe comment : en créant de toute pièce un buzz qui redonnerait le sourire aux français dans cette campagne présidentielle plombée par un lourd climat de crise. « Manière de redynamiser les équipes, mais également d’en profiter pour se faire un joli coup de pub » explique Frédéric Lambert, cofondateur de Passage Piéton.
Une question se pose vite : comment prendre la parole de manière ludique dans ce contexte ? L’idée de créer un personnage qui déclare sa flamme à un candidat s’impose alors, en référence aux fameuses « Obama girls » ou aux « filles de Poutines ». Banco : les créatifs sentent qu’ils tiennent là un concept capable de déchaîner les passions sur le web. C’est finalement sur Jean-Luc Mélenchon, personnage haut en couleur et moins clivant qu’un Hollande ou un Sarkozy, que se porte leur choix.
La naissance de Victoire Passage
Le personnage de Victoire Passage prend forme : la jeune femme sexy et naïve est une fille à papa et, surtout, elle ne comprend rien au discours de Mélenchon. Ce qu’elle aime chez le candidat, ce n’est pas son programme (qu’elle n’a d’ailleurs pas lu !), c’est son « flow », elle l’affirme dès les premières notes de la chanson. L’idée est de ne surtout pas tomber dans la moindre politisation du clip. Si ce clip est tourné au second degré, il faut tout de même qu’il paraisse crédible aux yeux des journalistes.
De vrais professionnels sont sollicités pour la création de cette vidéo : un musicien conçoit la mélodie, une chanteuse est castée pour faire la voix et un label de production réalise le clip. Il ne reste plus qu’à trouver la star de la vidéo. C’est une jeune et jolie comédienne suédoise, Rebecca Carlborn, qui est retenue. Pour créer l’effet de crédibilité recherché, les équipes de Passage Piéton vont au bout du concept : ils créent un label de production, sortent un single de la chanson, le rendent disponible sur iTunes et sur les autres plateformes. Ils prennent une attachée de presse pour Victoire Passage et peaufinent son identité numérique afin que les journalistes trouvent des traces de la chanteuse sur Internet. Ils lui créent par exemple un compte Facebook qu’ils ferment ensuite pour que les journalistes ne puissent pas voir qu’il vient d’être créé.
Un lancement bien orchestré
7 jours : c’est le temps qu’il faut à Passage Piéton pour concrétiser leur idée et mettre en ligne le clip. Les équipes choisissent Twitter pour lancer cette « bombe médiatique ». En 30 minutes, l’info explose déjà ! 200 tweets se propagent à vitesse grand V et, en l’espace de deux heures seulement, 5 gros médias reprennent l’info. Parallèlement à cela, le single est envoyé aux radios et l’attachée de presse entame son travail. Les membres de l’agence de communication se mettent dans la peau d’une jeune fille souhaitant lancer son clip et réfléchissent aux stratégies qu’elle adopterait. Comme elle a peu de moyens, elle ne peut se payer que les services les plus basiques de son attachée de presse et est obligée de faire une partie de sa promo par elle-même.
Victoire Passage, via son compte Gmail fraîchement créé, envoie donc quelques messages à une dizaine de médias. L’agence tient à ne pas faire d’emailing groupés sur 150 sites à la fois pour ne pas risquer d’être vite catalogué « opération buzz marketing » par les journalistes. Des fautes d’orthographe et des tournures maladroites sont même volontairement insérées dans les emails par les équipes, manière de prouver aux rédacteurs en chef qu’ils ont bien à faire à une jeune bimbo ! Et une collaboratrice de l’agence est désignée pour incarner Victoire Passage lors des interviews par téléphone.
Des journalistes tous piégés !
« En postant le clip sur Twitter, nous étions conscients que ça allait faire le buzz ! Mais ce qui nous a bluffés c’est le chemin que cela a pris. Nous pensions que le clip serait repris par les réseaux sociaux et quelques sites habitués à publier des vidéos insolites. Mais c’est à travers les médias classiques et sérieux qu’il s’est fait connaître » raconte Frédéric Lambert. Cette reprise massive par les médias classiques, il l’explique par le fait que la vidéo a bénéficié d’une période de creux dans la campagne au moment de son lancement. Le clip a profité également de l’avidité des journalistes ayant été un peu vexés d’avoir été rattrapés par les réseaux sociaux sur la diffusion de cette vidéo. Au final, Victoire Passage aura cumulé plus de 700 parutions dans les médias en quelques jours.
Pas un seul média en France n’a omis de diffuser le clip ! Et beaucoup de titres européens ont évoqué le sujet. Les journalistes sont tombés les deux pieds dans le plat, sans se poser de questions sur l’origine de la vidéo. Au cours d’une interview, une journaliste d’investigation du Figaro annonce tout de même : « Arrêtez tout de suite, je sais exactement qui vous êtes ! » quelques heures seulement après le lancement. Tremblement parmi les équipes de Passage Piéton… Avant de comprendre que la journaliste n’avait en fait simplement découvert que le vrai nom de Victoire Passage est Rebecca et qu’elle veut lancer un album ! Ce « scoop » diffusé dans le Figaro ne fait finalement que servir l’histoire inventée par Passage Piéton et crédibilise l’affaire auprès des autres médias.
Une information qui avait pourtant filtré
Et pourtant, sur Twitter l’information que le clip émanait de l’agence de communication avait rapidement filtré. En cause : toutes les personnes qui apparaissent dans le clip ne sont autres que les collaborateurs de l’agence. Autre indice : le refrain, répétant de manière appuyée « T’es mon passage piéton » ! Il n’y a finalement qu’un journaliste du site Pure People qui a réussi à découvrir l’implication de l’agence de communication dans ce buzz. Mais l’article ne freine pas les internautes qui sont vite plus de 2 millions à visionner le clip. Même Bouygues Télécom contacte l’agence au bout de quelques jours pour pouvoir faire de la chanson « Prends le pouvoir sur moi » une sonnerie de portable !
Des risques de fausses notes
Le buzz créé par le clip prend une telle ampleur que les journalistes commencent à se dire qu’il doit y avoir quelque chose derrière… Certains sites à tendance conspirationniste vont chercher une théorie assez inouïe : comme les premiers médias ayant sorti le clip appartiennent à Dassault et Lagardère, connus pour être francs-maçons, et que Jean-Luc Mélenchon l’est également, des journalistes en concluent qu’il doit y avoir un lien avec la loge maçonnique !
Autre polémique : certains affirment que les frais de production du clip seront déduits des comptes de campagne du Front de Gauche. Jean-Luc Mélenchon, qui se dit amusé par le clip, doit même publier un démenti à ce sujet sur son blog. Comme la rumeur enfle, et que le premier tour de l’élection n’est plus qu’à une semaine, Passage Piéton décide de révéler l’affaire, sept jours après le lancement, pour ne pas polluer le discours politique. C’est un appel de l’AFP, déterminé à savoir qui se cache derrière Victoire Passage, qui sera l’occasion rêvée pour faire ce « coming out ».
La création anticipée de l’entité digitale
« Cela aurait été trop dommage de ne pas surfer sur ce succès ! » explique le fondateur de Passage Piéton. Rapidement il prend la décision d’anticiper l’ouverture de l’entité digitale de l’agence, prévue à l’initial pour septembre. Autre décision, au lieu de s’appeler Passage Piéton Digital, cette nouvelle entité prend naturellement le nom de Victoire Passage. Manière d’associer durablement le nom de l’entité à ce buzz qui prouve la créativité des équipes.
Après la révélation du fake, l’agence communique auprès de ses clients et prospects qui apprécient l’audace de l’opération. Depuis son lancement, la nouvelle entité a d’ailleurs reçu une cinquantaine de propositions de contrat ! « Aujourd’hui l’activité explose et notre nouveau défi est de réussir à gérer toutes ces retombées ! » conclut Frédéric Lambert. Le buzz aura donc été très profitable à l’agence… et la « mélenchonophile » Victoire Passage est entrée dans l’Histoire comme un des évènements dont on a le plus parlé durant cette campagne !
Une opération pilotée en temps réel
« La clé du succès de l’opération Victoire Passage est le pilotage en temps réel que nous avons mené pour réagir immédiatement et rediriger le buzz dans le sens voulu » explique Frédéric Lambert. Les décisions ont toutes été prises en temps réel, comme cette résolution à révéler l’affaire finalement plus tôt que prévu. Plusieurs options avaient été imaginées. L’une d’entre elles prévoyait que dans l’entre deux tours, Victoire Passage se prenne finalement de passion pour un autre candidat, avec une nouvelle chanson ! Les créatifs avaient envisagé tous les scénarii possibles, surtout les pires, afin de pouvoir réagir. Trois personnes, les yeux rivées sur les réseaux sociaux et les différents médias, ont été dédiées à plein temps sur la gestion de l’affaire.