Interview de Philippe Gloaguen, Fondateur du Guide du Routard

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Comment avez-vous créé le Guide du Routard ?

J’étais étudiant à l’ESCP et je faisais des piges à gauche à droite. Le métier de journaliste me permettait de financer mes voyages ! En Inde, j’ai rencontré des français qui étaient ennuyés car ils n’avaient pas trouvé de guides de voyage en français. J’ai alors ramené d’Inde un reportage sur les petites adresses d’hôtels pas chers, les bus à prendre… face au nombre de lecteurs qui écrivaient pour avoir des renseignements sur le pays, j’ai décidé d’écrire un guide de voyage. Le Guide du Routard est né sur un hasard !

Comment les maisons d’édition ont-elles perçu votre guide ?

Il a été refusé par 19 maisons d’édition ! Nous étions en 1973, c’était l’après-68 et les éditeurs avaient peur du ton libertaire du Routard. Le directeur de Plon est encore furieux de la décision de sa secrétaire de ne pas nous prendre quand il voit les chiffres que nous faisons ! Dans le hit parade de l’édition française, nous sommes la première collection. Le Routard c’est chaque année en termes de ventes l’équivalent de 6 Goncourt !

On vous refusait votre guide partout. Comment faisiez-vous pour continuer à y croire ?

Déjà j’avais un avantage, j’étais encore étudiant et j’habitais chez mes parents donc je ne souffrais pas trop du manque d’argent. J’ai finalement trouvé un éditeur qui a accepté mon bouquin, mais qui s’est fait peu de temps après écraser par un bus ! C’est finalement le groupe Hachette qui est venu vers moi car il avait compris que ces guides correspondaient aux nouveaux besoins des voyageurs. Les charters étaient arrivés en France en 1967 et on assistait aux débuts du tourisme économique.

Aujourd’hui le Guide du Routard c’est à la fois une collection papier et un site Internet. Les deux ne se font pas concurrence ?

En 2002, j’ai lu une interview d’Arnaud Lagadère qui disait vouloir investir dans un projet Internet. J’ai alors pris rendez-vous avec lui pour lui présenter un business plan du futur portail Internet du Routard. Il a dit banco ! Et aujourd’hui c’est un site qui fait aux alentours de 2 millions de visiteurs uniques par mois. Le site donne des idées de voyages, des petits conseils. C’est une sorte de teasing qui donne envie aux voyageurs d’en savoir plus et d’acheter le guide.

Vous avez diversifié votre offre depuis quelques années je crois ?

Oui, nous avons commencé à nous diversifier lors de la crise du golfe. Le Guide marchait moins bien car les gens ne voyageaient plus autant. Nous avons alors réalisé des guides commandés par des musées ou par des conseils régionaux. Nous faisons aussi des guides économiques comme le Guide de la création d’entreprise que nous éditons chaque année.

Pourquoi faites-vous ces guides économiques justement ?

Un jour je me suis dit que ça faisait des années que j’envoyais les jeunes en vacances et qu’il fallait que je fasse des choses un peu plus sérieuses pour eux ! J’ai voulu à travers ces guides aider un peu les jeunes dans leurs démarches, notamment auprès des banques. J’ai créé plusieurs entreprises et j’ai passé ma vie endetté à quémander de l’argent aux banques. Mais je n’ai jamais eu de problèmes avec les banques même si avec les banques il faut quasiment faire de la drague !

Vous avez dit que vous espériez que deux gamins viennent vous détrôner avec une idée géniale ! Expliquez.

Oui, j’ai vu des jeunes qui avaient l’air de rien mais qui ont eu des idées géniales. Un jour par exemple j’ai dit à mon réparateur informatique que je le trouvais très doué qu’il devait se mettre à son compte. Quelques temps après, il a cofondé Caramail et l’a revendu pour quelques millions ! Ça fait des années que le Routard est au top des ventes. J’en suis fier mais je suis surpris et presque déçu que rien ne se passe, que personne n’ait levé le petit plus doigt pour détrôner le Routard ! Quand j’ai vu que la crise avait mis les villes « low-cost » à la mode, je me suis dit que des gens allaient sortir des guides sur le sujet. Il y avait un vrai créneau à prendre. Alors j’ai attendu pour voir. Et comme au bout d’un an il n’y avait toujours rien, et bien je me suis dit ok, c’est moi qui vais les faire alors ! Et ça a fait un carton !

Vous avez eu des problèmes à l’international avec le Guide du Routard je crois ?

Oui, par exemple au Québec j’ai été victime d’une campagne de presse très violente contre moi car nous avions eu le malheur de dire que leur cuisine était rustique, que c’était de la cuisine de bûcheron. Or chez eux, bûcheron est synonyme de marginal violent et violeur ! Sinon le Guide du Routard est interdit dans plusieurs pays comme la Chine ou la Tunisie dans lesquels je suis moi-même interdit de séjour. Nous plaçons dans chaque guide un chapitre sur les droits de l’homme ce qui n’est guère au goût de certains dirigeants.

Vous êtes personnellement engagé pour le respect des droits de l’homme ?

Oui, j’ai notamment ouvert avec ma femme et une vingtaine de copains un orphelinat et une école hôtelière au Cambodge. Nous proposons à des enfants des rues et à des jeunes prostituées qu’on rachète à leurs macs un enseignement gratuit pour les former à un métier.

Les 3 conseils

  • Allez-y ! Parce qu’il est plus grave d’avoir du remords que d’avoir un échec. J’ai eu plus d’échecs que d’autres car j’ai tenté plus de trucs que d’autres. Je me suis rendu compte que les personnes qui connaissent de vraies réussites sont aussi celles qui entreprennent. Quand ça marche, ils sont très contents et quand ça ne marche pas, ils oublient. C’est un vrai état d’esprit, c’est l’optimisme.
  • N’oubliez pas que la création d’entreprise c’est un vrai bonheur ! J’ai sorti un guide Junior à Paris sur le dos duquel, au lieu de mettre en photo mes collaborateurs comme je le fais habituellement, j’ai mis leurs enfants. Ça a été un déclic : je me suis rendu compte que grâce au Routard tous ces enfants pouvaient vivre, manger. Ça me rend vraiment heureux !
  • Notez tout. J’ai une réputation d’homme très sérieux et fiable car je n’oublie jamais rien. Quand je promets une chose, elle sera toujours faite. Mais j’ai un truc : pour ne rien oublier, je note tout, absolument tout !

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