Isabelle Weill est cofondatrice et directrice générale déléguée du groupe CCM Benchmark. Elle revient sur son parcours et l’évolution de sa société, véritable success-story médiatique à la française.
Quel a été votre parcours avant de créer CCM Benchmark ?
J’ai fait mes études à l’école Sup de Co à Reims. J’ai ensuite eu la chance de travailler dans la presse à la sortie de mes études pour le lancement d’un titre. À l’époque, l’hebdomadaire Le Point créait un nouveau magazine dédié à la maturité active. J’ai vécu une belle aventure au milieu de nombreux rédacteurs en chefs et journalistes pendant un peu plus d’un an. Mon parcours s’est progressivement structuré autour du monde médiatique et commercial. J’ai travaillé successivement en régie publicitaire, sur TF1 puis sur Canal+ et à l’AFP en tant que directrice commerciale pendant 4 ans. J’ai progressivement élargi ma connaissance globale de l’économie des médias, notamment sur le secteur des portails internet et sites spécialisés. Mon aventure entrepreneuriale n’a débuté qu’en janvier 2007.
Pourquoi vous êtes-vous lancée ?
Je me disais souvent : « Un jour, j’aimerais bien créer ma boîte ! ». C’est quelque chose dont j’avais envie. Tout au long de mon parcours professionnel, j’ai travaillé au sein de grosses structures, dans lesquelles il est facile de se laisser porter par le poids de l’entreprise. Lorsque nous œuvrons dans des activités très commerciales, il est tout à fait envisageable de réaliser ses tâches comme si elles comptaient pour votre propre entreprise. En quelque sorte, j’ai toujours été intrapreneure. J’ai attendu patiemment avec cette petite idée en tête, car il faut que toutes les conjonctions soient réunies pour se lancer. Ce n’est pas si facile.
Comment a débuté l’aventure CCM ?
Au moment où j’ai quitté l’AFP, j’ai pris le temps de réactiver mon réseau. En octobre 2006, j’ai notamment déjeuné avec Benoit Sillard qui était à l’époque délégué interministériel en charge du développement de l’Internet en France. Il m’a avoué qu’il se préparait à un changement d’équipe en vue des élections présidentielles de 2007 et qu’il cherchait éventuellement un projet, une idée pour se lancer. Quinze jours plus tard, il me rappelle et m’explique qu’un de ses collaborateurs, Jean-François Pillou, quitte son équipe pour se consacrer entièrement au développement de son site Internet : commentcamarche.net. Bien sûr, à l’époque, le site était totalement inconnu au bataillon, mais il avait acquis une audience très correcte. Il avait rapporté l’équivalent de 150 000 € sur les 18 derniers mois. Nous nous sommes rencontrés tous les trois et nous avons travaillé sur ce que pourrait être une entreprise commune et les actions qu’il fallait mener. Nous nous sommes associés et nous avons démarré en janvier 2007, à trois dans un bureau. D’un site plutôt « geek », nous avons réalisé un portail Internet à forte audience. Nous nous sommes employés à le positionner sur le marché, à le relooker et à diversifier le contenu sur différentes thématiques. Petit à petit, la mayonnaise a pris et nous l’avons lancé en cinq langues, ce qui n’était pas une mince affaire.
Quel type d’entrepreneure êtes-vous ?
L’audace est une de mes valeurs principales dans la vie, c’est vrai. Je dis souvent : « le ‘‘non’’, vous l’avez dans la poche, allez donc chercher le ‘’oui’’ ! ». Cela résume assez bien mon état d’esprit. Il faut avancer, faire des efforts pour obtenir ce que l’on souhaite. Je dirai également que le management fait partie intégrante de mes qualités d’entrepreneure. Très tôt, j’ai managé des personnes plus âgées que moi. À 23 ans, je me suis retrouvée dans un bureau avec une assistante de 50 ans, ce qui a forcément des conséquences sur la manière de s’organiser dans le travail. Nous disons souvent que la génération Y est immature, mais je crois que nous ne mettons rien en place afin de les aider à mûrir. Ils sont parqués dans des grands espaces entre eux alors que prendre des responsabilités très jeune, c’est un véritable atout pour son aisance dans la vie professionnelle !
Vous avez racheté le groupe Benchmark en 2010. Quel tournant cela a-t-il représenté dans votre parcours ?
L’entreprise est entrée dans une autre dimension. Nous comptions 12 collaborateurs et nous avons racheté une société de 150 personnes ! Autant vous dire qu’il a fallu trouver des fonds afin d’effectuer ce rachat. Même si nous étions rentables, cela valait une certaine somme. De mi-mai à fin août, nous avons cherché des fonds et nous avons finalement emprunté 20 millions d’euros sur nos trois têtes, le tout sur quatre ans. Dans un second temps, il nous a fallu transformer la culture de l’entreprise et ce n’est pas si facile quand vous avez l’habitude de travailler en petit comité. Quatre de nos collaborateurs sont d’ailleurs partis, car ils ne se sont pas retrouvés dans la nouvelle structure, ils préféraient travailler dans un esprit start-up où tout va plus vite. Au contraire, Benoît, Jean-François et moi avions effectué l’ensemble de notre parcours professionnel dans de grosses structures. Nous nous sommes adaptés plutôt facilement.
Près de 20 millions de visiteurs uniques, 8e groupe Internet français… Quelle est la recette pour mener un média à ce niveau là ?
Pour être dans le Top 10, il existe plusieurs critères à respecter. D’abord, réaliser un travail de tous les instants quant au suivi et à l’analyse des sujets qui intéressent les internautes. Il faut être proches de leurs centres d’intérêt, c’est capital. Nous faisons travailler environ 80 rédacteurs répartis dans les différents sites du groupe, en fonction de leur spécialité. Ensuite, il faut effectuer un bon arbitrage entre le contenu chaud et le contenu froid. Enfin, posséder une technologie de pointe et un savoir-faire en matière de SEO (Search Engine Optimisation) est indispensable.
Aujourd’hui, avec le recul, quel regard portez-vous sur votre parcours ?
Je n’ai aucun regret ! Je suis fière de la réussite du groupe. Avant de se lancer dans l’entrepreneuriat, un porteur de projet se demande toujours s’il va en être capable. Bien sûr, c’est plus facile en ayant une grande entreprise derrière soi, les portes s’ouvrent plus facilement quand vous passez un coup de téléphone ou que vous contactez quelqu’un. Mais vous ne savez pas si le contact est facilité grâce à vous ou bien grâce à la structure que vous représentez, c’est assez frustrant. À mon sens, entreprendre rend humble et en même temps fier, car vous vous dites que vous êtes capable de réaliser de belles choses. Parvenir à s’imposer sur un marché en étant initialement inconnu au bataillon et sans le soutien d’actionnaires aux poches profondes, c’est plutôt satisfaisant.