Interview de Dominique Brogi, Présidente de Meetphone

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Rencontre avec la dynamique Dominique Brogi, dirigeante au parcours atypique. Originaire de Madagascar, elle a vécu de voyages et d’entrepreneuriat, avant de prendre la présidence de la société technologique Meetphone en 2012.

Racontez-nous votre parcours personnel avant votre entrée dans le monde professionnel.

J’ai entamé une formation en BTS « commerce international » en 1983, que j’ai abandonné en cours de deuxième année parce qu’une entreprise en Angleterre m’a fait une proposition d’embauche. C’est ainsi que j’ai commencé à travailler dans le secteur de l’impression d’emballages. Pour faire plaisir à ma mère, je suis revenue passer mon BTS en candidate libre l’année suivante. Un an plus tard, j’ai atterri au Canada car une société m’avait repérée en raison de ma très bonne pratique de la langue anglaise et de mon esprit curieux et passionné pour le monde des affaires. Ce dirigeant y a vu des atouts fondamentaux pour son entreprise. J’ai traversé l’Atlantique à 21 ans avec une petite cantine, mes assiettes, mes couverts, mon jeu de draps, un oreiller… Et j’ai commencé mon parcours sur ce nouveau continent !

C’est ce challenge de l’inconnu qui a fait de vous une dirigeante énergique aujourd’hui ?

Je viens d’une famille de français d’Outre-Mer, arrivés en France lorsque Madagascar a commencé à marcher vers l’indépendance. J’avais 3 mois et j’ai grandi dans une famille déracinée. Il m’a fallu trouver ma voie, faire mon chemin seule. Je dois ma force de caractère à cet environnement, combiné à l’héritage du tempérament de mes parents entre une mère débordante d’énergie positive et un père travailleur forcené.

Depuis toute jeune, l’attrait de l’inconnu a été un moteur puissant dans mes choix de carrière et de vie, de même que la détermination à faire face aux épreuves ! Pensez qu’à l’époque, il n’y avait pas du tout les mêmes facilités d’interaction et de communication : pas d’e-mail, pas de portable, encore moins de réseaux sociaux. Se délocaliser, s’immerger dans l’inconnu ne pouvait se faire sans un caractère téméraire et une énergie inépuisable. Ajoutez à cela ma passion de l’entreprise et mon intérêt pour les relations publiques et vous obtenez un parcours très riche qui a fait de moi une dirigeante énergique.

D’où vous vient cette passion de l’entreprise justement ?

Depuis toute jeune, j’ouvre grands mes yeux, mes oreilles, je suis très attentive à tout ce qui se passe autour de moi et je mène une réflexion permanente sur la façon d’apporter des solutions pragmatiques aux problèmes que je rencontre. Je suis entrepreneure dans l’âme. L’entrepreneuriat, c’est quelque chose qui s’est naturellement imposé à moi, d’où ma conviction que l’on ne devient pas entrepreneur, on naît entrepreneur ! J

Je dois tenir cela de mes parents : mon père, commerçant, était un travailleur acharné qui ne comptait pas ses heures. Il avait une journée « off » par semaine et il considérait cela comme ses vacances ! Ajoutez à cela l’énergie de ma mère et cela donne un mélange explosif ! Je suis convaincue qu’il existe deux formes d’entrepreneurs : ceux qui, en sortant de grandes écoles, prennent des postes à responsabilités au sein d’entreprises et évoluent dans des chemins de carrières où ils deviennent dirigeants, et ceux qui, comme moi, portés par ce moteur fait de curiosité, de compétences, de courage face aux challenges et d’un tempérament de leader savent saisir les opportunités pour développer et renforcer une culture entrepreneuriale.

Quel a été votre parcours à partir de 1987 ?

J’ai immigré à Montréal pour travailler dans le domaine de l’impression d’emballages, pour le compte d’une entreprise qui s’appelait Mécanabec. Ayant rempli leur carnet de commandes, cette société m’a transféré chez un de leurs confrères, Rotoflex, qui m’a successivement délocalisée à Toronto, puis en Allemagne pour l’ouverture de leur siège européen, puis sur Paris pour créer leur bureau en charge des marchés français, italiens espagnols et portugais. Détachée d’une société étrangère, j’ai créé ce bureau dans un statut d’agent isolé.

Concrètement, cela signifie que j’étais impliquée dans chaque étape de la vie d’une entreprise : déclarations URSSAF, volets juridiques, comptables, commerciaux, etc. Cela m’a forcément mis le pied à l’étrier de l’entrepreneuriat ! En octobre 1989, j’ai créé ma première entreprise, intitulée Meghan Systems, à la demande de mes clients qui ne voulaient pas s’embarrasser des formalités d’importation de produits et de recherches de fournisseurs étrangers. Je l’ai gardée 5 ans, avant de reprendre un poste de Vice-Présidente chargée des ventes internationales chez Arpeco, à Toronto.

Un poste que vous avez quitté fin 1997. Pourquoi ?

J’avais 32 ans et l’avion était littéralement devenu ma maison ! Même si ma vie professionnelle restait très riche, ma vie personnelle passait au second plan. Lorsque j’ai exprimé mon souhait de changement, j’ai été approchée par plusieurs cabinets de recrutements nord-américains mais leurs offres signifiaient la même vie de voyages permanents à l’international, ce que je ne voulais absolument pas. Je me suis interdit toute continuation dans ce secteur pratiqué pendant 13 ans. Puis, j’ai fait mes premiers pas dans le monde des nouvelles technologies. J’ai rejoint la société LMSoft à Montréal, qui avait sorti un produit multimédia concurrent direct à PowerPoint ! Autant vous dire que mon rôle a été de démontrer au board d’actionnaires la non viabilité de l’entreprise et je suis rentrée à Paris fin 1998.

Et vous y avez trouvé un emploi ?

Pas du tout, au contraire ! Personne n’a voulu de moi malgré mes 13 ans d’expérience professionnelle… Je suis revenue en France avec des preuves concrètes de succès, des croissances à deux chiffres sans les sacro-saints diplômes de grandes écoles nécessaires pour être considérée. Je n’ai été reçue par aucun chasseur de têtes. Il s’agit d’un syndrome français… Aux états-Unis si vous ne bougez pas au-delà de 2 ans dans un poste, on vous pousse vers la sortie car vous démontrez un manque d’intérêt ! La France a trop longtemps fonctionné sur des principes qui ont fermé les portes à des tas de talents. Néanmoins, aujourd’hui, les choses changent. L’auto-entrepreneuriat est de mieux en mieux valorisé, de plus en plus de gens se lancent sans études, quitte à se former à côté pour comprendre la comptabilité et la gestion.

Comment avez-vous rebondi ?

J’ai retrouvé un emploi en intérim grâce à ma maîtrise de l’anglais. Une société m’a fait passer un examen de trader. J’ai détesté ce poste, que j’ai occupé pendant une petite année, mais cela m’a permis de lever un capital pour redevenir mon propre patron, loin de la France. Initialement, j’ai voulu reprendre une entreprise au Québec mais les affaires en vente demandaient des capitaux bien supérieurs à mes moyens ! En revanche, j’ai commencé à regarder des offres de rachat sur les Dom-Tom, Nouméa et Tahiti. Avec deux associés, nous avons décidé de racheter une distillerie artisanale à Tahiti et je me suis à nouveau exilée en mars 2000.

Racontez-nous cette nouvelle aventure.

Avec le recul, je pense qu’il s’agit de ma plus riche aventure entrepreneuriale. Là-bas, tout est un challenge. Si vous avez besoin de cartons pour emballer vos produits, il faut les acheter en palettes en provenance des îles Fidji… Mais sur le plan humain, vous n’imaginez pas la richesse que cela vous apporte d’être celui qui fait vivre des familles polynésiennes, allant jusqu’à s’en occuper dans leur quotidien. J’ai développé cette entreprise, qui s’appelait Ava Tea Distillation, pendant 5 ans. Nous sommes montés à 10 collaborateurs.

J’ai revendu cette distillerie à l’entreprise Brapac, société de négoce très implantée sur le territoire, en octobre 2005. Je ne partageais pas vraiment leur vision, plus mercantile que la mienne, donc je ne suis pas restée dans l’aventure. Ils ont acheté la majorité des actions ainsi que la valeur de mon pacte d’actionnaire. Après cette expérience, je suis devenue consultante au service d’entreprises polynésiennes sur des sujets phares : cosmétologie, tourisme et perle. J’ai participé au développement économique de la Polynésie en Amérique du Nord, en me partageant entre Los Angeles et Tahiti. Et tout s’est arrêté fin 2010, avec ma décision de rentrer en France.

Comment a débuté l’aventure Meetphone ?

Courant 2012, l’un des actionnaires m’a demandé de procéder à un audit de cette société créée 2 ans plus tôt. Cet audit a révélé de graves failles de gestion et de conduite de projet. J’en ai pris la présidence en août 2012 dans le but de faire rebondir une entreprise en difficultés ! Je vous assure que c’est bien plus compliqué que de donner naissance à son idée d’entreprise. Il m’a fallu entrer de plein fouet dans ce monde survolté du numérique et des technologies mobiles, ce qui n’avait rien de simple non plus.

Le premier défi a été de créer en octobre 2013 un réseau social d’entraide et de proximité sur application mobile : FabTown. L’idée était bonne mais nous n’avons pas trouvé le modèle économique associé. à partir de là, j’ai eu l’idée de construire des solutions professionnelles de communication B to B to C sur applications mobiles, qui permettent à l’émetteur d’amener à son public des réponses immédiates et pragmatiques à des besoins identifiés dans son domaine d’activité. In fine, c’est aussi un outil puissant pour renforcer du lien de proximité. Nous avons ainsi sorti fin 2014 la « fabFamily », qui comporte les solutions FabGroup pour les associations, Fabcare spécialement dédié aux associations de patients, FabCorp pour les entreprises et FabVille une application citoyenne pour les collectivités territoriales. En septembre dernier, nous avons levé 2 millions d’euros auprès d’investisseurs privés.

Votre parcours professionnel aurait-il été différent si vous aviez eu des enfants ?

Sans aucun doute. Suite à une opération ratée, j’ai appris à 26 ans que je ne pourrai jamais être maman. Cet événement a clairement changé mon parcours. De femme mariée qui se voyait dans une vie plus traditionnelle où je voulais planter des racines et construire une famille,  j’ai reporté mon énergie sur la création et la reprise d’entreprises. Si j’avais eu des enfants, j’aurai certes continué d’être une chef d’entreprise car on ne change pas un tempérament, mais je n’aurai jamais opté pour une carrière internationale faite de délocalisations permanentes.

Comment vous voyez-vous dans 10 ans ?

à titre professionnel, j’espère que je serai arrivée à faire de Meetphone une entreprise solide, génératrice d’emplois et de forte rentabilité, en la positionnant comme un acteur incontournable dès qu’il s’agit de communication, d’applications mobiles et d’objets connectés. L’innovation et le changement d’usage prennent du temps, la technologie est fortement consommatrice de trésorerie, l’univers du numérique est impitoyable en terme de concurrence… C’est donc un vrai challenge ! à titre personnel, j’aimerais avoir toujours la même créativité et rester à l’écoute de mon environnement. Et dès à présent, je vais me forcer à prendre plus de temps pour moi, car la vie file à une vitesse incroyable et être entrepreneur, c’est vivre et dormir avec son ordinateur. à un moment, il faut savoir profiter et personne d’autre que vous-même n’a la capacité d’orchestrer cela !

3 Conseils de Dominique Brogi

  • Faire preuve d’écoute et d’humilité, en fonction de l’âge que vous avez et de l’expérience dont vous disposez.
  • Savoir s’entourer. Avoir autour de vous des collaborateurs qui vous font confiance est une merveilleuse récompense.
  • Soyez énergique, ne comptez pas vos heures, foncez dans votre projet ! Il faut avoir de la pugnacité et le courage de ses opinions !

« Etre entrepreneur, c’est vivre et dormir avec son ordinateur. à un moment, il faut savoir profiter et personne d’autre que vous-même n’a la capacité d’orchestrer cela ! »

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