Interview de Ahmed Mhiri, Fondateur TravelCar

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Après 4 ans d’activité, TravelCar (anciennement TravelerCar), pionnière de la location de voitures entre voyageurs, connaît déjà le succès avec près de 250 000 utilisateurs. Son fondateur, Ahmed Mhiri, nous livre les secrets de cette réussite. Rencontre.

Pourquoi vous êtes-vous lancé dans l’entrepreneuriat ?

J’ai quitté la Tunisie pour venir m’installer en France, il y a une dizaine d’années de cela et faire un master spécialisé en sécurité informatique. Je voulais changer de pays et découvrir autre chose. En travaillant, je me suis rapidement rendu compte que ma passion pour l’entrepreneuriat devait se conjuguer avec l’économie collaborative. Il s’agit de quelque chose que j’avais envie de faire, mais je n’osais pas franchir le pas et me lancer. Il faut dire qu’à l’époque, j’avais déjà un très bon poste, un bon salaire et de très bonnes conditions de travail.

J’ai occupé notamment les postes de chef de produit, responsable sécurité des systèmes informatiques… Je suivais en parallèle l’activité de l’écosystème entrepreneurial en allant à des conférences notamment. J’avais le travail de mes rêves et tout ce que je souhaitais avoir en tant que salarié. Malgré cela, j’ai compris que cela ne constituait pas ce que je voulais réellement faire. J’avais pour projet de lancer quelque chose de plus grand. En 2012, j’ai pris la décision de partir sans idée précise mais je savais que, pour créer une boîte, je devais m’investir à 100 %. J’ai intégré par la suite des réseaux d’entrepreneurs, rejoint un accélérateur et rencontré des mentors dont certains sont devenus actionnaires de TravelCar. J’en garde une très bonne expérience.

D’où vous est venue l’idée de TravelCar ?

Je voyageais énormément, c’est d’ailleurs l’une de mes passions. En me lançant, j’en ai déduit que j’avais envie de créer une société dans le monde du voyage. Je voulais mettre en place un concept qui n’existait pas et qui réponde à un réel besoin. En observant mes propres problématiques de l’époque, j’ai constaté qu’à chaque fois que je partais en voyage, je faisais le choix de ne pas prendre ma voiture.

Pourquoi ? Parce qu’autrement, celle-ci siège dans le parking de l’aéroport et cela coûte très cher. Je trouvais aberrant que le parking coûte parfois plus cher que le billet d’avion lui-même ! Face à ce constat, je me suis dit : si je parviens à louer la voiture des personnes qui partent en voyage durant leur absence, cela leur reviendrait moins cher que de la laisser au parking et ils seraient satisfaits. Et pour ceux qui louent la voiture, cela leur serait moins coûteux par rapport au service traditionnel de location de véhicules. De là, m’est venue l’idée de TravelCar.

Pourquoi ne pas s’être limité au simple modèle collaboratif ?

Le collaboratif devenait naturel, cela faisait déjà partie du comportement des consommateurs. Mais dans le cadre du voyage, il fallait beaucoup plus qu’une plateforme de mise en relation parce que lorsque l’on part en voyage, on n’a pas le temps de gérer tous les détails. La probabilité qu’une personne choisisse de louer une voiture au même moment que quelqu’un parte en voyage est infime, ce qui implique énormément de contraintes. Pour que l’idée fonctionne, il fallait un modèle hybride qui apporte non seulement cette plateforme web mais aussi un service clés en main où le voyageur n’a qu’à déposer sa voiture à l’aéroport. TravelCar s’occupe du reste.

Pour le propriétaire, l’avantage est qu’il ne paye pas le parking lorsque sa voiture est louée. On est même allé encore plus loin dans notre proposition de valeur : même si la voiture n’est pas louée, le parking reste gratuit à partir du moment où le propriétaire accepte le partage. Et si celle-ci est louée, il touche de l’argent, dont le montant varie en fonction de l’usage de sa voiture. Pour moi, il était évident que, dans un marché de plusieurs milliards d’euros et avec un service moins cher que ceux généralement proposés, il y aurait preneurs.

Le projet a-t-il bien fonctionné tout de suite ?

Le développement du projet a été très rapide, sauf au niveau de la phase de lancement. La société a été créée en décembre 2012 et l’activité a commercialement été lancée en septembre 2013, ce qui est assez lent. C’était la période la plus difficile. J’étais seul, n’avais que 10 000 euros en poche et il fallait que je trouve des associés et du financement. Je devais obtenir des accords avec les premiers partenaires et développer le service ainsi que le site web. L’un de mes mentors de l’époque m’a conseillé et soutenu financièrement.

Ce fut une aide indispensable pour le développement de TravelCar depuis ses débuts. J’ai également cherché un incubateur, Oseo devenu aujourd’hui Bpifrance et j’ai obtenu un financement de 30 000 euros. Le plus complexe restait de trouver un contrat d’assurance qui couvrait l’activité, sachant que le modèle est différent, hybride, non à l’instar de celui d’un « pure player ». L’enjeu était d’imaginer un contrat avec les acteurs concernés et les convaincre que ce business model est viable. Grâce à cela, les utilisateurs de TravelCar qui partagent leur voiture sont assurés tous risques, de quoi les rassurer. Toute cette mise en œuvre a pris à peu près neuf mois.

En cours de route, vous avez remanié votre business model, pourquoi ?

En discutant avec nos clients, nous nous sommes vite aperçus que deux catégories se distinguaient. L’une ne peut pas partager sa voiture puisque nous n’acceptons pas celles âgées de treize ans et plus et ayant plus de 200 000 kilomètres, dans le cadre du partage. L’autre, se compose des personnes réticentes à l’idée de partager leur voiture, c’est-à-dire qui ne sont pas encore convaincues. Elles souhaitent en principe d’abord tester le service sans partager leur voiture, quitte à payer un parking, pour envisager par la suite la location.

Pour ne pas perdre l’ensemble de ces clients, nous avons décidé de mettre en place une offre globale. En gros, si des personnes ne peuvent pas ou ne veulent pas partager leur voiture mais souhaitent profiter du service, elles peuvent opter pour la formule payante. Moins coûteuse que le parking d’un aéroport, elle permet de tester le service en bénéficiant de ce système du parking pour qu’ensuite, si elles changent de voiture ou sont plus ouvertes au partage, elles puissent opter pour la formule gratuite contre location.

Comment voyez-vous le marché de votre secteur aujourd’hui ?

C’est un marché en pleine ébullition, qui est extrêmement riche et dense. Il y a beaucoup d’acteurs institutionnels et traditionnels qui créent un monde, des start-up qui apportent des services différents, complémentaires et innovants pour imaginer et réinventer la mobilité de demain. Je pense qu’il y a de bonnes opportunités liées à ce type de projets et d’environnement. En ce qui concerne TravelCar, il a fallu montrer de quoi nous étions capables, trouver des partenaires, louer un certain nombre de voitures par le biais de propriétaires qui acceptent de confier leur bien.

En clair, générer du chiffre d’affaires. Une fois cela fait, j’ai commencé à regarder les fonds d’investissement pour réaliser une première levée de fonds. Depuis la création de la société, nous avons levé 750 000 euros en juillet 2014, 5 millions en 2016 avec notre assurance, et en juillet de cette même année, effectué une levée de fonds avec le groupe PSA, le constructeur automobile, de plusieurs millions d’euros également.

Mis à part une passion, qu’est-ce que l’entrepreneuriat représente pour vous ?

La liberté ! Même si on est libre de rien finalement et que nous sommes constamment en train de courir dans tous les sens. Et puis surtout, quand je travaille, je n’ai pas l’impression de travailler. Le fait de réinventer un mode de consommation et d’apporter un service qui répond à une vraie problématique est, pour moi, une sensation vraiment extraordinaire. Au fond, même si je travaille quatorze heures ou seize heures par jour, je n’ai pas

l’impression de travailler mais de constamment apprendre dans un domaine qui me passionne. J’ai la chance d’avoir une très belle équipe que j’adore. Et tous les jours, c’est une nouvelle opportunité, des nouvelles rencontres avec des acteurs issus du monde du voyage.

Comment parvenez-vous à concilier vie personnelle et vie professionnelle ?

En réalité, tout est très lié. J’ai très peu de vie personnelle, et même celle-ci détient un côté professionnel ! Cela provient du fait que je fréquente beaucoup d’entrepreneurs, qui deviennent par la suite des amis. Et à l’intérieur de ma vie personnelle, on parle beaucoup d’entrepreneuriat, de projets, d’idées. Mais que cela se fasse dans le travail ou en dehors, cela reste une passion. Les seuls instants purement personnels sont ceux où je suis avec ma femme et où l’on essaie de se garder des moments où l’on ne parle pas du tout du travail, par exemple quand on part quelque part…

Comment vous voyez-vous d’ici quelques années ?

Aucune idée ! Et c’est justement pour cela que j’adore l’entrepreneuriat. Si cela était prévisible, ce ne serait pas aussi excitant. Les deux choses qui peuvent me tuer sont la répétition et l’ennui. Si je m’ennuie ou si cela se transforme en routine, je me lasse et fuis progressivement. L’entrepreneuriat fait justement que nous ne savons pas comment les choses vont évoluer. Tout peut arriver et c’est pour cette raison que j’ai choisi cette voie.

Qu’envisagez-vous pour la suite ?

Aujourd’hui, nous sommes présents au sein de huit pays en Europe (France, Belgique, Pays-Bas, Suisse, Autriche, Portugal, Espagne et Allemagne), 130 aéroports, gares et centres-villes. Notre objectif est de devenir le leader mondial. Le but est que notre service soit présent partout et que nous puissions accompagner le voyageur de bout en bout. En d’autres termes, il est question de, quand il part d’un aéroport, lui apporter une solution de parking, et, quand il arrive à destination, lui proposer une solution de location de véhicule moins chère qu’habituellement. Si nous parvenons à accompagner le voyageur de la sorte, c’est que nous avons atteint notre objectif et rempli notre mission.

4 Conseils d’Ahmed Mhiri

  • Savoir doser. Il n’y a pas de chemin identique ni de parcours pré-formaté à suivre pour réussir. Il faut savoir rester sur ses convictions, tout en écoutant les conseils pour éviter les pièges.
  • Bien s’entourer. Préférer les personnes qui nous encouragent mais pas seulement. Choisir celles avec un vrai argumentaire, une vraie réflexion et un réel retour.
  • Choisir rigoureusement ses collaborateurs. Cela reste un exercice extrêmement difficile. Il ne faut pas hésiter à rencontrer les gens plusieurs fois, poser les bonnes questions, sans aller trop vite.
  • Ne pas rester sur ses acquis. Sortir de sa zone de confort et oser se mettre en difficulté pour apprendre davantage. Ne pas hésiter à changer de direction si cela s’avère profitable.

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