Femme et entrepreneuriat

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Les femmes entreprennent moins que les hommes en France. Ce contraste n’engage pas seulement la question des discriminations dont les entrepreneures sont victimes tant au fil de leur éducation et, par voie de conséquence, dans leurs comportements entrepreneuriaux qu’au travers des barrières qu’elles affrontent entre autres lorsqu’il s’agit d’accéder aux crédits, aux conseils et aux réseaux (Orhan, 05; Verheul, 05).

Les causes d’un entrepreneuriat plus masculin

Si les femmes entreprennent moins que les hommes, c’est aussi que les indicateurs de performances entrepreneuriales sont encore très centrés sur des modèles masculins en France et dans de nombreux pays développés (Watson and Newby, 05). La dernière grande étude française portant sur l’Entrepreneuriat féminin date de 2000 (Ducheneau et Orhan). Un questionnaire – 238 questions – a été adressé à 6000 entrepreneures ; 400 réponses ont pu être exploitées et 29 entretiens qualitatifs ont permis de compléter l’étude quantitative. Comme cette enquête compare systématiquement population masculine et population féminine (sans étudier les contrastes au sein de la seule population féminine ou au sein de la seule population masculine), ses conclusions donnent l’impression qu’il existe un seul vrai modèle d’Entrepreneuriat, à savoir le modèle masculin, les autres modèles possibles constituant des catégories exotiques non des catégories fort utiles pour renouveler la culture entrepreneuriale et redynamiser l’esprit d’entreprendre en France.

Un rattrapage progressif

Depuis 2000, les femmes ont commencé à rattraper leur retard du moins dans le domaine de la création d’entreprise. Elles représentent près de 40% des créateurs en 2006 (GEM) contre à peine 30% en 2001. La volonté de croissance qu’elles impriment à leur projet entrepreneurial fait cependant encore problème. En 2005, Annie Fouquet souligne que les patronnes de plus de 10 salariés ne représentent que 13,2 de la population entrepreneuriale totale (tableau, p.46). Elle invite également les spécialistes à se méfier de certains chiffres qui comptabilisent dans le nombre de chef d’entreprise féminin les travailleuses indépendantes y compris les professions libérales; sans elles, les femmes représentent 20,8% de la population entrepreneuriale française totale.

Dans ce contexte, les chiffres fournis par l’INSEE/SIRENE en 2000 nous permettent d’affiner les analyses de Ducheneau et Orhan; on relève en particulier que :

  • Les entreprises dirigées par les femmes sont plus petites que celles des hommes
  • (1 à 10 salariés en moyenne).
  • Les entrepreneures sont nettement plus présentes dans les services.
  • Les entrepreneures choisissent plus souvent que les hommes comme structure juridique l’entreprise individuelle.
  • En 2000, le CA global des entreprises dirigées par des femmes est de 300 millions d’euros soit 21% du CA total des entreprises françaises.

L’accession des femmes à l’Entrepreneuriat

1. Deux types de motivation guident les femmes françaises pour créer (Brush, 92 ; Daily, Certo and Dalton, 99 ; Chandler and Jansen, 00) :

  • La recherche d’indépendance sans recherche de développement dans un contexte de substitut au salariat. Cette approche résulte de divers facteurs : insatisfaction dans le travail, difficulté à trouver un emploi satisfaisant, recherche de flexibilité d’emploi du temps.
  • La recherche de développement. Ce type d’approche résulte de divers facteurs : besoin d’accomplissement personnel, besoin d’avoir une mission sociale, recherche de statut social ou de pouvoir.

Concernant ces deux dynamiques de création, aucune étude comparative d’envergure, prenant en compte les contrastes générationnels et sectoriels n’a été encore réalisée en France.

2. Au sein de la population guidée par la recherche de développement, on observe les qualités suivantes.

Elles sont encore trop calquées sur les modèles masculins tels qu’ils ont été dégagés par Mc Clelland et repris en grande partie par Aldrich et Minnitti (voir les études de Friedman et Rosenman, 74; Ducheneaut et Orhan, 00) :

  • goût de la compétition permanente avec soi-même (35% des entrepreneures concernées) ;
  • sens de l’indépendance (29%) ;
  • besoin d’accomplissement personnel (23%) ;
  • goût d’entreprendre et de diriger (sens du leadership ; pouvoir de contrôle interne ; prise de risque) ;
  • recherche de profit ;
  • besoin de se donner une mission sociale ;
  • besoin d’obtenir un statut social et le pouvoir ;
  • obligation de reprendre le flambeau familial.

Comportements entrepreneuriaux féminins et facteurs agissant sur ces comportements

D’après les enquêtes d’Olson et Currie (89), Carland and Carland (95), et Sonfield, Lussier, Corman, et McKinney (01), Gundry et Ben-Joseph (04), on a très tôt noté chez les femmes entrepreneures les traits de comportements suivants en terme de management :

  • L’attention aux autres et l’écoute; cela induit des relations plus humaines et une façon de penser l’entreprise comme une entité sociale en contact attentif avec les clients
  • Un équilibre réfléchi entre intuition et raisonnement dans les prises de décision.
  • La recherche du consensus avant la prise de décision, intégrant l’avis et recourant aux compétences de qui est concerné en opposition aux stratégies de décision autocratique
  • L’attention aux détails
  • La relativité vis-à-vis de la réussite professionnelle toujours remise en perspective avec la vie privée
  • Le manque de confiance en soi et l’appréhension du risque

Différentes thèses sur le sujet

La thèse de Candida Brush (92) démontre que les femmes considèrent leur entreprise comme un ensemble de réseaux coopératifs de relations intégrant les relations d’affaires aux relations personnelles, familiales, sociétales, l’entreprise n’étant qu’une partie constitutive mais indissociable de l’ensemble des activités de la femme entrepreneur. Cette thèse est confirmée par l’anthropologue Helen Fisher dans son analyse des compétences managériales spécifiquement féminines (99) .

Prue Cruishank (04) étudie l’usage que les entrepreneures néo-zélandaises font de leur capital social et confirme l’existence de process managériaux et entrepreneuriaux spécifiques aux femmes.

Il est clair que ces comportements sont en train de devenir aujourd’hui le fait de tous les acteurs du management entrepreneurial (via l’approche systémique croisée de réflexions sur le genre). Ces études nous incitent à relancer d’autres enquêtes pour savoir si les femmes chefs d’entreprise n’ont pas déjà élaboré des stratégies managériales qui permettraient de mieux gérer l’entrée dans une société performante de l’information, de la recherche et de la veille économique. Il semble également que les femmes savent mieux que leurs homologues masculins recruter des profils créatifs et entrepreneuriaux et s’entourer de compétences et de profils plus diversifiés qui leur permettent d’être à la pointe de l’innovation.

Les tendances de la recherche internationale en matière l’Entrepreneuriat féminin : 11 questions majeures

Dans un article faisant le point sur les 30 dernières années de recherche en matière d’Entrepreneuriat féminin, Lisa Gundry et Myriam Ben-Yoseph abordent 11 questions majeures à ce propos :

  1. Le statut de la femme entrepreneur (le nombre d’entrepreneures et son évolution d’année en année; leur importance en CA, nombre d’employés, le dynamisme de leurs entreprises)
  2. Les secteurs d’activité économique dans lesquels elles évoluent
  3. Les caractéristiques de ces entrepreneures et de leurs entreprises (avec un appel à mener davantage d’études comparatives au sein de la seule population féminine et de la seule population masculine; voir à ce propos l’étude de Cruickshank et Rolland sur l’usage que les entrepreneures néo-zélandaises font de leur capital social)
  4. Les modes d’accès et les motivations qui mènent à l’entrepreneuriat (voir à ce propos l’étude sur les créatrices de start-ups israéliennes de Sibylle Heilbrunn, 04)
  5. Les difficultés de financement et de crédibilité rencontrées par les entrepreneures pour créer et développer leurs entreprises (Greene, Brush, Hart, Saparito, 01)
  6. Les facteurs qui influencent les stratégies de croissance des entreprises dirigées par des femmes (voir les recommandations en ce domaine de Starr et Yudkin dès 1996 ; voir aussi Kim and Mauborgne, 97 et Kamau et ali, 99; Harveston et ali, 96 traitent des problèmes de financement pour les femmes en cas de transmission)
  7. Les entrepreneures minoritaires, leurs besoins spécifiques, leurs liens avec la communauté entrepreneuriale et leurs apports en terme de valeurs et d’innovation (Sonfield, 01; Rogers, Gent, Palumbo, and Wall, 01; Chaganit and Greene, 02)
  8. Le développement des formations à l’Entrepreneuriat tournées vers les femmes et les interactions avec des formations qui ont été essentiellement dessinées pour des publics masculins (voir en particulier les critiques adressées par Candida Brush au système de formation des femmes entrepreneurs à Harvard, 97 et l’analyse de l’originalité de l’offre de Columbia College en Caroline du Sud réalisée par Gundry et ali, 02)
  9. L’originalité des interactions entre vie privée et vie professionnelle que réalisent les entrepreneures et leur impact sur les performances de l’entreprise (Stoner, Harman, and Arora, 90 donnent une vision pessimiste de la question; pour voir des conclusions plus optimistes, se référer à Gundry and Ben-Yoseph, 98 et Ufuk and Ozgen, 01)
  10. Les spécificités féminines dans la détection et la concrétisation d’opportunités (surtout dans les services à l’industrie, voir Kuratko et Hodgetts, 04; voir aussi Hofman, 00)
  11. Les défis à relever par les entrepreneures pour internationaliser leurs entreprises.

Les préconisations de Renaud Redien-Collot

Pour prolonger la réflexion internationale sur l’Entrepreneuriat féminin, je préconise 7 thématiques de recherche qui engagent directement les pouvoirs publics :

  • Les femmes françaises entrepreneurs en chiffres et leurs secteurs d’activité
  • Le mode d’accès à l’entrepreneuriat et les chances de pérennisation des entrepreneures
  • Les entrepreneures et leurs entreprises : valeurs, styles de management, communication, alliances inter-entreprises (études comparatives H/F et F/F des minorités)
  • L’équilibre vie professionnelle/vie privées des femmes chefs d’entreprise : une source d’inspiration pour demeurer créatives
  • Les entrepreneures et les modes de financement et de développement de leurs entreprises
  • Du leadership féminin au coaching entrepreneurial spécifiquement féminin en France dans les programmes d’enseignement supérieur (voire les formations continues) : état des lieux d’une problématique toujours abordée latéralement
  • Les entrepreneures ethniques en France: une réalité tronquée par le mythe républicain

Grâce à de nombreuses observations de terrain, je préconise 7 thématiques un peu plus innovantes dans le domaine de l’Entrepreneuriat féminin :

  • Le capital social des femmes entrepreneurs : utilisation des réseaux établis, pouvoir de constitution de réseaux autour d’une activité, valeurs et significations attribuées aux réseaux
  • Le lobbying et les chefs d’entreprise féminins ; un domaine encore masculin ?
  • Intrapreneuriat : le rôle des femmes (salariées, dirigeantes, consommatrices, parties prenantes et membres d’association) dans la diffusion de l’esprit entrepreneurial des grands organisations et des PME françaises
  • Femmes et hommes, entrepreneurs associés aujourd’hui en France : renforcement des stéréotypes ou interaction créative ?
  • Femmes et entreprises familiales en France : le véritable partage des contraintes et des libertés
  • Le serial entrepreneur et l’entrepreneur à portefeuille au féminin : une réalité française encore masquée
  • Femmes entrepreneurs et femmes politiques : approches similaires ou complémentaires ?

Article par Renaud Redien-Collot

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